L’idée de départ

Il n’y avait plus de dépanneur à Saint-Léandre, un village d’environ 360 habitants situé à une quinzaine de kilomètres de Matane, en Gaspésie. Dans le bois, pas en bord de mer.

Camille Therrien-Tremblay est une entrepreneure qui y vit. Elle a vu tous les commerces de son village fermer un à un.

Le dépanneur était le dernier à mettre la clé sous la porte, en 2021.

Son entreprise, CAMM Construction, se spécialise en microhabitations. « On crée des espaces de vie qui vont aller avec la nature des activités qu’il va y avoir dans le bâtiment, explique Camille Therrien-Tremblay. Par exemple, des loges pour artistes lors d’évènements, des prêts-à-camper, des microchalets, des minimaisons, des bureaux d’accueil touristique. On a cette capacité d’être créatif selon l’usage du bâtiment. »

Dans le vide créé par la fermeture du dépanneur, elle a vu une occasion d’affaires, mais aussi une occasion d’éliminer les déserts alimentaires, ces endroits où on ne peut pas, à une distance raisonnable, trouver des aliments de base. Camille Therrien-Tremblay a fait des recherches pour voir ce qui se faisait ailleurs, dans le même créneau. Elle est tombée sur une entreprise suédoise qui fait des dépanneurs et qui a grandement inspiré son modèle d’affaires.

Elle a ensuite fait le tour des programmes possibles pour appuyer son prototype, qui est aussi un projet pilote. Elle a notamment eu droit à des fonds réservés aux régions dévitalisées, à des bourses d’entrepreneuriat, à des subventions de développement, puis à l’appui de la municipalité, qui a fourni le lieu, sans frais. Tout cela a permis de financer 90 % des coûts de fabrication et de lancement – autour de 150 000 $.

L’innovation

À l’été 2023, le village de Saint-Léandre a récupéré son dépanneur avec l’arrivée du petit Lib, un minicommerce libre-service aux dimensions d’un conteneur. Le commerce est accessible en tout temps et on y retrouve des produits de base – alimentaires, hygiéniques, de soins et d’entretien.

Besoin d’un œuf à la dernière minute pour faire son gâteau ? Le commerce contient un frigo et un congélateur.

PHOTO FOURNIE PAR LIB

Le dépanneur Lib est accessible en tout temps et on y retrouve des produits de base – alimentaires, hygiéniques, de soins et d’entretien.

Il y a aussi tout ce qu’il faut pour bâtir un repas complet – et les classiques bonbons et croustilles, essentiels à tout dépanneur qui se respecte.

Les ventes changent selon les heures du jour ou de la nuit, avec une hausse de demande pour le prêt-à-manger congelé autour des heures de repas, du lait le matin et de snacks tard le soir ou à la fin du party.

Depuis son ouverture l’été dernier, 378 clients différents y sont allés. Dont une partie venant d’ailleurs que Saint-Léandre, puisque 30 % de la population locale ne fait pas partie de la clientèle.

Le dépanneur est alimenté par une génératrice. Il fonctionne en cas de panne, ce qui n’est pas rare au village, apparemment. Il y a aussi un espace WiFi.

« Quand il y a une tempête et qu’on ne peut plus sortir du village, dit la jeune entrepreneure, le dépanneur fonctionne. »

Les défis

Le client utilise son téléphone pour entrer dans le commerce, puis pour balayer le code du produit et régler la facture. C’est très pratique, mais ça peut être un frein pour une partie de la population qui n’a pas de téléphone portable ou qui n’est pas à l’aise avec le paiement électronique. Lib va ajouter un système de carte prochainement pour cette clientèle.

La main-d’œuvre n’est toutefois pas un enjeu : il faut un seul employé pour entretenir le dépanneur et faire les commandes, ce qui représente environ cinq heures par semaine. Les aliments qui approchent la date de péremption sont congelés, ce qui limite les pertes. Les commandes ont été ajustées durant les premiers mois d’utilisation, et lorsqu’il y a des invendus, ils sont remis au comptoir du village ou à l’école.

L’avenir

Le microcommerce pourrait bien se multiplier, car les demandes sont nombreuses partout au Québec, principalement dans des régions qui se retrouvent avec une situation comparable à celle de Saint-Léandre.

« C’est incroyable, le nombre de dépanneurs qui ferment au Québec », dit Camille Therrien-Tremblay.

Une version sur roues va être réalisée pour faire la tournée de la Gaspésie afin de montrer le produit.

« On s’est dit que si ça fonctionnait à Saint-Léandre, ça pouvait fonctionner partout », dit Camille Therrien-Tremblay. Et ça fonctionne : le dépanneur est rentable. « J’ai bon espoir qu’après en avoir ouvert un ou deux autres, la demande va exploser. »