(Ottawa) Quelques jours après le triomphe de Pierre Poilievre à la chefferie du Parti conservateur, la PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, lui a expédié une lettre pour le féliciter, et le convier à une rencontre. Le leader de l’opposition, dont l’un des engagements phares est d’arrêter de financer CBC, a refusé, suscitant l’ire de la patronne du diffuseur public.

Dans une lettre datée du 16 septembre 2022 au ton courtois, Catherine Tait félicite le politicien pour sa victoire, une « réalisation impressionnante », et l’invite à échanger avec elle sur le mandat de la société d’État, citant sa « valeur » dans « l’ère de polarisation accrue au pays ».

Les semaines ont passé. Et le ton de la missive subséquente a changé de façon draconienne.

C’est que Catherine Tait a essuyé un refus ; le bureau du leader a décliné son invitation.

« Puisque pendant votre campagne à la direction, vous vous êtes publiquement engagé à “définancer CBC”, j’aurais espéré que passer du temps à comprendre l’organisation aurait pu être utile », lit-on dans la lettre datée du 29 novembre 2022, que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

La PDG nommée en 2018 poursuit en décriant les pratiques du Parti conservateur.

Votre parti continue d’envoyer des courriels à grande échelle et de faire de la publicité sur Twitter et Facebook, accusant faussement les journalistes de CBC d’être biaisés, et d’utiliser la promesse de “définancement” afin d’amasser des fonds.

La PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, dans une lettre adressée à Pierre Poilievre le 29 novembre 2022

Arguant que ces salves passent sous silence « l’étendue et la valeur » dont les Canadiens profitent grâce au diffuseur public et « les conséquences » qu’engendrerait une amputation de son budget, la dirigeante conclut en disant espérer que son destinataire reviendra sur sa décision de bouder une rencontre.

CBC, « porte-voix » des libéraux

Le bureau du chef conservateur a confirmé que ce dernier n’avait pas souhaité honorer l’invitation. Lorsque La Presse a sollicité des détails sur les motifs derrière la décision, on a fourni un lien menant à un tweet publié le 7 février sur le compte de Pierre Poilievre.

« La PDG surpayée de CBC n’essaie même pas de prétendre qu’elle est impartiale. Elle a lancé une attaque partisane contre moi, prouvant mon affirmation que la société d’État à 1,2 milliard est un porte-voix de Justin Trudeau », y lit-on.

Ce message coiffe une image où sont mises en exergue des citations de Catherine Tait, qui s’était plus tôt livrée au Globe and Mail. « Il y a beaucoup de dénigrement de CBC en ce moment – quelque peu alimenté par le chef de l’opposition », a-t-elle alors exprimé.

« Je pense qu’ils ont le sentiment que CBC est un porte-voix du gouvernement libéral », s’est aussi aventurée à dire la dirigeante de CBC/Radio-Canada.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

La PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait

Le tweet du chef de l’opposition contient un lien menant à une pétition promouvant la promesse qui, d’entre toutes, soulevait généralement le plus les foules lors de sa course à la direction du Parti conservateur : couper les vivres à CBC.

À leur arrivée au pouvoir, les libéraux ont rouvert le robinet pour regarnir les coffres du diffuseur, après des années de compressions sous le gouvernement de Stephen Harper. Des investissements additionnels de 675 millions sur cinq ans ont été consentis.

Le gouvernement Trudeau a ensuite nommé Catherine Tait à la tête de CBC/Radio-Canada.

Vendredi dernier, le bureau du ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, n’a pas donné suite à un courriel de La Presse au sujet de la décision de Pierre Poilievre de lever le nez sur une rencontre avec la PDG.

Neutralité écorchée

Professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier estime que Pierre Poilievre a été « fidèle à son personnage » en refusant de voir Catherine Tait.

[M. Poilievre] voulait peut-être aussi montrer de la fermeté à sa base, montrer qu’il ne changerait pas d’idée. Mais en même temps, on demande si ça va être son style s’il devient premier ministre, qu’il ne voudra parler à personne qui ne partage pas ses idées.

Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

Il reste que la sortie de Mme Tait n’était pas des plus heureuses, juge la politologue : « Il faut montrer une certaine neutralité, une non-partisanerie. Et s’impliquer dans un débat public et politique, ça n’aide peut-être pas la cause de CBC/Radio-Canada. »

D’après ce que Pierre Poilievre a signalé jusqu’à présent, l’aide publique à Radio-Canada ne passerait pas à la trappe comme celle de son pendant anglophone. Dans les points de presse, il enguirlande d’ailleurs les journalistes de CBC plus que ceux de Radio-Canada.

Avec la collaboration de William Leclerc et de Vincent Larouche, La Presse