La pandémie, les pénuries et la guerre en Ukraine ont bouleversé le paysage du transport maritime. Au Québec, l’adaptation aux changements se traduit par une collaboration renforcée entre les différents acteurs de l’industrie, tant du point de vue de l’innovation technologique que de la main-d’œuvre.

Les crises se succèdent pour l’économie mondiale et, par ricochet, pour le transport maritime. Après la COVID-19, les pénuries en tout genre ont fini de changer la donne : les perturbations sont devenues la norme.

Dans le secteur industriel, la politique du « juste à temps a été transformée en juste au cas où », illustre Mathieu Saint-Pierre, président de la Société de développement économique du Saint-Laurent (SODES).

Le transport maritime a dû s’adapter et doit encore trouver des solutions pour montrer davantage de flexibilité, afin d’être prêt pour les prochaines crises. « Quand un navire arrive dans un port, il transporte l’équivalent d’un millier de camions ou de 300 wagons, qui doivent entrer et sortir du port », affirme le président de la SODES, qui plaide pour une amélioration des relations entre la Voie maritime, la route et la voie ferrée.

PHOTO PAUL DIONNE, COLLABORATION SPÉCIALE

Mathieu St-Pierre, président de la Société de développement économique du Saint-Laurent (SODES)

Au début de l’été, les ports de Montréal, de Québec et de Trois-Rivières ont signifié leur volonté d’accroître leur collaboration pour fluidifier leurs opérations, mais aussi pour mieux vendre l’image des ports québécois à l’étranger. Ces trois grands acteurs se disent prêts à mettre leurs données en commun pour développer des outils d’aide à la décision et pour faciliter l’interconnexion avec les autres réseaux de transport.

De son côté, l’Association des employeurs maritimes (AEM) n’est pas en reste. À partir du 1er janvier 2023, l’employeur des 1700 débardeurs et vérificateurs des ports de Montréal, de Contrecœur, de Trois-Rivières et de Bécancour déploiera son système d’intelligence artificielle Galileo, qui permettra d’améliorer la planification de la main-d’œuvre portuaire. Avec cet outil, conçu par la firme Airudi et la grappe Scale AI, les employeurs maritimes pourront connaître — et même ajuster — l’horaire exact d’arrivée des bateaux jusqu’à 21 jours en avance.

Aujourd’hui, la visibilité réelle des employeurs varie d’une demi-journée à 24 heures au maximum. En effet, 60 % des navires n’arrivent pas à l’horaire initialement prévu.

Or, le port de Montréal est le seul port en Amérique du Nord où on retrouve une main d'oeuvre syndiquée avec une convention collective assurant la sécurité d'emploi, pointe Robert Roy, président de l’AEM. Il est essentiel pour les employeurs maritimes de faire venir leurs employés au moment où le navire peut être déchargé, de préférence le matin, alors que les heures en après-midi sont payées 50 % de plus, et que les heures de nuit sont payées le double. « Nous pourrons faire arriver les navires dans une fenêtre où on peut travailler à moindre coût », souligne M. Roy. D’ici la fin de l’année 2023, Galileo devrait s’intégrer à l’écosystème d’intelligence artificielle du port de Montréal, précise M. Roy, en se félicitant de cette contribution à une meilleure gestion des flux logistiques.

Le choc humain de la guerre

Chez Fednav, la guerre en Ukraine a été un choc. La plus grande entreprise canadienne de transport maritime international de vrac est directement touchée par le conflit militaire. C’est qu’elle compte 200 marins ukrainiens parmi l’ensemble de ses 1500 marins dans le monde. Certains étaient en Ukraine lors du déclenchement de la guerre en février, et ils ont été enrôlés dans l’armée ukrainienne, relate Martin Krafft, vice-président chargé de la gestion de la flotte chez Fednav. D’autres ont rejoint leur pays pour s’engager.

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Nicole Trépanier, directrice principale, relations externes et communication chez Fednav, et Martin Krafft, vice-président de la flotte chez Fednav

Ceux qui sont restés sur les navires peinaient à communiquer avec leurs familles en Ukraine. Fednav a mis à leur disposition une connexion internet illimitée, comme durant la pandémie, quand ses marins ne pouvaient pas descendre à terre. Les marins ukrainiens restés à bord continuent de travailler avec d’autres marins, dont plusieurs de nationalité russe, avec tout le potentiel de tensions qu’on peut imaginer. « Nous avons déployé une ligne d’appel pour que les marins puissent parler avec des psychologues, et obtenir du soutien pour eux et pour leur famille », explique Martin Krafft.