Le Québec a la chance d’être collé sur les États-Unis. Mais c’est aussi un obstacle à l’exportation, alors que c’est souvent le seul marché international des PME québécoises.

« Le manque de diversification des marchés est encore aujourd’hui le principal défi à l’exportation, même si nous investissons beaucoup d’efforts du côté de l’Europe et de l’Asie », indique Marie-Eve Jean, vice-présidente Exportations chez Investissement Québec.

Pourquoi est-ce un problème ? « C’est certain que dans un sens, les États-Unis sont intéressants pour les PME québécoises parce qu’ils sont voisins et que nous avons un accord de libre-échange avec eux, ajoute-t-elle. Mais cela fait que les PME québécoises sont très dépendantes du marché américain. »

Ainsi, s’il y a un ralentissement économique, elles en souffrent.

« Mais aussi, la croissance prévue du PIB aux États-Unis l’an prochain est de 1 %, illustre Marie-Eve Jean. Or, dans les pays émergents, par exemple au Moyen-Orient et en Asie, elle est plus autour de 3 %. En Afrique subsaharienne, par exemple en Côte d’Ivoire, elle est de 4 ou 5 %. C’est un potentiel inexploité pour les entreprises québécoises qui, avec leurs ressources limitées à consacrer à l’exportation, vont souvent hésiter à s’investir dans d’autres marchés. »

Faire ses recherches

L’entreprise d’effets spéciaux Rodeo FX, lancée il y a 17 ans avec trois personnes qui travaillaient dans un sous-sol, a crû avec l’exportation. Tellement qu’aujourd’hui, elle compte 1000 employés. Pas moins de 98 % de ses revenus viennent de l’étranger, principalement des États-Unis, plus spécifiquement de la Californie, où se trouvent ses principaux clients, comme Warner, Paramount, HBO, Netflix, Amazon et Apple. Pour être près d’eux, l’entreprise a d’ailleurs un bureau à Los Angeles depuis ses débuts.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Sébastien Moreau

« J’ai travaillé longtemps aux États-Unis avant de démarrer Rodeo FX, notamment avec George Lucas, donc je connaissais bien le marché et je lançais vraiment l’entreprise au Canada pour servir les productions américaines », explique Sébastien Moreau, président-directeur général de Rodeo FX, qui a travaillé récemment entre autres sur The Little Mermaid, de Disney.

L’entreprise met des efforts depuis plusieurs années pour investir le marché européen. Pendant cinq ans, elle a eu un bureau à Munich avant de le déménager à Paris l’an dernier.

« Munich a été un défi, confie l’entrepreneur. Pourtant, nous avions bien analysé le marché, avec sa main-d’œuvre qualifiée dans le domaine des effets spéciaux. Puis, nous avions trouvé un directeur de studio de confiance, ce qui est très important. Mais tout de même, la barrière de la langue était difficile : il fallait faire traduire tous les contrats que nous signions. Puis, nous avons perdu notre directeur. Et il faut dire aussi qu’il y a très peu de crédits d’impôt à Munich dont peuvent bénéficier nos clients. »

Lorsque Emmanuel Macron a présenté en 2021 le plan France 2030 qui comprend l’instauration de crédits d’impôt pour l’industrie créative, Rodeo FX a été tentée de faire le saut.

« C’est très important pour nos clients, indique Sébastien Moreau. Puis nous sommes une compagnie francophone et nous avons plusieurs employés originaires de France, alors c’est certain que c’est un pays très intéressant pour nous. Nous avons tout de même fait des recherches pendant deux ans sur le pays et sur les différentes villes où nous pourrions nous installer avant d’ouvrir finalement notre bureau à Paris. »

Se faire accompagner

Rodeo FX ne fait pas ce travail seule : en plus de se faire accompagner des instances gouvernementales comme Investissement Québec, elle va chercher des professionnels sur place, comme des avocats et des comptables, qui connaissent bien les particularités du marché.

Nous accompagnons les entreprises dans leurs recherches de marchés pour qu’elles investissent leurs ressources aux bons endroits. Souvent, elles hésitent entre quelques villes et nous les aidons à aller chercher des données plus précises, par exemple sur la taille du marché et les compétiteurs. Puis, nous les faisons rencontrer les bonnes personnes sur place.

Marie-Eve Jean, vice-présidente Exportations chez Investissement Québec

En plus de l’Europe, elle souligne que parmi les autres marchés qui peuvent être intéressants pour les entreprises québécoises, il y a la Corée du Sud, par exemple pour les industries créatives. Puis plus proche de nous, le Mexique, avec qui nous avons un accord de libre-échange, et qui est intéressant notamment pour l’industrie du transport.

« Les PME doivent être conscientes tout de même que percer un nouveau marché demande du temps, précise Marie-Eve Jean. Mais une fois qu’on a réussi à créer des relations solides, généralement, elles se maintiennent dans le temps, surtout si son produit ou service est distinctif. Mais c’est certain qu’à un moment donné, c’est bon aussi d’avoir un bureau local pour prendre le pouls du marché et s’adapter en conséquence. »

Trois obstacles à l’exportation

Pénurie de main-d’œuvre

PHOTO COLE BURSTON, ARCHIVES BLOOMBERG

La pénurie de main-d’œuvre touche davantage les PME que les grandes entreprises.

Le plus grand défi de l’exportation, aux yeux de Véronique Proulx, PDG des Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), c’est la pénurie de main-d’œuvre. Elle souligne qu’il y avait près de 32 000 postes vacants dans l’industrie manufacturière au Québec en 2022, contre 24 000 en ce moment. « La pression a diminué parce que la demande internationale a diminué et le nombre de travailleurs temporaires a augmenté, indique-t-elle. Mais les grandes entreprises bénéficient davantage de la situation que les PME, qui n’ont pas autant de ressources pour attirer et garder leur main-d’œuvre. Donc le manque de personnel continue de venir limiter leur capacité à exporter. »

Faible productivité

PHOTO FRANCIS KOKOROKO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les PME québécoises doivent investir davantage dans la transition numérique.

Véronique Proulx s’inquiète aussi de la faible productivité des PME québécoises. « La croissance des investissements quant aux équipements/machineries des manufacturiers au cours des cinq dernières années était d’environ 30 % au Royaume-Uni et de 23 % aux États-Unis, contre 8 % au Canada, précise-t-elle. Il y avait déjà un retard de productivité, il continue de s’accroître. Et lorsqu’on arrive à l’international, qui dit moins productif dit moins compétitif. » De plus, elle ajoute qu’il y a près de 13 000 PME manufacturières au Québec de moins de 100 employés et environ la moitié d’entre elles n’ont pas encore entamé leur transition numérique. « Un truc est de commencer par un petit projet qui permettra un retour rapide sur l’investissement et la mobilisation des équipes, conseille Véronique Proulx. Il y a de l’aide au Québec pour le faire. »

Infrastructures de transport

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les interruptions dans la chaîne d’approvisionnement ont vraiment un impact négatif pour les entreprises, qui craignent une grève au port de Montréal en janvier prochain.

Les enjeux sur le plan des infrastructures de transport sont aussi un frein à l’exportation pour les PME québécoises, remarque Véronique Proulx. « Il y a eu la grève au port de Vancouver en août et on a vu pendant ce mois-là une diminution des exportations, illustre-t-elle. Puis, il y a des négociations pour renouveler la convention collective en ce moment au port de Montréal et si ça ne se règle pas, il pourrait y avoir une grève en janvier. Les interruptions dans la chaîne d’approvisionnement ont vraiment un impact négatif pour les entreprises qui exportent et qui importent. Et ce n’est pas partout qu’on voit ce genre de conflit dans les relations de travail. »