(Matane) « On a une mauvaise vision de la pêche, lance le capitaine Pierre-Nicolas Tanguay-Lévesque. C’est plate à dire, mais à Montréal, c’est quoi, l’éducation à la pêche qui est reçue ? »

Cette conviction que la pêche est un domaine mal compris de la majorité de la population, et des consommateurs, est partagée par une large part des gens de l’industrie.

« Les gens regardent Netflix, avec Seaspiracy qui parle des chalutiers en haute mer. Ils pensent que c’est la même affaire au Québec, poursuit le jeune pêcheur. C’est complètement faux. Lorsqu’on a une saison difficile, on met ça sur la faute de la surpêche. Alors que ça n’est pas le cas. On a pratiquement des approches de précaution avec toutes les espèces maintenant. »

Selon lui, comme la crevette bénéficie elle aussi d’une approche de précaution, les consommateurs ne devraient surtout pas bouder la crevette nordique pêchée ici.

Pourquoi on arrêterait d’encourager notre marché local ? Les gens ne savent pas que c’est joué serré. Chaque année, les scientifiques font leurs recommandations et les gestionnaires prennent leurs décisions en conséquence.

Pierre-Nicolas Tanguay-Lévesque, pêcheur

Sur les quais du port de Matane, on croise les agents de Pêches et Océans Canada qui font de la surveillance. Le travail du ministère fédéral n’a jamais fait l’unanimité dans l’industrie de la pêche, mais cette année, la baisse draconienne des quotas dans la crevette est au cœur des discussions – ça et le prix du « fuel » dont tout le monde parle systématiquement.

Les mines sont parfois basses. Très basses, même.

« En 2023, j’avais 500 000 livres de crevettes. En 2024, je tombe à 67 000 livres », lance le pêcheur Nicolas Chouinard. « Il est impossible que je sois rentable avec ça », confie-t-il, précisant qu’il ne va pas rembourser la dette liée à l’achat de son bateau cette année – il bénéficie toutefois d’un appui d’urgence de Québec, par l’entremise du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.

L’entrepreneur rappelle que la hausse des taux d’intérêt dont on a tant parlé dans l’immobilier tient aussi pour son secteur : « J’ai signé à 2 % et je suis rendu à 6-7 %, dit-il. Ça me coûte de 50 000 $ à 75 000 $ de plus par année. » Plus la hausse du prix de l’essence.

Dans un effort de valoriser son produit, il cuit maintenant sa crevette directement sur son bateau et il la vend cuite, fraîche, à la Poissonnerie Lauzier.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Nicolas Chouinard a commencé la pêche avec son père, lorsqu’il avait 18 ans. Il a racheté le bateau familial en 2016. « Je pensais perdre la moitié de mon quota cette année, dit-il. J’ai eu 88 % de baisse, finalement. »

C’est ma seule option : sauter l’usine et obtenir un meilleur prix.

Nicolas Chouinard, pêcheur

Nicolas Chouinard est capitaine propriétaire depuis neuf ans et père de quatre enfants. Pour l’instant, le pêcheur souhaite arriver à travailler suffisamment pour avoir droit à l’assurance-emploi à la fin de cette saison déjà à oublier.

Nicolas Chouinard devrait recevoir la permission de pêcher le sébaste, mais au moment de notre rencontre, par un jeudi après-midi froid d’avril, il ne savait pas combien de « rouge » il pourrait pêcher ni comment vendre ce poisson méconnu des consommateurs québécois. « Personne ne connaît ça, dit-il, mais j’aimerais au moins l’essayer. »

Le pêcheur fera sûrement un peu de bourgot aussi, un revenu complémentaire dans son modèle d’affaires, mais qu’il ne peut plus négliger. « On n’est plus en mode d’essayer de vivre, on est en mode survie, dit Nicolas Chouinard. Peu importe la cenne qui entre, on doit aller la chercher. »

Des conditions perdantes

Il y a quatre zones de pêche à la crevette au Québec, explique Patrice Élément, directeur de l’Office des pêcheurs de crevettes du Québec, qui précise que la saison est carrément catastrophique à Sept-Îles.

Tout le monde s’entend pour dire qu’il y a trois facteurs responsables de la baisse de la biomasse de crevette, explique Patrice Élément : la prédation du sébaste, l’augmentation de la température de l’eau et la baisse du taux d’oxygène dans l’eau.

Les observateurs n’ont toutefois pas la même opinion sur l’importance de l’un ou l’autre de ces facteurs dans la disparition des crevettes.

« La température de l’eau dans le Golfe ne rebaissera pas, poursuit Patrice Élément, à moins que le courant du Labrador se renforce énormément. » Ce qui est très peu probable, dit-il, ajoutant que le taux d’oxygène ne devrait pas augmenter non plus.

Il reste le sébaste.

« Le seul espoir qui nous reste, c’est que la biomasse diminue. À ce moment-là, si et seulement si le sébaste est le facteur principal, on pourrait voir une amélioration de la biomasse de la crevette », explique le directeur de l’Office des pêcheurs de crevettes du Québec, qui croit que le réchauffement des eaux est trop important pour renverser le mouvement.

« Vous me demandez si je crois que la crevette va revenir ? Ma réponse est non. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le sébaste est un poisson à chair blanche, local, très abordable.

Quel goût a le sébaste ?

Ce que les pêcheurs appellent « le rouge », c’est le sébaste, dont la pêche était interdite depuis presque 30 ans, parce qu’il y avait déclin de l’espèce. Ça n’est plus le cas : ce gros prédateur de la crevette est très présent dans le Saint-Laurent. Après des pêches exploratoires, Ottawa permet cette année une pêche de 25 000 tonnes dans les eaux du golfe du Saint-Laurent, dès le mois prochain. Les plus curieux peuvent déjà mettre la main sur du sébaste de l’année dernière (congelé ou décongelé). Pour donner un avant-goût, les épiceries Metro, en partenariat avec le programme Fourchette bleue qui valorise les espèces marines locales et la pêche durable, offre le sébaste en promotion cette semaine à 8,99 $ la livre – jusqu’au mercredi 8 mai. Son prix ordinaire est de 12,99 $, ce qui en fait un poisson à chair blanche, local, très abordable.

En savoir plus
  • 3000 tonnes
    Les quotas de pêche à la crevette dans le Saint-Laurent sont passés de 14 500 tonnes en 2023 à 3064 tonnes cette année.
    Source : Pêches et Océans Canada
  • 3000 tonnes
    Les quotas de pêche à la crevette dans le Saint-Laurent sont passés de 14 500 tonnes en 2023 à 3064 tonnes cette année.
    Source : Pêches et Océans Canada