Faire vieillir du poisson comme on le fait avec le bon vin, idée saugrenue ? Pas pour Christian Genest, qui admet d’emblée qu’entendre les mots « poisson » et « vieillissement » dans une même phrase, « c’est vraiment contre-intuitif ».

L’innovation

Le propriétaire de Fish, un club privé de sushi à emporter – un concept où les clients commandent en ligne à l’avance et passent ensuite sur place pour récupérer leur boîte –, a quand même tenté l’expérience. Au lieu de congeler ses poissons, il les a accrochés dans un cellier de vieillissement afin de pouvoir les conserver plus longtemps et d’en faire ressortir le goût. Il compterait, selon lui, parmi les rares à utiliser cette technologie au Québec puisque son poisson est livré frais dans sa cuisine. Il affirme qu’une grande majorité des comptoirs à sushis utiliseraient du poisson congelé.

La façon de faire qu’il a adoptée est en fait inspirée des Japonais. Depuis fort longtemps, ceux-ci conservent le poisson en l’assainissant avec des feuilles de kombu, une sorte d’algue que l’on retrouve à profusion au pays du Soleil-Levant. Pour reproduire ce procédé, chez Fish, on suspend le poisson dans un cellier s’apparentant à un frigo vitré, une technologie développée par une société allemande d’une valeur de 12 000 $. Le produit peut y rester de 14 à 48 jours à une température variant entre 1,2 et 2,4 degrés Celsius, notamment dans le cas du thon. « C’est un cellier où on contrôle la température, l’humidité, l’éclairage… » Une quantité d’un peu moins de 230 kilos de poisson peut y être emmagasinée.

« Il y a vraiment une différence au goût et à la couleur, perceptible pour quelqu’un qui fait une dégustation. Un poisson est plus frais s’il passe un mois dans le cellier que s’il passe un mois dans le congélateur », assure celui qui n’en est pas à ses premières armes en ce qui concerne les sushis. Il a fondé l’entreprise Sushi Taxi en 2000 pour la revendre en 2017.

L’histoire

En fondant son entreprise Fish, à Québec, en décembre 2022, M. Genest a fait une promesse d’affaires à ses clients : créer des sushis avec un minimum de riz et un maximum de poisson frais.

« Pour des sushis, du poisson frais comparativement à du poisson congelé, c’est deux univers complètement différents. Mais en matière de volume d’affaires, quand on démarre une nouvelle entreprise, c’est dur à planifier », reconnaît-il.

« Quand tu fais la promesse à tes clients d’utiliser du poisson frais, soit tu gères des déceptions (parce que tes stocks sont limités) pour ne pas avoir des pertes, soit tu te ramasses avec des pertes si tu veux servir tout le monde correctement pour ne pas décevoir personne. »

PHOTO GARY CALVÉ, FOURNIE PAR FISH

Le Fish est un concept où les clients commandent en ligne à l’avance et passent ensuite sur place pour récupérer leur boîte.

Il devait donc trouver une façon de conserver le thon, le saumon ou encore l’omble chevalier frais qu’il se faisait livrer et idéalement… éviter de les congeler. « Le thon que je placerais au congélateur, il va noircir, il va devenir flasque, il va être rempli d’eau et il va perdre 50 % de son goût », résume M. Genest.

« Cette semaine, on a reçu 140 livres de thon, raconte-t-il. C’est extraordinaire. En deux jours, on utilise 40 livres. Le reste, on le place dans le cellier. On est capables de faire un roulement. On sait que le thon, entre 14 et 28 jours, c’est là que la magie opère. On est capables de gérer les stocks. Plutôt que de passer par le congelé, on passe par le cellier. »

Après un séjour dans la « chambre » de vieillissement, le saumon, quant à lui, va avoir « un petit côté beurré, un petit côté noisette en arrière-goût », décrit Christian Genest.

« Au départ, je pensais conserver les poissons, pas nécessairement les améliorer », reconnaît-il, tout en ne cachant pas la joie que lui a procurée cette découverte.

La réaction des clients

Et les clients, comment réagissent-ils lorsqu’on leur vend l’idée de manger des sushis préparés… avec du poisson vieilli ?

Dès le départ, M. Genest et son équipe leur ont fait déguster le produit qui avait passé un séjour dans le cellier. Ils ont pu le comparer avec du poisson qui n’avait pas été vieilli. De cette façon, ils ont été en mesure de goûter la différence entre les deux. « De cette façon-là, on a réussi à les convaincre », soutient-il.

« Je suis agréablement surpris [par leur réaction]. On sert des clients qui connaissent les sushis. Ils sont prêts à payer pour avoir de la qualité. »