La province a tout ce qu'il faut pour devenir une véritable économie verte. Ce qui lui manque? Un gouvernement qui prêche par l'exemple dans ses politiques publiques, estiment des intervenants du milieu.

Le Québec ne peut pas se targuer d'être un chef de file en matière d'économie verte.

En tout cas, pas encore. «Nous avons tout ce qu'il faut pour l'être, notamment avec l'hydroélectricité, la Bourse du carbone et l'expertise développée dans certaines entreprises qui sont très efficaces dans l'utilisation de leurs ressources, observe Jean Simard, PDG de l'Association de l'aluminium du Canada et l'un des représentants de Switch, l'Alliance pour une économie verte au Québec. Cela dit, nos vieilles habitudes nous freinent dans la création d'une véritable économie verte en nous empêchant de prendre des risques. Il faut sortir de cet engrenage et le seul levier pour y parvenir, ce sont les politiques publiques.»

Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki et également membre de Switch, abonde dans le même sens. «L'inertie du système est grande dans une économie développée comme celle du Québec, dit-il. Le leadership du gouvernement aiderait à renverser la tendance.»

Selon Switch - organisation qui regroupe des organisations des milieux financiers, économiques et environnementaux -, l'État pourrait commencer à prêcher par l'exemple en ayant recours à l'écofiscalité.

Une réforme fiscale verte est définie comme «l'ensemble des instruments économiques qui s'appuient sur les principes de l'utilisateur-payeur ou du pollueur-payeur visant à encourager les activités désirables, à stimuler l'innovation technologique et à décourager les activités nuisibles à l'environnement.»

Le rapport Godbout recommande d'ailleurs au gouvernement de suivre «de près les recherches et les expériences en matière d'écofiscalité», ce qui représente un pas dans la bonne direction, selon les deux représentants de Switch. «Qui plus est, dans son dernier budget, Québec a annoncé son intention d'étudier ces recommandations», ajoute avec satisfaction Jean Simard.

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Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki et également membre de Switch.

Le potentiel des marchés publics

Un autre domaine qui aurait besoin d'une cure verte est celui des achats publics. Chaque année, le gouvernement dépense quelque 30 milliards en biens et services par l'entremise d'appels d'offres dont les critères sont dominés par le principe du plus bas soumissionnaire, reléguant loin derrière le souci du développement durable. «C'est l'approche Dollarama, résume Jean Simard. On vise le moins cher, mais en fin de compte, ça s'use vite, ça brise et c'est plus cher.»

En intégrant dans ses pratiques d'achats des critères comme l'analyse du cycle de vie et le coût total de possession, le gouvernement pourrait créer un effet d'entraînement dans la chaîne d'approvisionnement. «On fournirait des conditions de marché favorables aux entreprises pour qu'elles améliorent leurs processus et leurs technologies, ce qui est difficile à l'heure actuelle en raison de la concurrence, croit Karel Mayrand. L'État doit lancer ce signal. Ça ne se fera pas tout seul, à moins qu'on subisse un choc pétrolier énorme comme dans les années 70, ce qui serait très étonnant.»

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Jean Simard, PDG de l'Association de l'aluminium du Canada et l'un des représentants de Switch, l'Alliance pour une économie verte au Québec.

L'économie circulaire

Pour le chercheur Daniel Normandin, l'économie verte est une bonne chose en soi, «mais ça part un peu dans tous les sens. Il y a autant de définitions de l'économie verte que de gens qui la défendent. Résultat: les multiples initiatives ne sont pas cohérentes.»

Il prône une approche plus concrète et ciblée: l'économie circulaire. «Elle vise à diminuer l'utilisation des ressources par habitant pour réduire les répercussions sur l'environnement tout en maintenant un niveau de bien-être équivalent ou supérieur», explique M. Normandin, qui dirige l'Institut de l'environnement, du développement durable et de l'économie circulaire créée il y a tout juste un an.

L'économie circulaire s'incarne ainsi dans la conception de pièces de rechange pour des produits comme des téléphones, la possibilité de réparer facilement et à moindre coût des électroménagers ou encore la création de services de partage comme BIXI et Communauto.

Daniel Normandin croit que l'économie circulaire, promue par le Forum économique mondial, ne peut être qu'un succès. «C'est une prise de conscience du monde des affaires», remarque-t-il, ajoutant que des pays d'Europe et d'Asie se mobilisent pour mettre en place une économie circulaire.

Au Québec, il est trop tôt pour observer des avancées tangibles. Cependant, M. Normandin observe des signes prometteurs. «On en parle depuis seulement un an et déjà, des sociétés d'État nous commandent des études pour savoir comment l'économie circulaire pourrait se déployer dans certains secteurs industriels, dit-il. Si on réussit à convaincre les plus hautes sphères gouvernementales d'adhérer au mouvement, on pourrait voir des changements rapidement.»

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Daniel Normandin est directeur exécutif de l'Institut de l'environnement, du développement durable et de l'économie circulaire.

En chiffres

Consultez le plan d'action pour des marchés publics performants et responsables de Switch: https://bit.ly/1J7xwJn

Consultez le rapport du Forum économique mondial sur l'économie circulaire (en anglais): https://bit.ly/1ro5wei

3 milliards

L'industrie mondiale des technologies propres pourrait atteindre ce montant en 2020.

257 milliards US

Somme globale des investissements en énergies renouvelables en 2011, avec un taux de croissance annuel moyen de 31% depuis 2004

630 milliards US

Somme que les manufacturiers européens pourraient économiser chaque année s'ils adoptaient les principes de l'économie circulaire.