Depuis son dévoilement, en juin 2021, le projet des Espaces bleus du gouvernement Legault suscite des craintes et des doutes. Avons-nous besoin d’un réseau de centres d’exposition ?, se sont d’abord demandé les spécialistes du monde muséal et de nombreux citoyens.

Mais depuis quelques mois, une autre question est sur toutes les lèvres : ce projet est-il en train de devenir un éléphant blanc dans lequel nous allons engloutir aveuglément des centaines de millions de dollars ?

C’est ce que je me demande sérieusement.

Peu avant les Fêtes, un reportage du Soleil nous apprenait que ce projet, encore sur la rampe de lancement, fait face à de sérieux dépassements de coûts. Alors que seulement quatre des 18 emplacements ont été confirmés, il est clair que la somme de 259 millions de dollars dégagée pour ce projet sera nettement insuffisante.

Rappelons, pour ceux à qui le concept est moins familier, qu’il repose sur la création de lieux culturels qui devraient voir le jour dans les 17 régions administratives du Québec et qui serviront à la « promotion et à la transmission de notre héritage culturel ». La particularité de ce projet repose sur l’utilisation de lieux patrimoniaux qui seront rénovés. C’est l’aspect le plus intéressant du concept.

Pour le moment, nous savons que le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec sera la maison mère du réseau et que trois régions ont ciblé des bâtiments qui accueilleront ces musées : la Gaspésie (villa Frederick-James de Percé), l’Abitibi-Témiscamingue (le Vieux-Palais d’Amos) et Charlevoix (bloc 6 de l’ancien couvent des Petites Franciscaines de Marie de Baie-Saint-Paul).

Grâce à des renseignements (difficilement) obtenus en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, le journaliste Baptiste Ricard-Châtelain a appris que la transformation de la maison mère devrait coûter 60 millions de dollars au lieu des 47 millions prévus.

Les travaux entourant la villa Frederick-James, à Percé, coûteront 25,5 millions au lieu de la somme de 20,8 millions initialement fixée. Quant à l’ancien couvent des Petites Franciscaines de Marie, à Baie-Saint-Paul, le budget passe de 30 à 41 millions. Seul le projet du Vieux-Palais d’Amos semble pour le moment respecter son budget d’environ 26 millions.

Si on fait le calcul, on se rend compte qu’on atteint déjà les 153 millions de dollars. Cela veut donc dire qu’il reste une centaine de millions de dollars pour réaliser les 14 Espaces bleus restants. Le Soleil nous apprend également que les délais de livraison prévus s’étirent dans le temps.

Disons que ça regarde mal !

Le gouvernement s’est rendu compte très rapidement que la somme réservée à ce projet ne serait pas suffisante. En juin 2022, La Presse Canadienne révélait que la facture « montait en flèche » et qu’elle s’élevait maintenant à 300 millions de dollars.

Une fois de plus, il y a perte de contrôle. Et une fois de plus, on a balancé des chiffres sans connaître vraiment le gouffre qui sépare l’excitation de la réalité.

J’ai tenté d’obtenir des explications du Musée de la civilisation. On m’a répondu qu’on n’accordait aucune entrevue à ce sujet. J’ai aussi voulu m’entretenir avec le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe. Celui-ci n’est pas disponible avant plusieurs semaines, m’a-t-on dit.

En revanche, les partis de l’opposition ne se sont pas fait prier pour réagir et brandir le drapeau rouge. Le député péquiste Pascal Bérubé croit que le gouvernement devrait investir en priorité dans les institutions muséales existantes avant de se lancer dans une telle aventure. « Elles ont beaucoup de difficulté à faire du développement et à maintenir leurs activités. Je ne sais pas qui a réclamé ces Espaces bleus. Je ne vois là qu’une volonté de la Coalition avenir Québec (CAQ) à laisser un legs politique. »

De son côté, la députée Ruba Ghazal, de Québec solidaire, affirme que « c’était écrit dans le ciel » que nous allions parvenir à un tel résultat. « On a enfoncé dans la gorge des musées régionaux ce projet avec lequel on va beaucoup trop vite. »

Une chose qui met particulièrement les députés de l’opposition en colère, c’est de voir qu’ils sont écartés de ce projet. Selon des sources, les députés de la CAQ auraient été consultés en caucus pour déterminer les emplacements des Espaces bleus et cela s’est fait en l’absence des autres députés.

« Depuis cette annonce, au-delà du coup de marketing, nous n’avons pas beaucoup d’informations quant au déploiement de ces espaces, m’a écrit Michelle Setlakwe, porte-parole en matière de culture du Parti libéral du Québec. Nous aimerions connaître les raisons des dépassements de coûts, mais également avoir une reddition de comptes complète des consultations régionales que le gouvernement devait avoir avec l’ensemble des élus. »

Il est vrai qu’en lançant fièrement ce projet, François Legault n’a pas caché son envie de laisser un legs culturel important aux Québécois. S’il veut que celui-ci honore sa mémoire, il devra donner un sérieux coup de barre au navire.

Au tour du Bas-Saint-Laurent

Dans la région du Bas-Saint-Laurent, les municipalités de Rimouski et de Rivière-du-Loup, situées dans deux circonscriptions détenues par la CAQ, font front commun pour la création d’un Espace bleu à deux têtes.

Guy Caron, maire de Rimouski, m’a confirmé que le Musée régional de Rimouski et le Musée du Bas-Saint-Laurent, à Rivière-du-Loup, sont depuis quelques mois chargés de développer un projet d’Espace bleu qui s’étendra dans ces deux pôles. Il n’a pas été en mesure de me dire combien coûtera ce projet.

Je comprends de cela que ces musées ont décidé de prendre les devants afin de contrôler la concurrence qui se profile à l’horizon.

De quelle façon réussira-t-on à atteindre l’objectif de rénovation d’un bâtiment patrimonial ? Tout cela reste à être défini.

En visitant le site du Musée régional de Rimouski, j’ai vu qu’on y présente une exposition consacrée à La Bolduc. Voilà un formidable exemple d’un sujet que l’on souhaiterait avoir dans les Espaces bleus et qui est déjà réalisé dans un musée régional.

J’imagine que vous devinez le fond de ma pensée !

Et à Montréal ?

À Montréal, des sources me confirment que le projet d’Espace bleu dans la métropole est toujours dans le néant. Au fil des conversations, j’ai entendu le même son de cloche qu’ailleurs : on préférerait que le gouvernement s’occupe des musées montréalais, particulièrement les plus petits, avant d’investir dans une nouvelle structure.

Précisons qu’au cours des derniers mois, le Musée d’art contemporain a dû revoir le budget de son projet d’agrandissement. Pour ce qui est du musée McCord, son rêve de devenir plus grand semble s’évanouir.

Sur l’ensemble des circonscriptions de l’île de Montréal, seulement deux (Pointe-aux-Trembles et Anjou–Louis-Riel) appartiennent à la CAQ. Est-ce que l’Espace bleu de Montréal sera installé dans l’est de la ville ? Il est permis de le croire.

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