Ai-je bien votre attention ? Va-t-on faire (ensemble) de cette critique théâtrale le texte le plus lu de La Presse ? Par-dessus les chroniques d’Hugo Dumas et d’Yves Boisvert ? Les incendies de forêt, la hausse des avortements aux États-Unis, tous les procès de Trump et même l’histoire de l’itinérante qui a accouché seule dans un boisé ? Fantastique !

Rassurez-vous, amis lecteurs, il ne s’agit ici que d’illustrer le procédé dérangeant par lequel on entre dans la pièce Salle de nouvelles, excellente adaptation théâtrale du film Network, de Sidney Lumet, sorti en 1976.

Le lecteur de nouvelles de la chaîne UBS, Howard Beale, apprend qu’il est remercié après 25 ans de bons et loyaux services parce que ses cotes d’écoute sont en baisse… Dans un geste désespéré, il annonce son suicide en direct la semaine suivante. « Ça devrait faire remonter les cotes d’écoute », ironise-t-il.

Eh bien, c’est exactement ce qui se passe. Après un retour en ondes le lendemain – soi-disant pour mettre les pendules à l’heure – Howard Beale dénonce la bullshit de la vie qu’on accepte bêtement. Et les cotes d’écoute explosent !

Les directeurs de la station décident alors de profiter de cette pépite d’or, même si elle contrevient à une règle de base : ne jamais devenir le sujet de la nouvelle… Ce que fait allègrement Howard Beale. Mais les cadres de la station justifient ainsi le freak show du journaliste : « Il parvient à mettre des mots sur la rage d’un peuple… C’est un nouveau prophète ! »

PHOTO DANY TAILLON, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Hugues Frenette incarne le personnage de Max, le patron de la salle de nouvelle, tandis que Gabrielle Côté prend les traits de Diana Christensen, responsable de la programmation de divertissement.

Dans le rôle de Howard Beale, Denis Bernard est tout simplement brillant. De lecteur de nouvelles un brin ronflant, il se métamorphose en véritable bête de scène qu’on exploite au détriment de sa santé mentale. Le succès de la pièce – qui a été présentée au théâtre Le Trident de Québec en 2021 – repose en grande partie sur ses épaules.

L’acteur et ex-directeur artistique de la Licorne nous offre une performance de haut vol, un jeu qui devient au fil de la pièce, de plus en plus physique, jouant à la fois pour les caméras qui le filment sur scène, et pour le public de la salle. Pensez qu’à l’époque, Sidney Lumet souhaitait que Henry Fonda incarne le rôle de Howard Beale, mais qu’il trouvait le personnage trop hystérique ! C’est finalement Peter Finch qui a obtenu le rôle – et gagné un Oscar (à titre posthume).

Un mot sur la mise en scène à la fois énergique, nerveuse et précise de Marie-Josée Bastien, qui a fort bien dirigé cette distribution de 12 acteurs qui s’activent sur scène comme des abeilles dans une ruche.

Pièce prophétique

Dire que la pièce (adaptée par Lee Hall) est en elle-même prophétique de ce que les médias électroniques sont devenus est bien la moindre des choses. Quand on entend Howard Beale commenter furieusement les nouvelles du jour, comment ne pas faire de parallèles avec les animateurs Tucker Carlson de Fox ou Chris Cuomo et Don Lemon de CNN ?

Et si vous croyez que l’annonce du suicide en ondes est exagérée, sachez que le scénariste du film Paddy Chayefsky s’est inspiré de la mort de la journaliste Christine Chubbuck, en dépression, qui s’est tiré une balle en ondes, à Sarasota, en Floride, en 1974.

Bref, dans Salle de nouvelles, les médias en général en prennent pour leur rhume, comme on dit…

La quête absolue de cotes d’écoutes, de clics, de parts de marché ou de lectorat, appelez ça comme vous voulez, est une réalité embêtante qui est tenace, et depuis longtemps. On ne peut pas l’ignorer, mais on aurait tort d’en faire une obsession. Le personnage de Diana Christensen, interprété avec aplomb par Gabrielle Côté, qui transforme le bulletin de nouvelles en spectacle de divertissement, en est l’incarnation parfaite.

Sur la télévision, de manière plus spécifique, les enjeux ont bien sûr changé, en ce sens qu’avec la multiplication des plateformes de diffusion en continu, il n’y a plus de relève… N’empêche. Il y a quelques perles dans ce scénario adapté à la scène. Quand Howard Beale dit : « La télé ne détient pas la vérité, c’est un parc d’attractions, un cirque. On vous dit ce que vous voulez entendre », le prophète des ondes, comme on le surnomme, n’a pas tort.

Et ironiquement, en disant cela, il signe lui-même son arrêt de mort.

Quant à moi, tout compte fait, je vais continuer d’écrire. Appelons ça un nouveau souffle.

Salle de nouvelles

Salle de nouvelles

De Lee Hall, adapté du film Network, de Sidney Lumet

Avec Denis Bernard, Hugues Frenette, Gabrielle Côté et neuf autres acteurs. Mise en scène : Marie-Josée Bastien., Chez Duceppe jusqu’au 7 octobre.

8,5/10