Le nouveau four à pain commercial Revolution de Fours Picard est un énorme appareil de 2,4 m de hauteur.

Il a tous les attributs d'une cuisinière domestique allemande dernier cri: surfaces noires, panneaux en inox, porte vitrée à bords francs, tableau de commande numérique. Il a été dessiné par le bureau de design industriel montréalais Alto Design.

«C'est beau à 50 pieds de distance, et c'est beau le nez collé dessus», observe Patrick Mainville, associé directeur général chez Alto Design. Avec ce commentaire, il ne vante pas le travail de sa firme. Il souligne plutôt la remarquable mise au point réalisée par l'équipe technique du fabricant de Victoriaville pour concrétiser cette vision sans la trahir.

Fours Picard voulait que la refonte complète de son vieux modèle datant de 1980 s'exprime également dans son apparence. L'entreprise a confié à Alto Design le mandat de faire une proposition ergonomique et esthétique, avec un minimum de spécifications techniques.

Le fabricant s'est ensuite chargé de terminer la mise au point en fonction de ses moyens de production. Alors qu'une PME est toujours tentée de réduire les coûts avec des détails d'assemblage moins sophistiqués - et plus apparents! -, le four Revolution montre les mêmes lignes épurées que l'illustration présentée par Alto Design.

«Quand on reste toujours avec les mêmes idées et les mêmes employés, il vient un temps où on a fait le tour de la table», constate Guy Picard, vice-président de Fours Picard. «À l'interne, on va toujours faire des boîtes carrées, on va toujours travailler de la façon la plus facile sur le plan du dessin et de la fabrication. Une firme de design va apporter un style complètement différent. Si on était resté à l'interne, on aurait eu un nouveau four, mais il aurait ressemblé énormément à l'ancien.»

Le four Revolution est un exemple de collaboration harmonieuse - un des gages de l'innovation de produit réussie.

Briser la routine

André Desrosiers, professeur à l'École de design de l'UQAM, mène présentement une recherche sur les designers industriels à l'emploi d'entreprises manufacturières.

La plupart sont intégrés dans une structure de production ou dans un service de recherche et développement. Une part importante de leur tâche consiste à apporter des améliorations ou à faire des adaptations aux produits existants. L'innovation plus radicale n'occupe que la partie congrue de leur horaire.

En effet, la PME qui a connu un premier succès en innovation tendra à systématiser sa méthode de développement de produits. Or, cette recette introduit un arrière-goût de routine dans la création.

«Une fois que l'entreprise a mécanisé son processus, elle devra aller un peu à l'encontre de cette première recette si elle veut innover à nouveau, souligne André Desrosiers. Et c'est un passage difficile.»

Pour qu'un produit radicalement nouveau émerge de cette structure bien installée, il faudra fréquemment créer une équipe spéciale, complémentaire à celle vouée à l'innovation continue.

«Il faut presque un bureau interne d'advance design (design prospectif), soutient-il. C'est là, ou dans des bureaux de consultants externes, que va se générer l'innovation, parce que ce projet nécessite d'autres qualités, d'autres méthodologies.»

Quand l'innovation radicale doit-elle être prise en charge au sein de l'entreprise plutôt que confiée en partie des consultants?

«Lorsqu'un produit a besoin d'évoluer rapidement, il y aura plus souvent une équipe à l'interne, répond Mario Gagnon, président de l'Association des designers industriels du Québec. Quand un produit a une saveur technologique importante, il est important que ce savoir-faire fasse partie de la culture de l'entreprise, parce qu'il constitue en fait la valeur de l'entreprise.»

Pour des projets plus ponctuels, plus rares, ou qui rompent avec sa tradition et son expertise, l'entreprise fera davantage appel aux consultants.

Mais qu'elle soit interne ou assistée d'une firme externe, l'équipe de conception doit être constituée de manière à produire de la créativité. Pour que la pâte lève, l'imagination et la technique - designers et ingénieurs - doivent être parfaitement dosées.

L'OPINION DE NOTRE ENTREPRENEUR

Alain Lemaire

Président et chef de la direction de Cascades inc.

Les gens ont tendance à penser que l'innovation consiste à toujours réinventer la roue. Je suis de ceux qui croient que l'innovation est aussi une extension de l'amélioration continue: c'est faire différemment, réduire les coûts. Ce sont souvent les petits détails qui font la différence. L'innovation exige de l'ouverture, de l'écoute, de l'audace, des investissements. Et de la conviction. Il est facile aujourd'hui de naviguer sur le web et de voir ce qui se fait partout dans le monde en temps réel. Renseignons-nous d'abord sur ce qui se fait ailleurs. Ça nous évitera peut-être une étape de développement, ou ça nous aidera à pousser plus loin notre idée de base, à bonifier celle d'un autre ou à peaufiner un projet pour arriver lus rapidement à nos fins. Ensuite, on pourra développer une technologie ou un produit qui sera personnalisé et qui nous procurera un avantage concurrentiel.