Après Angela Cassie, directrice générale intérimaire du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), voilà que Françoise Lyon, présidente du conseil d’administration de l’institution, a décidé de s’adresser aux médias dans le but évident de freiner la tornade de critiques qui a lieu depuis quelques jours.

Rappelons que la direction de l’institution a effectué un nombre important de congédiements, dont quatre cadres, afin de mettre en place un plan stratégique appelé Transformer ensemble et destiné à rendre le musée d’Ottawa plus inclusif, tant au sein de son personnel que dans ses salles d’exposition.

L’entrevue d’une dizaine de minutes que j’ai eue avec Mme Lyon a été précédée par la publication d’une lettre sur le site du MBAC dans laquelle elle s’en prend à « certains médias » qui auraient adopté « un discours marqué d’intolérance et d’un manque flagrant de discernement » en traitant « des initiatives en lien avec le racisme, la diversité et la décolonisation » adoptées par le musée.

Bref, attention les médias : en vous intéressant de près aux moyens utilisés par cette société d’État pour déployer son plan stratégique qui entraîne de nombreux congédiements (un sujet d’intérêt, me semble-t-il), vous pourriez être accusés d’être intolérants.

Mme Lyon s’est empressée de me dire que ce passage vise surtout à protéger sa directrice générale. Mais j’avoue que ces mots sont très surprenants de la part de la présidente du plus important musée canadien, car les reportages et les chroniques publiés ou diffusés depuis quelques semaines portent en grande partie sur les inquiétudes suscitées par ce bouleversement et sur les départs de plusieurs figures importantes du monde muséal.

Justement, au sujet des congédiements, Angela Cassie n’a pas su fournir leur nombre exact lors de sa tournée d’entrevues. De son côté, Françoise Lyon m’a confirmé qu’il y en a eu 25 au cours des quatre dernières années (cela correspond à la période où Sasha Suda, qui a élaboré le plan stratégique, était directrice générale).

Françoise Lyon n’est pas en mesure de dire s’il y aura d’autres licenciements au cours des prochains mois. « Ce n’est pas prévu […] Mais c’est une organisation qui bouge et qui change. S’il arrive quelque chose de dramatique et qu’on doit laisser partir quelqu’un, ça va se faire dans les bonnes pratiques de gouvernance. »

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Françoise E. Lyon, présidente du conseil d’administration du Musée des beaux-arts du Canada

J’ai insisté sur la manière dont la décision de se séparer récemment de quatre cadres importants a été prise. C’est là qu’on pénètre dans le brouillard. Il est fascinant de voir combien la responsabilité d’une telle institution est à géométrie variable. Françoise Lyon a commencé par me dire que la décision avait été « validée » et « supportée » par le C.A., mais elle a ajouté qu’« habituellement, on n’intervient pas dans ce type de décision de gestion […] On ne s’ingère pas dans le processus décisionnel ».

Ce langage flou, je l’entends également du ministère du Patrimoine canadien, qui aime à dire que le MBAC est une société d’État et qu’elle est responsable de sa gouvernance. Mais quand survient une crise majeure, c’est le ministre (Pablo Rodriguez dans ce cas-ci) qui est interpellé et qui doit agir.

Alors, qui dirige vraiment le Musée des beaux-arts du Canada ? Est-ce Justin Trudeau ?

Françoise Lyon a publié sa lettre et a offert une série d’entrevues jeudi, soit au lendemain d’une rafale de questions que le député Martin Champoux, porte-parole du Bloc québécois en matière de patrimoine, a offerte au ministre Pablo Rodriguez. Ce dernier s’est défendu lors de la mêlée de presse qui a suivi en disant qu’il avait fait parvenir une lettre à Mme Lyon.

« Le conseil et moi avons compris qu’il voulait s’assurer qu’on avait procédé avec les meilleures règles de gouvernance qui soient et que nous avions été respectueux de la façon dont cela avait été fait, m’a dit Françoise Lyon. Sans équivoque, la réponse est oui. C’est clair que nous avons été rigoureux. »

Malgré les nombreuses réactions suscitées par cette réorientation du MBAC, Françoise Lyon a l’intention de continuer d’appuyer l’implantation de ce plan stratégique. La prochaine étape sera de trouver une personne qui assurera la direction générale de façon permanente dans les six prochains mois.

La présidente reconnaît par ailleurs que le mouvement #moiaussi et la Commission de vérité et réconciliation font partie des moteurs de ce changement.

Je retiens de cette crise que la stratégie utilisée pour mettre en place ce plan a cruellement souffert de l’absence d’un plan de communication. On a voulu agir dans l’urgence et dans une inconscience évidente. Comment peut-on s’imaginer qu’on va changer la direction d’un tel navire sans que l’opinion publique et les médias s’en mêlent ?

Les professeurs de gouvernance ont là un formidable exemple de ratage sur toute la ligne. On nous dit qu’on veut transformer ce musée afin qu’il parle davantage à l’ensemble des Canadiens. Mais on a oublié de dire à l’ensemble des Canadiens ce qu’on était en train de faire.

Les médias ont fait le boulot qu’ils devaient faire. Et voilà qu’on les insulte et qu’on brandit les mots « intolérance » et « manque de discernement ». C’est ainsi qu’on voit la culture et la liberté d’expression à Ottawa ? Si oui, je ne suis guère impressionné.