Asseoir à la même table les plus importants investisseurs de la planète pour qu'ils discutent, investissent ensemble et créent de la valeur: le projet paraît irréaliste tellement il est ambitieux.

C'est pourtant ce qu'a réussi à faire un avocat de Québec, Christian Racicot, en tissant des liens dans le monde de la très haute finance mondiale pour rassembler autour d'une vision des gens qui ne s'étaient souvent jamais parlé.

«Dans la vie, tu fais des affaires flyées et ça marche. Alors qu'est-ce que tu fais ensuite? Tu te dis que ç'a marché, et tu recommences. Et tu fais des affaires de plus en plus flyées», dit-il pour expliquer son initiative.

En écoutant cet avocat de la firme BCF, il arrive toujours un moment où le doute s'installe. L'homme a le don d'accoucher d'histoires si rocambolesques qu'on en vient à se demander s'il ne nage pas en plein mythe. Les preuves de ses réalisations, pourtant, existent bel et bien.

Nouveau bébé

Christian Racicot brandit d'ailleurs une photo sur laquelle est immortalisée la naissance de son nouveau «bébé», la Table ronde des investisseurs institutionnels. L'entente a été signée à Québec l'an dernier, mais n'a pu être dévoilée que tout récemment.

«Regarde mon sourire: là, j'étais content. Vraiment content», dit-il en pointant la photo sur laquelle il figure au milieu de gens qui, le moins qu'on puisse dire, ont les poches profondes.

À ses côtés se trouvent les hauts dirigeants du fonds souverain d'Abu Dhabi, le deuxième en importance du globe avec une fortune estimée à 627 milliards US. Sont aussi présents ceux de la China Investment Corporation, un bras d'investissement du gouvernement chinois qui gère la bagatelle de 440 milliards US, selon les estimations du Sovereign Wealth Fund Institute.

On y voit aussi les grands bonzes de la Caisse des dépôts et consignations de France, ceux d'une filiale du fonds souverain de la Russie et ceux de QIC, un fonds australien de 68 milliards.

Ces cinq sociétés forment les membres fondateurs de la Table ronde des investisseurs institutionnels, une entité sans but lucratif enregistrée au Québec. Christian Racicot en est le président. La société se veut une plateforme «neutre» et «apolitique». Ses objectifs: réunir les fonds souverains, caisses de retraite et autres grands investisseurs de la planète pour explorer des façons d'investir ensemble, de tirer profit des expertises de chacun et d'établir des relations de confiance entre les membres.

Une histoire digne d'un film

Le parcours qui a mené Christian Racicot à jouer les entremetteurs entre les grands financiers de la planète est digne des meilleurs films. Tentons de résumer. L'affaire débute il y a une dizaine d'années, lorsque l'avocat se met en tête d'aider les entrepreneurs de la Ville de Québec à percer les marchés internationaux. Il passe un coup de fil à Stephen Hurwitz, avocat qui fait le même métier que lui à Boston, et le convainc d'amener quelques financiers à Québec pour donner des conseils aux entrepreneurs.

Les bases de ce qui allait devenir la Conférence de Québec sont jetées. M. Racicot et M. Hurwitz répètent l'expérience l'année suivante, et les choses prennent rapidement une proportion insoupçonnée. Afin d'attirer à Québec les meilleurs financiers, les deux hommes comprennent qu'ils doivent aussi y amener ceux qui remplissent leurs coffres, soit les caisses de retraite et autres investisseurs institutionnels.

Le calibre des conférenciers grimpe sans cesse, et Christian Racicot gère bientôt sa conférence comme un jeu d'échecs. Les invités sont triés sur le volet, et les organisateurs mettent un soin maniaque à mettre en contact seulement les gens qui doivent l'être, évitant aux grands de ce monde de se faire importuner.

Il y a deux ans, cependant, Christian Racicot sent que la conférence est à la croisée des chemins. Certains des plus importants investisseurs de la planète sont représentés à Québec, mais ils n'y sont pas tous, et ce ne sont pas toujours leurs plus hauts dirigeants qui y sont envoyés. L'homme sent que leur enthousiasme s'essouffle, ce qui met en péril toute sa conférence. Il comprend qu'il doit leur offrir davantage.

«Ces gens-là veulent des résultats tangibles quand ils se déplacent», dit Christian Racicot.

D'où l'idée de former une «conférence dans la conférence» spécialement conçue pour les grands investisseurs institutionnels, avec des règles et des objectifs clairement édictés.

«On parle de réunir des gens qui ne se connaissent pas et qui n'ont pas l'habitude de fréquenter les conférences», dit Christian Racicot.

Répondre aux besoins

L'homme fait ses devoirs. Pour comprendre les besoins des grands investisseurs, il demande conseil à certains d'entre eux qui, au fil des ans, sont devenus ses amis.

Il finit par déterminer 13 raisons pour lesquelles les grands investisseurs de la planète ne collaborent pas. Et les transforme en «facteurs de succès» qui permettraient de renverser la tendance.

Toujours en mode stratégique, Christian Racicot comprend que pour rallier les grands bonzes de l'investissement autour de sa vision, il doit commencer par le haut de la pyramide. Il concentre ses efforts sur deux cibles: les fonds souverains d'Abou Dhabi et de la Chine.

«Abou Dhabi, à cause de sa taille. La Chine, parce que c'est la Chine et que c'est un incontournable. J'ai compris que si j'avais ces deux-là, les autres allaient suivre. Alors je suis parti en Chine, en classe économique, pour convaincre les Chinois», dit Christian Racicot.

Son pari fonctionne. La Chine et Abou Dhabi embarquent, bientôt suivis des autres. À la Conférence de Québec, l'an dernier, les membres fondateurs donnent officiellement naissance à la Table ronde des investisseurs institutionnels. Le groupe convient de se réunir deux fois par année, une fois à Québec, pendant la conférence organisée par M. Racicot, et une fois ailleurs dans le monde.

Depuis, trois fonds canadiens - Alberta Investment Management Corporation, Ontario Teachers's Pension Plan et l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada - se sont joints à la Table. L'initiative a déjà conduit à des investissements communs entre les membres.

«On fait tout ça pour une raison: créer de la valeur et accoucher de résultats tangibles.» Quant à ses propres motivations, Christian Racicot les résume bien simplement.

«J'ai du fun à faire ça, lance-t-il. Mais vraiment du fun.»