Comment la Davie, autrefois à l’agonie, est devenue un acteur incontournable pour les pays de l’OTAN.

(Ottawa) James Davies venait à peine d’arriver à la frontière canado-américaine, un beau soir d’automne de 2012, que déjà il se faisait casser les oreilles au sujet de ses intentions d’acheter le chantier maritime Davie.

Quand il a déclaré au douanier affecté au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle qu’il se rendait à Québec parce qu’il comptait acheter cette entreprise, il s’est fait carrément dire que c’était une mauvaise idée.

Une dizaine d’années plus tard, James Davies se souvient de cet échange comme si c’était hier. Et il se félicite de ne pas avoir suivi cette mise en garde.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le président et chef de la direction de Davie, James Davies

« La première fois que j’ai visité le chantier, je me rendais au Québec en provenance des États-Unis. Au passage de la frontière, le douanier m’a demandé ce que je faisais au Canada. J’ai expliqué que j’étais venu visiter le chantier Davie, qui était à vendre, et que j’envisageais de l’acheter. Le douanier a immédiatement froncé les sourcils et m’a dit que c’était une très mauvaise idée, que le chantier était moribond et perpétuellement au bord de la faillite », raconte l’homme d’affaires britannique dans une longue entrevue à La Presse.

« Heureusement, je n’ai pas tenu compte de son conseil ! »

Une coquille vide

Certes, en 2011, la situation financière de Davie était catastrophique. Le chantier comptait moins de 25 employés et avait perdu ce qui était considéré à l’époque comme sa seule chance de participer à la Stratégie nationale de construction navale (SNCN) du Canada. Ses jours semblaient comptés.

Pendant des années, ce chantier maritime a été considéré comme une coquille vide dans les cercles du pouvoir à Ottawa. Les concurrents de Davie se plaisaient d’ailleurs à le rappeler à quiconque voulait l’entendre quand leurs lobbyistes mettaient les pieds dans la capitale fédérale.

Malgré ce contexte défavorable, le chantier maritime a piqué la curiosité de James Davies et de son partenaire d’affaire Alex Vicefield en 2011. Les fondateurs d’Inocea estimaient que la Davie offrait « un potentiel unique » en raison de sa taille, de ses activités passées et de son emplacement.

Ils étaient persuadés que le chantier maritime pouvait redevenir la « principale plaque tournante » de la construction navale au pays, comme cela a été le cas pendant de longues périodes au cours de ses 200 ans d’histoire. Il fallait toutefois que les astres s’alignent. La patience et la détermination étaient aussi de mise.

L’abysse financier dans lequel le chantier se trouvait n’est plus qu’un mauvais souvenir. Non seulement l’entreprise a pu réintégrer la SNCN par la grande porte au printemps 2023, mais également elle compte aujourd’hui 800 employés.

En faisant l’acquisition du chantier naval finlandais Helsinki Shipyard Oy, en novembre dernier, avec l’appui du gouvernement du Québec, qui est devenu actionnaire minoritaire, la Davie est un acteur incontournable d’une chaîne d’approvisionnement jugée essentielle et stratégique par l’OTAN.

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Vue aérienne du chantier Davie

À plusieurs égards, le retour en force du chantier maritime est impressionnant. Le revirement est tel que le magazine Canadian Defence Review a récemment classé le chantier Davie au premier rang des entreprises qui œuvrent dans le secteur de la défense dans son classement annuel pour le « rôle crucial » qu’il joue maintenant dans la sécurité nationale du Canada.

L’Astérix à la rescousse

Quelle a été l’étincelle qui a rendu tout cela possible ?

Peu après l’acquisition, nous nous sommes attardés à moderniser l’infrastructure et à relancer la livraison de navires à l’armateur norvégien Cecon. La livraison du Cecon Pride – le navire le plus complexe construit au Canada – a jeté les bases [de la relance].

James Davies

Ce projet a ouvert toute grande la porte à d’autres. La Davie a notamment construit les premiers traversiers d’Amérique du Nord fonctionnant au gaz naturel liquéfié (GNL). Mais auprès des décideurs à Ottawa, la livraison en août 2017 du seul navire de soutien au combat du Canada, l’Astérix, dans les délais et dans les budgets, a marqué un tournant.

« Il a été livré selon une approche clés en main novatrice qui a permis à la Marine royale canadienne de ne pas assumer de risques financiers ou techniques et de s’assurer que l’argent des contribuables canadiens était utilisé à bon escient », a rappelé l’homme d’affaires, qui s’est installé avec sa conjointe de Québec, Vanessa, et ses deux enfants à proximité du chantier, sur les rives du fleuve Saint-Laurent.

Ce sont les délais affichés par les deux autres chantiers maritimes – Seaspan ULC de Vancouver et Irving Shipbuilding d’Halifax – pour respecter les contrats de construction navale accordés par Ottawa qui ont mené le gouvernement Trudeau à intégrer la Davie dans la SNCN.

« C’est une chose de raconter l’histoire du potentiel, c’en est une autre de le faire », souligne M. Davies.

La seule véritable façon de démontrer le potentiel du chantier était de cultiver une culture d’entreprise axée sur l’innovation et sur l’acquisition des compétences nécessaires pour livrer les navires à nos clients dans les délais et les budgets prévus.

James Davies

Et l’acquisition du chantier naval Helsinki Shipyard Oy fait maintenant de la Davie un acteur de calibre mondial incontournable.

« L’acquisition du chantier naval d’Helsinki sera extrêmement bénéfique non seulement pour notre avenir, mais aussi pour le Québec, le Canada, l’OTAN et leurs intérêts stratégiques », illustre M. Davies.

Il confirme que Davie entend transférer l’expertise d’Helsinki en matière de déglaçage et de construction de brise-glaces au chantier de Lévis, accélérant ainsi le travail qui lui a été confié dans le cadre de la SNCN.

« Cette acquisition permet au Canada, allié de l’OTAN, de disposer du plus grand constructeur de brise-glaces au monde. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la coopération dans l’Arctique est devenue encore plus importante. À l’heure où la Russie et la Chine intensifient leurs investissements dans l’Arctique, les brise-glaces jouent un rôle stratégique dans la protection des intérêts du Canada dans la région. »

Helsinki Shipyard Oy en tête

Le chantier naval Helsinki Shipyard Oy a construit plus de la moitié des brise-glaces en service dans le monde aujourd’hui, et détient ainsi une expertise qui fait l’envie de plusieurs. Depuis 1954, il a livré 66 brise-glaces, loin devant le deuxième chantier naval en importance, le chantier naval de la Baltique, situé en Russie, qui en a livré 8.