Après une pause forcée de deux ans, le Mois de l’histoire des Noirs s’amorce cette année avec une multitude d’activités, de conférences, d’émissions, de spectacles et de films reprenant le thème De l’obscurité à la lumière. Une programmation qui témoigne de la vigueur et de la créativité des communautés noires. Voici un coup d’œil de ce qui vous attend.

Avec Le mythe de la femme noire, l’actrice et réalisatrice Ayana O’Shun explore les préjugés et stéréotypes qui ont façonné l’image de la femme noire au fil du temps. Tout en abordant les pressions que subissent les femmes de couleur dans une société où des relents de sexisme et de racisme subsistent.

« Premièrement, être femme, c’est un problème. Deuxièmement, la couleur de la peau, c’est un problème. Prendre sa place dans la société, c’est un autre problème. C’est ça, la femme noire », résume la militante Anastasia Marcellin dans Le mythe de la femme noire.

La réalisatrice Ayana O’Shun opine, en remplaçant le mot « problème » par « défi ». « C’est vrai. C’est le défi de plusieurs minorités », mais les femmes noires sont « prêtes à le relever pour faire leur place », précise-t-elle. Comme ses intervenantes, elle envisage la suite avec une admirable force de caractère.

Si elle a fait ce documentaire, c’est qu’elle s’est rendu compte – dans son métier d’actrice – qu’on lui offrait toujours les mêmes types de rôles. Ou bien la femme hypersexualisée (la Jézabel) ou bien la nounou, ou encore la femme en colère.

« Je me suis mise à faire des recherches sur le sujet, et plus j’avançais, plus je remontais les siècles ! J’ai réalisé que ces stéréotypes avaient été perpétués avec le temps. J’ai fait ce documentaire parce que ce sont des informations que j’aurais aimé avoir en grandissant, mais aussi pour parler à des femmes des conséquences que ces stéréotypes-là ont eues dans leur vie. »

Une vingtaine de femmes prennent ainsi la parole dans Le mythe de la femme noire. De différents milieux, âges, provenances, types de cheveux et couleurs de peau, dont la comédienne anglo-montréalaise Patricia McKenzie, la comédienne Joujou Turenne, l’auteure-compositrice-interprète Jenny Salgado ou encore la commissaire d'expositions Diane Gistal.

Toutes témoignent de ces préjugés ou stéréotypes. Moins intelligentes, moins éloquentes, plus portées vers le sexe – bon nombre d’entre elles racontent d’ailleurs avoir été prises pour des prostituées (à un moment ou un autre) –, destinées à des postes de subalternes ou décrites comme des militantes perpétuellement en colère.

À consommer ou à mettre en cage

Dans son film, Jade Almeida, chercheuse en sociologie, note que les femmes noires sont souvent comparées, soit à des animaux – des panthères, lionnes, tigresses –, soit à de la nourriture – du chocolat, du caramel salé, etc. « Elles sont souvent réduites à quelque chose qu’on consomme ou qu’on met en cage… »

Agnès Berthelot-Raffard, docteure en philosophie, fait aussi référence à des artistes comme Nicki Minaj ou Cardi B, qui exploitent leur image de Jézabel en affichant leur sexualité « pour garder le pouvoir sur leur corps ». « Lorsqu’on se réapproprie des codes dévalorisés socialement, est-ce qu’on n’est pas dans une forme de reproduction du mythe ? », demande-t-elle.

« La sexualité vend, estime Ayana O’Shun. Peu importe la couleur de peau. Le problème, c’est lorsqu’on ne voit que ça. Je n’ai pas de problème à ce que ces artistes affichent leur sexualité comme elles le font, mais si on montre uniquement ces filles-là, alors qu’il y a d’autres artistes, je trouve ça dommage. C’est pour ça que dans le documentaire, on retrouve aussi Sarahmée, une rappeuse, mais qui ne twerk pas… »

Revenons au constat de départ d’Ayana O’Shun. La situation n’évolue-t-elle pas, tout de même, depuis quelque temps pour les acteurs noirs ? N’y a-t-il pas une meilleure représentativité sur nos scènes et dans nos écrans ? « Depuis le mouvement Black Lives Matter, en 2020, il y a une meilleure représentativité de la diversité, c’est vrai, répond l’actrice et réalisatrice. Mais pas encore du type de rôles offerts. Il y a encore un travail de conscientisation. Il y a une amélioration de la quantité, maintenant il reste à améliorer la qualité. »

Marlihan Lopez, coordonnatrice de l’Institut Simone de Beauvoir à Concordia, évoque la question du traitement des femmes noires dans le système de justice et du sentiment d’indignation qui mène beaucoup d’entre elles à militer. Ce qui leur vaut souvent d’être qualifiées de « femmes en colère ». « Pourtant, les mouvements féministes mènent le même genre de combats, mais on les traite d’hystériques… »

On a bien compris au fil des ans que les mouvements féministes ont du mal à faire une place aux femmes noires. « Il y a au moins trois femmes dans le film qui ont milité dans des groupes féministes et qui ont tenté de changer les choses de l’intérieur, mais ça n’a pas réussi, dit Ayana O’Shun. Elles sont venues à la conclusion qu’elles devaient fonder leur propre mouvement pour femmes noires ou racisées. Donc j’espère que mon film fera aussi son chemin dans les mouvements féministes. »

La nounou

L’autre stéréotype qu’aborde la réalisatrice est celui de la nounou, renforcé par la place importante qu’occupe la femme noire dans le milieu de la santé, des services de la petite enfance et auprès des personnes âgées. Agnès Berthelot-Raffard raconte qu’on a déjà présumé qu’elle enseignait en soins infirmiers… La philosophie ne correspondant pas du tout à l’emploi type d’une Noire.

« On vous replace dans une fonction que vous devriez avoir. C’est une forme de mini-agression, estime Agnès Berthelot-Raffard. Ce qu’on nous dit, d’une certaine façon, c’est que les femmes noires devraient accepter des postes de subalternes, des postes où elles doivent s’occuper des autres. Celles en pouvoir ne seraient promues que pour des raisons de représentativité… »

Ce constat-là a quelque chose de glaçant. Les modèles pour les femmes noires québécoises ne sont pas si nombreux… Dans les faits, plusieurs femmes interviewées par Ayana O’Shun pourraient être considérées comme des modèles. « Elles ne sont pas des victimes, précise la réalisatrice. Elles sont lumineuses et fortes. »

Des femmes fortes. C’est ce qu’on exige d’elles. Qu’elles soient performantes aussi. La charge est lourde et mène souvent à des dépressions. C’est ce qu’a découvert Ayana O’Shun en tournant son film. « Ce n’est pas un sujet que je voulais traiter au départ, mais chacune m’en a parlé naturellement. Je ne réalisais pas à quel point les problèmes de dépression et de santé mentale étaient aussi présents dans la communauté noire. Je trouve que ça conclut bien d’aborder les conséquences des préjugés qu’elles subissent et la pression qu’elles vivent pour être les meilleures et les plus fortes. »

Le mythe de la femme noire sort en salle au Québec, le 10 février.

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À suivre

Les années Blaxploitation

PHOTO MOIS DE L’HISTOIRE DES NOIRS

Pam Grier

La Cinémathèque québécoise présente une quinzaine de films issus du mouvement américain de Blaxploitation, popularisé dans les années 1970. Un courant qui consistait à revaloriser les rôles des Noirs au cinéma, qui jusqu’alors étaient cantonnés dans des rôles de bandits, bonnes, serveurs et autres esclaves. Pour la première fois, à partir de ces années-là, on les voit dans des premiers rôles. Pam Grier dans Coffy, Tamara Dobson dans Cleopatra Jones, Sidney Poitier et Harry Belafonte dans Buck and the Preacher, James Earl Jones et Diahann Carroll dans Claudine.

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Aphrodisiaque

PHOTO JEREMY CABRERA, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La comédienne Maryline Chery

Aphrodisiaque est un spectacle solo qui met en scène Maryline Chery et qui traite du cheveu afro à travers plusieurs histoires et voix. Aphrodisiaque nous fait notamment le récit de Rhizome, « mémoire et racine de la négritude qui vit dans la tête, le subconscient de Mady, jeune fille afrodescendante de 13 ans, qui habite à Laval et vit du racisme, micro-agressions au quotidien ». Ce spectacle présenté par le collectif Potomitan est « une conversation, une réflexion, une blessure et une guérison de nos racines passées sous silence ». Il est mis en scène par Lydie Dubuisson. Présenté à la maison de la culture Claude-Léveillée.

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Conférence de Yamoussa Bangoura

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

L’artiste de cirque guinéen Yamoussa Bangoura

L’artiste de cirque guinéen Yamoussa Bangoura, qui a fondé la compagnie-école Kalabante, témoignera de son parcours artistique depuis son arrivée au Québec. De ses premières collaborations avec le Cirque Éloize jusqu’à ses échanges avec Artcirq au Nunavut. Yamoussa Bangoura, dont la troupe est composée en grande partie de membres de sa famille, forme des jeunes (incluant des orphelins de Conakry) aux arts du cirque et à la musique. Un modèle inclusif unique, dont il parlera au cours de cette conférence (gratuite) prévue le vendredi 3 février (à 19 h), à la Bibliothèque multiculturelle de Laval.

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Festival Fondu au Noir

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL

Le film d’Émilie Mannering, À la vie à l’amor, sera présenté au festival Fondu au noir.

Cinq femmes cinéastes afrocanadiennes et afroquébécoises présenteront leurs courts métrages à la Cinémathèque québécoise, du 8 au 12 février. Amani, d’Alliah Fafin, Pas de fantôme à la morgue, de Marilyn Cooke, Him & Her, de Simonee Chichester, Nid d’oiseaux, de Nadia Louis-Desmarchais, et À la vie à l’amor, d’Émilie Mannering. Après les projections, une discussion sera animée par la commissaire Diane Gistal autour du métier de cinéaste et de l’inclusion dans le paysage québécois et canadien.

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Blue Note Records : Beyond the Notes

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Miles Davis, en 1982

L’histoire du fameux label de musique et de ses mythiques séances d’enregistrements recoupe bien sûr l’histoire plus large de la musique jazz aux États-Unis. C’est ce que propose le documentaire Blue Note Records : Beyond the Notes. Une incursion dans la bulle musicale de nombreuses icônes du jazz. De Miles Davis, Thelonious Monk ou John Coltrane aux Robert Glasper, Ambrose Akinmusire ou Norah Jones d’aujourd’hui. Le documentaire de Sophie Huber, présenté au Cinéma du Musée, contient notamment des entrevues avec Herbie Hancock et Wayne Shorter.

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Expo Fugitifs !

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC

L’exposition Fugitifs ! illustre 13 esclaves ayant pris la fuite.

Fugitifs ! est présentée par l’artiste hip-hop Webster (Aly Ndiaye) en collaboration avec le Musée national des beaux-arts du Québec et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. L’exposition illustre 13 esclaves ayant pris la fuite. Les dessins ont été réalisés par Paul Bordeleau, D. Mathieu Cassendo, Djief, Em, Maliciouz, Caroline Soucy, Richard Vallerand, ValMo et Amel Zaazaa. Une façon de « donner un visage à des gens déshumanisés ». Présentée au Musée national des beaux-arts du Québec en 2019, l’expo s’est déplacée à Rivière-du-Loup jusqu’au 26 mars.

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