La pandémie a entraîné une crise de l’approvisionnement avec les conteneurs qui restaient coincés dans les ports, les usines qui n’avaient plus les matières premières et les entreprises qui accumulaient des stocks pour sécuriser leur production. Si la crise est passée, l’approvisionnement demeure un risque, surtout lorsque la chaîne est longue. Des PME sont à la recherche de solutions.

Avoir le sens du timing, c’est ce qu’on peut dire d’Anthony Vendrame, président fondateur de Poches & Fils. Juste avant la COVID-19, il a décidé que son entreprise qui installe des poches personnalisées sur des t-shirts arrêtait de s’approvisionner en Chine.

« Je voulais réduire notre empreinte écologique, affirme-t-il. Quand on s’approvisionne en Chine, il faut s’y rendre pour inspecter les usines et la qualité, puis les t-shirts voyagent par bateau ou par avion, alors c’est très polluant. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Dorénavant, Poches & Fils peut faire de petites commandes directement en fonction de ses besoins et les avoir très rapidement.

Un fabricant qui a de l’attraction

Puis, la PME de Montréal devait commander 25 000 t-shirts à la fois. « On était un petit client pour eux, alors si on n’était pas contents de quelque chose, on n’avait pas de pouvoir de négociation, explique l’entrepreneur qui a fondé son entreprise en 2015. Il fallait avancer beaucoup d’argent à chaque commande et c’était long avant d’écouler les stocks qu’il fallait entreposer. Puis, c’était impossible de commander le bon nombre de t-shirts par grandeur qu’on finirait par vendre. »

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Anthony Vendrame, président fondateur de Poches & Fils, a cessé de commander ses t-shirts en Chine juste avant la pandémie pour se tourner vers un fournisseur québécois.

Anthony Vendrame a donc été très heureux de trouver le fabricant de t-shirts Attraction, à Lac-Drolet, en Estrie. « Chaque t-shirt me coûte plus cher, mais je peux faire de petites commandes directement en fonction de mes besoins et les avoir très rapidement, explique-t-il. Aussi, la communication est plus facile et je peux me rendre à Lac-Drolet facilement au besoin, ou demander un échantillon et l’avoir dans la même journée. Le travail est beaucoup plus coopératif. »

Son entreprise de 10 employés a aussi pu déménager pour réduire de plus de moitié la taille de son entrepôt. Puis, le transport a été grandement réduit et les t-shirts sont maintenant fabriqués avec 50 % de coton biologique et 50 % de polyester recyclé. L’entrepreneur est convaincu que sans ce changement, il n’aurait pas survécu à la pandémie.

« Commander 25 000 t-shirts d’un coup mettait une immense pression sur nos liquidités, explique-t-il. Puis, les banques prêtent de l’argent lorsqu’on présente des bons de commande, mais seulement les boutiques en donnent. Pendant la COVID-19, elles n’allaient pas bien. Je vendais juste en ligne aux particuliers. »

Maintenant en train de se remettre sur pied, il peut regarder vers l’avant et envisager de nouveau la croissance.

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Poches & Fils a procédé à un changement de fournisseur avant la crise d’approvisionnement de la COVID-19.

Le calme… avant la prochaine tempête

Si Poches & Fils a fait ce changement avant la crise d’approvisionnement de la COVID-19, plusieurs autres entreprises travaillent en ce moment à revoir leurs choix. « Les problèmes d’approvisionnement ressortent dans nos sondages parmi les freins à la croissance pour les entreprises canadiennes des secteurs de la construction, de la fabrication, du commerce de gros, du commerce de détail et de l’agriculture », affirme François Vincent, vice-président, Québec, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

Aux yeux de Stéphane Drouin, vice-président, achats québécois et développement économique, à Investissement Québec, l’approvisionnement demeure effectivement un grand risque actuellement.

La crise est passée, même si les difficultés se poursuivent dans certains secteurs comme celui de la transformation métallique, mais les entreprises ont pris conscience de leur vulnérabilité par rapport à leur chaîne d’approvisionnement. Plus elle est longue, plus elle risque de se briser.

Stéphane Drouin, vice-président, achats québécois et développement économique, à Investissement Québec

L’expert est d’ailleurs d’avis que si les problèmes de logistique se sont calmés, c’est en grande partie en raison de la baisse de la demande mondiale.

« Mais on s’attend à ce qu’elle remonte dans environ deux ans et à ce moment-là, les enjeux logistiques reviendront », croit-il.

Il souligne aussi qu’il y a de nombreux risques géopolitiques à considérer, comme la guerre en Ukraine qui a encore des impacts sur les métaux, puis les tensions entre la Chine et Taïwan.

« C’est donc le temps pour les PME québécoises de réaliser des changements dans leur chaîne d’approvisionnement, affirme-t-il. Nous aidons les entreprises à trouver des fournisseurs ici et s’il n’y en a pas, nous tentons d’intéresser des entreprises d’ici à commencer à fabriquer les produits recherchés, ou encore, d’attirer des entreprises étrangères pour venir les fabriquer ici. »

Quatre autres défis à la croissance

Pénurie de main-d’œuvre

D’après les données récoltées dans le Baromètre des affaires de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), la pénurie de main-d’œuvre demeure l’un des principaux freins à la croissance. « Elle met encore beaucoup de pression sur les entreprises, notamment au Québec où les taxes sur la masse salariale sont nettement supérieures à la moyenne canadienne, alors que 8 provinces sur 10 ont un taux d’imposition plus bas et que le Québec est la seule province qui ne donne pas accès à un taux d’imposition réduit aux petites entreprises du secteur de la construction », affirme François Vincent, vice-président, Québec, de la FCEI.

Arrimage besoins et formation

Un autre frein à la croissance est la mauvaise adéquation entre la formation offerte et la réalité du marché du travail. D’ailleurs, en mai 2023, 66 % des PME sondées par la FCEI au Québec affirmaient avoir de la difficulté à trouver des candidats ayant des compétences de base répondant aux besoins de l’entreprise, alors que c’était 63 % en avril 2021. « Plusieurs entreprises reçoivent maintenant des curriculum vitae, mais les compétences des candidats ne correspondent pas à leurs besoins, indique François Vincent. Il y a des investissements à faire en formation pour s’attaquer à cet enjeu. »

Inflation

L’augmentation des coûts des PME québécoises, en raison de l’inflation, est aussi un frein à la croissance. Une étude de la FCEI révèle que pas moins de 73 % des PME ont augmenté leurs prix pour compenser la hausse. « Mais chez les entreprises de moins de cinq employés, seulement 65 % l’ont fait, nuance François Vincent. Cela vient diminuer leur marge de profit, ou les amène à s’endetter, donc finalement, la conséquence est que l’augmentation des coûts les affaiblit. »

Développement durable

Les exigences en matière de développement durable sont un autre élément qui peut freiner la croissance de certaines entreprises, remarque Stéphane Drouin, vice-président, achats québécois et développement économique, à Investissement Québec. « De plus en plus, les grands donneurs d’ordres, surtout en Europe, demandent aux entreprises de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ou d’aller chercher des certifications, comme l’ISO 14 000 en environnement, illustre-t-il. Les fournisseurs du Québec qui fonctionnent à l’hydroélectricité peuvent être favorisés, mais de plus en plus, on regarde toute la chaîne d’approvisionnement, donc le fournisseur du fournisseur. »