(Ottawa) La nouvelle taxe sur les services numériques que veut imposer le gouvernement Trudeau à compter du 1er janvier aux grandes entreprises telles que Google, Facebook et Amazon qui brassent des affaires au pays rapportera des revenus de 7,2 milliards de dollars sur cinq ans au trésor fédéral.

Cette somme est deux fois plus importante que les projections du ministère des Finances, selon une analyse du Directeur parlementaire du budget (DPB) publiée mardi. Les mandarins fédéraux évaluaient à 3,4 milliards les revenus que devrait rapporter cette nouvelle taxe sur cinq ans.

Le gouvernement Trudeau a exprimé à maintes reprises sa ferme intention d’imposer une taxe sur les services numériques (TSN) de 3 % qui s’appliquerait aux revenus des grandes entreprises de services numériques à compter du 1er janvier 2024.

La taxe s’appliquerait de façon rétroactive aux revenus générés au Canada qui ont été empochés depuis le 1er janvier 2022. Elle s’appliquerait sur les revenus de 20 millions de dollars et plus qui ont été gagnés par une entreprise ou un groupe consolidé affichant un chiffre d’affaires mondial d’au moins environ 750 millions d’euro (plus de 1 milliard de dollars).

« Le DPB estime que la TSN fera augmenter les revenus du gouvernement fédéral de 7,2 milliards de dollars sur cinq ans », affirme-t-on dans le rapport.

Le DPB souligne toutefois que ces estimations comportent « un degré élevé d’incertitude » en raison notamment du peu d’informations contenues dans les états financiers des entreprises qui seraient assujetties à cette taxe. Le directeur parlementaire du budget Yves Giroux s’attend aussi à ce que ces mêmes entreprises « adaptent leurs services et leurs prix en fonction de la nouvelle loi ».

Il souligne enfin que son analyse ne tient pas compte du fait que le gouvernement devra déployer des ressources additionnelles pour faire le suivi des transactions en sol canadien, car ces données ne sont pas collectées actuellement.

Au départ, une telle taxe devait être imposée dans l’ensemble des pays membres de l’OCDE. Des négociations en ce sens ont été mises sur la glace à l’été. Il a alors été convenu de reporter d’un an les pourparlers. Mais le Canada a décidé de faire cavalier seul. La ministre des Finances Chrystia Freeland a annoncé en juillet que le gouvernement Trudeau irait de l’avant avec une telle mesure, qui avait été annoncée dans une mise à jour économique en novembre 2022, si le Canada n’arrivait pas à conclure un accord multilatéral.

Or, des membres de l’administration de Joe Biden et des groupes représentant les gens d’affaires aux États-Unis et au Canada ont multiplié les mises en garde qu’un tel geste unilatéral d’Ottawa pourrait avoir de graves conséquences sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis.

La secrétaire d’État au Commerce, Katherine Tai, a été sans équivoque à ce sujet dans les échanges qu’elle a eus avec ses homologues canadiens au cours des derniers mois.

En août, l’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, a fait savoir que l’administration Biden ne pourra faire autrement que d’imposer des mesures de représailles si le gouvernement Trudeau ne change pas son fusil d’épaule dans ce dossier.

Le moment choisi pour mettre en œuvre cette taxe est aussi risqué, selon le Conseil canadien des affaires, car il arrive au moment où la campagne en prévision de l’élection présidentielle de novembre 2024 se met véritablement en branle.

Robert Asselin, premier vice-président au Conseil canadien des affaires et ancien proche collaborateur de l’ancien ministre des Finances Bill Morneau, a soutenu que le gouvernement Trudeau va faire « un geste de provocation inutile ».

« C’est un geste de provocation inutile qui fera l’objet de représailles de notre plus important partenaire commercial. Et sur le plan multilatéral, le processus de l’OCDE n’est pas terminé. Pourquoi ne pas le mener à terme et prendre les décisions nécessaires après ? Tout ça parce que le gouvernement cherche des revenus désespérément. Ce n’est pas dans l’intérêt national du Canada que de froisser les Américains à la veille de la renégociation de l’ACEUM [nouvel accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique] », a affirmé M. Asselin.

La ministre des Finances pourrait déposer à la Chambre des communes un projet de loi pour mettre en œuvre cette fameuse taxe cet automne dans le cadre de sa mise à jour économique et financière. Tout indique que ce projet de loi obtiendrait l’appui du Nouveau Parti démocratique, qui a conclu un accord assurant la survie du Parti libéral, qui est minoritaire aux Communes, durant les votes de confiance. Le Bloc québécois s’est aussi dit favorable à l’imposition d’une telle taxe.

Interrogée à ce sujet, mardi, la ministre Chrystia Freeland a déclaré que la position du Canada « n’a pas changé ». « En même temps, on continue d’avoir des conversations constructives avec les États-Unis. Pour le Canada, on préfère trouver une solution avec nos voisins et on continue de travailler sur ça, mais notre position n’a pas changé. »

Avec Mylène Crête, La Presse