Le regard d'Emmanuel Bilodeau sur ses finances... en quelques sigles.

Cheveux en bataille. Visage aux pommettes saillantes, déchiré par un sourire chaleureux. Regard bleu allumé, mais circonspect.

Emmanuel Bilodeau.

« Je ne suis pas bon en anecdotes, dira-t-il. Je ne devrais pas être humoriste. Les humoristes ont toujours des anecdotes. Moi, pas tellement. »

Les anecdotes restent en surface. Sa nature le porte plutôt à la profondeur. Et sans doute aussi à l'inquiétude financière, malgré la relative constance de sa carrière de comédien.

Dans le petit restaurant végétalien bio qu'il a proposé, il n'a commandé qu'un café et un sandwich. Car il est le dernier d'une fratrie de 12 enfants - vous allez comprendre le lien.

« Le rationnement et l'économie, on a tous ça dans les gênes. »

« C'est très difficile pour moi d'aller au restaurant et de ne pas regarder, encore aujourd'hui, ce qui coûte le moins cher sur la carte. » - Emmanuel Bilodeau

Il est né à Hull mais a grandi dans la région de Québec, où ses parents, fonctionnaires, « économisaient chaque cenne ».

Plus que serré, le budget familial était corseté. « On avait des meubles qu'on ramassait chez le voisin, dans les ventes de garage. Notre table principale, c'était deux tables à pique-nique bout à bout. »

Ce souci s'est transmis par osmose, laissant ce qu'il appelle des « marques indélébiles ».

RUSE

« Quand j'étais jeune, mon père et ma mère nous ont dit : on a mis de l'argent de côté toute notre vie, pour que nos 12 enfants aient le choix d'aller à l'université s'ils le voulaient. Presque tout le monde l'a utilisé. »

Lui aussi. Il est reçu au Barreau en 1988. « J'avais 23 ans. C'est jeune en maudit pour devenir avocat. Ce n'était pas nécessaire dans ma vie, je trouvais ça trop angoissant. »

Trop angoissant ? Il s'embarque tout de même pour quatre ans de galère à l'École nationale de théâtre. Rusé, il place ses prêts et bourses d'études et survit en travaillant comme rédacteur et journaliste à Radio-Canada, durant les week-ends et les vacances.

« Quand je suis sorti de l'École nationale de théâtre, au lieu d'avoir 15 000 $ de dettes comme tous mes amis, je n'avais aucune dette. »

Il y avait toutefois un prix : « Je travaillais comme un fou. »

REEE

Le soutien aux études est un autre héritage légué par ses parents. Philomène, sa fille de 19 ans, étudie en littérature au cégep.

« Elle se sert présentement de son REEE. Tout l'argent que j'ai économisé avec la mère de ma fille, qui n'est pas ma conjointe actuelle, on s'en sert actuellement pour payer ses études. »

Il a deux autres enfants, âgés de 5 et 7 ans. « Pour mes deux autres enfants, Édith et moi, on a ouvert un REEE. Les études coûtent de plus en plus cher et ça va aller en augmentant. On a bien de la pression. C'est bien de s'y préparer. »

REER

« J'ai fait plein de choses, j'ai toujours gagné ma vie raisonnablement pour avoir un toit, des vêtements et de la nourriture. »

Le toit en question, il l'a acquis en 2000, sans qu'il ait eu à utiliser le Régime d'accession à la propriété. Deux ans plus tard, il s'achetait une petite maison, qu'il possède toujours.

« Depuis 15 ans, j'ai une hypothèque, comme un monsieur. Malgré tout, je place de l'argent dans mes REER chaque année, dans les REEE. On s'en tire, mais on ne dépense pas trop non plus. »

Ils ont tout de même un chalet, reconnaît-il.

« C'est une autre hypothèque. On le fait pendant un certain temps, quand les enfants sont jeunes, mais à un moment donné, c'est une pression financière qui est contre-productive pour le degré de bonheur, je trouve. »

Le bonheur n'est pas dans le prêt.

RIRE

Il cherche d'abord la sérénité, y compris dans le risque. Comme celui de lancer un spectacle d'humour au tournant de la cinquantaine.

Il ne l'a pas fait pour devenir riche. « Je ne suis pas un vrai humoriste, et l'argent, avec mon show d'humour, je n'en ai pas fait. Je peux démystifier ça, les shows d'humour, ce n'est pas magique. »

Il est payé raisonnablement, dit-il. « Ça fonctionne très bien, mais moi, je ne voulais pas faire plus de 50 spectacles par année. »

Car chaque spectacle est un voyage en soi, une expédition loin du foyer.

« Tu fais de l'argent, oui, mais tu n'as plus de vie. »

Il préfère davantage de vie et moins d'argent.

RÊVE

Il a 51 ans. « Dans quatre ans, Liberté 55 », rigole-t-il. Ce n'est le rêve ni l'objectif d'aucun artiste qui vit de son métier. Néanmoins, il cotise à ses REER depuis ses 20 ans.

Il a un conseiller financier, avec lequel il maintient une relation pour le moins épisodique. « Il appelle, je ne réponds pas. Je n'ai jamais le temps. Ça ne me tente pas. »

Il sait depuis ses débuts qu'il faut compter avec la malchance, les creux dans la carrière, la maladie. Mais il ne s'appuie pas sur ses REER pour ces éventualités.

« Mes REER ne sont pas suffisants pour des années qui n'iraient pas bien. Je n'ai pas envie de piger dans mes REER pour survivre. J'ai envie de piger dans mes REER quand j'aurai l'âge de piger dans mes rêves. »

Ça, il en a beaucoup en réserve.