Présentées il y a moins d’une décennie comme les remplaçantes du livre imprimé, les liseuses électroniques connaissent plutôt un lent déclin. Et si le lecteur québécois pouvait compter sur une dizaine de fabricants, ils ne sont plus que deux aujourd’hui, Kobo et Amazon, à se disputer ses faveurs. Les liseuses s’apprêtent-elles à rejoindre le Betamax, les télévisions plasma et le BlackBerry au cimetière des bonnes idées ? Ou ont-elles simplement trouvé leur modeste niche ?

La liseuse ne va pas très bien, et des entreprises comme Sony et Icarus l’ont compris en quittant ce marché, tandis que d’autres comme Bookeen et Nook sont peu offertes en dehors de leur territoire. Même Kobo et Amazon, les deux meneurs incontestables, ont ralenti la cadence et sortent peu de nouveaux modèles.

Les analystes leur donnent raison : ce marché est manifestement en déclin, comme l’indique ce tableau compilé par Statista, dont les données s’arrêtent malheureusement en 2016.

La firme 360 Research a une autre mauvaise nouvelle. Elle estime les revenus de cette industrie à 383 millions US en 2020, et prévoit qu’ils seront de 100,5 millions en 2027.

Qu’est-ce qu’une liseuse ?

Ce petit appareil, généralement de moins de 300 grammes avec un écran sous les 8 pouces, est spécifiquement conçu pour la lecture. Il se démarque d’une tablette par la faible puissance de son processeur, ce qui le rend peu adapté à la navigation web ou à l’utilisation d’applications. Son écran « à encre électronique » n’a pas besoin d’un rafraîchissement constant et donne à la liseuse une autonomie qui se calcule en semaines, plutôt qu’en jours pour une tablette. Le rétroéclairage, la teinte orangée filtrant la lumière bleue, l’écran tactile et des capacités de stockage atteignant 64 Go sont maintenant courants dans les modèles offerts. Certains fabricants ont lancé des modèles plus grands, plus puissants et plus coûteux depuis quelques années.

Livres demandés

Contrairement aux liseuses, les livres en format électronique connaissent pourtant une indéniable popularité. Le marché mondial a été estimé, selon les sources, entre 12 et 16 milliards US en 2022 et devrait croître à un rythme annuel modeste, mais constant d’environ 2 % d’ici cinq ans.

Les bibliothèques publiques québécoises constatent cet engouement, elles qui prêtent chaque jour « entre 8000 et 10 000 livres numériques », précise Jean-François Cusson, directeur du développement des services et de la médiation à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Il a contribué à mettre en place à partir de 2012 la plateforme de prêts de livres numériques des bibliothèques avec l’organisme Bibliopresto.

« À BAnQ, les prêts numériques, c’est rendu presque aussi fort que les prêts papier, estime-t-il. C’est énorme, mais c’est quelque chose qui est par définition invisible. »

Son de cloche positif

M. Cusson ne dispose pas de statistiques précises sur le pourcentage de lecteurs utilisant une liseuse, mais il n’est pas convaincu que cet appareil soit en voie de disparition. « Dans les transports en commun, je vois des gens tous les jours avec des liseuses […] C’est vrai que beaucoup de fabricants ont disparu au Québec, mais en Europe, il y a plus de compétition, avec PocketBook et Vivlio. »

Chez Best Buy Canada, on donne aussi un son de cloche plus optimiste sur cette catégorie de produits, dont on propose pas moins de 15 modèles en magasin. « C’est étonnant, avoue Thierry Lopez, directeur marketing et affaires corporatives, au Québec, chez Best Buy Canada. Il y a eu un engouement pendant la pandémie, et l’engouement continue depuis. » Si on propose 15 modèles, note-t-il en riant, « c’est parce qu’[il y] a des clients pour ça ».

Ruth Guay, de Trois-Rivières, est de ces clients. Elle fait partie de ces amoureux des liseuses qui ont trouvé le média idéal. « C’est tellement léger. Et je lis souvent le soir en me couchant, alors d’avoir cette lumière orangée ajoute énormément au confort. Je n’ai jamais pensé lire un livre sur un iPad. »

Elle convient toutefois qu’elle fait figure d’exception dans son entourage. « Mes amies ont tendance à privilégier le papier. L’attachement au livre en papier, je peux comprendre. Mais en voyage, l’aspect facilitant de la liseuse l’emporte. »

Tassées par les tablettes

Chloé Baril, qui a pris la relève de M. Cusson comme directrice générale de Bibliopresto. ca en juillet dernier, estime quant à elle que la liseuse a simplement trouvé sa niche. Une place bien plus modeste que ce qu’on prévoyait à partir de 2007 quand les Kindle d’Amazon sont apparues, « mais pas toute la place comme on l’annonçait ».

La raison, analyse-t-elle : les fabricants de tablettes ont su s’ajuster aux avantages que semblaient procurer les liseuses. « J’étais à BAnQ à l’époque, j’entendais des gens qui disaient que leur iPad était trop lumineux, plus lourd qu’une liseuse. Les fabricants ont noté ces critiques et ont mis des éclairages sépia, des outils d’accessibilité qui permettent de grossir le caractère, d’ajuster les contrastes, d’avoir la synthèse vocale. »

Mme Baril en a eu la confirmation récente, avec un sondage mené en avril dernier par la firme québécoise De Marque, un partenaire important de Bibliopresto : les utilisateurs des bibliothèques publiques préfèrent lire leurs livres numériques sur une tablette ou un téléphone.

Chez les emprunteurs assidus, par exemple, ceux qui empruntent des livres numériques plus d’une fois par mois, 64 % les lisent sur l’application mobile pour tablettes et téléphones. La liseuse : 23 %.

« L’application mobile arrive en premier, mais la liseuse n’est pas négligeable. »

Elle convient toutefois que ce marché semble avoir perdu son élan. « Il y a clairement eu un ‟semi-abandon » de plusieurs fabricants, c’est une décision commerciale. C’est un peu comme la disparition des iPod. Pourquoi ont-ils disparu ? On ne le sait pas, ça fonctionnait bien, j’ai encore un Shuffle et je l’utilise en faisant ma vaisselle parce que c’est pratique. »

Mme Baril estime que l’industrie n’a pas aidé sa cause en tentant d’imposer des écosystèmes de plus en plus fermés. Les Kindle d’Amazon ne peuvent lire les livres empruntés à la bibliothèque et les utilisateurs québécois de Kobo doivent multiplier les manipulations pour y arriver.

« Le marché de la liseuse s’est un peu saboté [ « jinxé » ], résume la directrice générale. Quand Amazon décide que sa liseuse ne lit plus que du Amazon, qu’on crée un marché captif, c’est un quitte ou double. Ça peut donner ce qui est arrivé avec l’iPhone ou faire en sorte que les gens se tournent vers autre chose. »

Rectificatif
Dans une version précédente, la citation de M. Cusson ne précisait pas « À BAnQ », où les prêts numériques sont maintenant presque aussi importants que les prêts papier.