Y a-t-il encore un avenir pour Énergir, l’unique distributeur de gaz de la province ? Des milliards de dollars sont en jeu.

Énergir affronte des vents contraires, et ce n’est pas d’hier. L’entreprise qui détient le monopole de la distribution du gaz naturel au Québec s’est longtemps battue contre Hydro-Québec pour augmenter ses parts de marché. Elle a tenté dans le passé de se diversifier dans d’autres activités, comme l’installation de chauffe-eau (Hydrosolution), la réhabilitation des conduites d’eau (Aquarehab) et les terminaux méthaniers (Rabaska), avec peu de succès.

Aujourd’hui, l’entreprise joue son avenir dans la transformation de son réseau vers le gaz naturel renouvelable, ce qui exigera des investissements importants et rendra le gaz plus coûteux pour ses utilisateurs. Énergir veut aussi fournir l’énergie dont le réseau d’Hydro-Québec a cruellement besoin en période de pointe hivernale, en transférant sa clientèle à la biénergie (électricité et gaz naturel).

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Éric Lachance, PDG d’Énergir

De l’aveu même de son président Éric Lachance, Énergir perdra 50 % du volume de gaz qu’elle distribue actuellement dans le secteur résidentiel et commercial d’ici 2050.

La transition énergétique ne menace pas seulement Énergir. Dans une décision récente, l’Ontario Energy Board, l’équivalent de la Régie de l’énergie au Québec, vient d’interdire à Enbridge d’amortir ses investissements pour prolonger le réseau de transport sur plusieurs années, comme l’industrie l’a toujours fait. Ces coûts devront être passés dans le bilan de l’année. L’objectif est de limiter la perte de valeur des gazoducs pour les investisseurs, avec la réduction prévue de la consommation d’énergies fossiles. C’est ce qu’on appelle les actifs échoués.

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Énergir détient le monopole de la distribution du gaz naturel au Québec.

Une date d’expiration

Pour ceux qui veulent l’élimination du gaz naturel, et ils sont nombreux au Québec, la décision ontarienne met enfin une date d’expiration sur les réseaux de transport et de distribution du gaz naturel.

Les actionnaires d’Énergir devraient en prendre note, estiment Jean-Pierre Finet, du Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE), et Patrick Bonin, de Greenpeace Canada.

Énergir a perdu les actionnaires privés qu’elle a déjà eus. Depuis 2021, seuls la Caisse de dépôt, avec 80 % des actions, et le Fonds de solidarité, avec 20 %, restent à bord.

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Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

Le modèle d’affaires d’Énergir est clairement problématique et la Caisse de dépôt devrait s’en préoccuper.

Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

Selon lui, les seuls actifs d’Énergir, évalués à plusieurs milliards de dollars, sont des tuyaux enfouis dans le sol qui vont lentement perdre leur valeur. Des pertes importantes sont à prévoir pour la Caisse et le Fonds FTQ.

Le porte-parole du ROEE, Jean-Pierre Finet, croit que même si le gaz naturel sera probablement encore dans le portrait en 2050, Énergir devra inévitablement radier des actifs pour refléter la nouvelle réalité.

Les clients industriels du distributeur gazier sont très inquiets de l’évolution du paysage énergétique (voir l’onglet suivant), mais ses actionnaires semblent rester calmes.

« La Caisse de dépôt et placement du Québec a appuyé au cours des dernières années et continue à soutenir Énergir dans l’exécution de son plan stratégique qui mise sur les efforts de diversification et de décarbonation », a fait savoir la Caisse dans un message écrit.

« Le Fonds ne commente pas les opérations de ses entreprises partenaires », a répondu le Fonds FTQ.

Énergir, de son côté, souligne que la décision de l’Ontario Energy Board ne concerne pas ses activités. L’entreprise a déjà réduit de 40 à 20 ans l’amortissement des investissements dans ses nouveaux branchements, a fait savoir une porte-parole, Élaine Arsenault.

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Sortons le gaz, qui mène actuellement une lutte pour éliminer le gaz naturel dans le chauffage du bâtiment, appuie les villes comme Prévost, Saint-Bruno et Montréal qui veulent interdire le gaz naturel dans les nouveaux bâtiments résidentiels.

Sortons le gaz ?

Comme Greenpeace Canada, le Regroupement des organismes environnementaux en énergie fait partie de la coalition Sortons le gaz, qui mène actuellement une lutte pour éliminer le gaz naturel dans le chauffage du bâtiment.

Sortons le gaz appuie les villes comme Prévost, Saint-Bruno et Montréal qui veulent interdire le gaz naturel dans les nouveaux bâtiments résidentiels.

Se débarrasser du gaz serait une grave erreur, estime Pierre-Oliver Pineau, titulaire de la chaire en énergie de HEC Montréal, qui ne comprend pas pourquoi le gaz naturel est aussi diabolisé au Québec.

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Pierre-Oliver Pineau, titulaire de la chaire en énergie de HEC Montréal

On ne construirait pas un réseau gazier aujourd’hui, mais il est là et il peut rendre de précieux services.

Pierre-Oliver Pineau, titulaire de la chaire en énergie de HEC Montréal

L’entente conclue entre Énergir et Hydro-Québec sur la biénergie, qui permet au gaz naturel de soulager le réseau électrique, est un bon exemple de service précieux, selon lui.

« Il serait mal avisé de miser sur le 100 % électrique, avec les pannes et les évènements climatiques qu’on connaît, et se retrouver dans dix ans sans autre option », croit le professeur.

Mettre plus d’électricité qu’il y en a déjà dans le chauffage des bâtiments, c’est oublier la notion de fiabilité, selon Pierre-Olivier Pineau.

Hydro-Québec s’oppose à ce que les villes bannissent le gaz et le gouvernement québécois s’apprête à légiférer, ce qui freinera le déclin d’Énergir, mais aussi, selon les villes, le développement des écoquartiers.

Pierre-Olivier Pineau estime qu’il y a d’autres moyens, meilleurs que l’interdiction du gaz, pour créer des écoquartiers. « Les villes peuvent encourager la construction de bâtiments passifs, l’installation de panneaux solaires et la géothermie », illustre-t-il.

On peut souhaiter la disparition du gaz, mais il y aurait tant d’autres choses plus urgentes et plus importantes à faire, selon lui, comme rénover les maisons pour réduire leur consommation d’électricité comme de gaz naturel.

Rectificatif :
Une version précédente de ce texte affirmait que les états financiers d’Énergir ne sont pas publiés. Ils sont disponibles sur le site Sedar+. Nos excuses.