Est-ce possible de faire un testament comme dans les films ? Déshériter son enfant ou lui imposer des conditions pour obtenir nos économies après notre mort ?

La situation

Jocelyne*, 61 ans, a appris il y a quelques mois qu’elle souffrait d’une maladie rare. Elle est en arrêt de travail pour une durée indéterminée et vit avec 75 % de son salaire. À son grand soulagement, ce montant est couvert par l’assurance salaire de son nouvel employeur. Jocelyne était en poste depuis 2022 et croyait se rendre jusqu’à la retraite.

« Je comptais prendre ma pension à 65 ans, mais je ne pourrai peut-être pas attendre jusque-là », nous écrit cette célibataire qui a deux fils dans la trentaine. J’aurai mon pronostic réel dans quelques semaines. »

Bien qu’elle cotise à ce nouveau régime de retraite à prestations déterminées, elle ne pourra pas compter sur cette rente.

Son salaire annuel s’élève à 67 000 $. « Je dépense ce que je gagne pas mal tout le temps », explique-t-elle, estimant son coût de vie à 35 000 $ par année. À une époque où le prix des loyers détruit des budgets, Jocelyne vit seule dans une coopérative d’habitation et paye une somme raisonnable de 731 $ par mois.

Mais si Jocelyne apprend qu’elle doit cesser de travailler pour de bon à cause de sa maladie, aura-t-elle assez d’argent pour vivre ?

Son autre inquiétude, ce sont ses deux fils. Ils n’ont pas suivi le chemin qu’elle avait imaginé pour eux.

Ce qui l’amène à vouloir refaire son testament. « Mon plus jeune fils ne me parle plus depuis belle lurette, alors je veux le rayer du testament », déclare Jocelyne, catégorique.

« Mon plus vieux a des problèmes de consommation et de maladie mentale, poursuit-elle. Avant qu’il puisse toucher son héritage, je voudrais l’obliger à être sobre pendant un certain temps en plus de l’obliger à voir un psychiatre durant un certain temps. »

Est-ce possible d’inscrire dans un testament ce type de conditions ?

« Que me suggérez-vous ? »

Les chiffres

Salaire : 67 000 $

RRQ estimé à 65 ans : 1153 $

CRI : 439 879,23 $

REER : 13 398,23 $

CELI : aucun

Loyer : 731 $/mois

Dette de carte de crédit : 6000 $

Coût de vie annuel : 35 000 $

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Charles Rioux Rousseau, conseiller, développement et qualité de la pratique à l’Institut québécois de planification financière.

L’analyse

Charles Rioux Rousseau, conseiller, développement et qualité de la pratique à l’Institut québécois de planification financière (IQPF), s’est penché sur le cas de Jocelyne.

Réglons tout d’abord le premier enjeu, celui de la planification de retraite et de l’invalidité.

« Une question qu’on se pose souvent, c’est celle de l’espérance de vie et du moment opportun pour prendre les pensions des deux gouvernements », constate l’expert.

On suggère souvent de les reporter le plus tard possible. Mais dans le cas de cette lectrice qui a une maladie rare qui affecte peut-être son espérance de vie, ce n’est pas une bonne idée de reporter sa rente de retraite du Régime de rentes du Québec et sa pension de la Sécurité de la vieillesse du Canada.

Charles Rioux Rousseau

Pour ce qui est du régime complémentaire de retraite de son employeur actuel, il y a beaucoup d’éléments incertains, observe Charles Rioux Rousseau. Va-t-elle retourner au travail ? Si la réponse est négative, choisira-t-elle de continuer de cotiser ?

« Quand on a une assurance invalidité, on n’est pas tenu de cotiser au régime de retraite. Par contre, quand on le fait, ça compte dans les années de services qui sont utilisées dans le calcul de la rente », indique le planificateur.

Afin de vérifier si Jocelyne pourra assurer un coût de vie annuel de 35 000 $ indexé, Charles Rioux Rousseau a pris un scénario pessimiste, soit qu’elle sera invalide jusqu’à 65 ans. À partir de cet âge, elle commencera à décaisser son CRI, ses REER et à utiliser ses pensions des gouvernements. « Je n’ai pas considéré le régime de retraite de son employeur actuel », précise-t-il.

Avec une hypothèse de rendement à 3,25 % et l’inflation à 2,10 %, le planificateur estime que Jocelyne pourra subvenir à ses besoins jusqu’à l’âge de 90 ans.

« Je n’ai pas tenu compte des crédits d’impôt qu’elle pourrait obtenir comme celui pour les frais médicaux ou le maintien à domicile. Donc, sa situation financière sera sûrement plus rose. »

Au moment de sa retraite, Jocelyne devra retirer chaque année un montant minimal de son compte de retraite immobilisé (CRI). Or elle n’aura pas le droit d’en retirer plus que le montant maximal autorisé. Cependant, si une personne a une espérance de vie réduite ou une invalidité majeure, elle peut faire une demande pour que le CRI ne soit plus immobilisé.

Mais avant de penser à la retraite, Charles Rioux Rousseau conseille à Jocelyne de rembourser au plus vite ses cartes de crédit qui génèrent des frais d’intérêt exorbitants.

Un testament comme dans les films ?

Selon les calculs du planificateur financier, si Jocelyne disparaissait à 80 ans, elle léguerait 250 000 $. Mais comment s’assurer que le testament respecte exactement ses dernières volontés ?

« Léguer des biens et de l’argent avec des conditions peut devenir très compliqué, soulève le planificateur financier. Si le testament n’est pas rédigé correctement, on peut se retrouver à faire en sorte qu’on donne l’argent au fils le plus jeune que Madame souhaitait justement déshériter. »

Car si le fils le plus vieux meurt, par exemple, et qu’il n’y a aucun autre héritier, les règles de la dévolution successorale légale s’appliqueront et tout l’argent ira finalement à celui que la mère voulait exclure du testament.

Pour cette portion légale, Francis Langlois, notaire et médiateur, associé de l’étude Vos Notaires, Hotte, Langlois et Lalli, s’est joint à l’analyse du dossier.

PHOTO JEAN DOYON, FOURNIE PAR VOS NOTAIRES HOTTE, LANGLOIS, GOUPIL

Francis Langlois, notaire et associé de Vos Notaires Hotte, Langlois, Goupil

« Afin d’éviter réellement que l’argent aille à son fils le plus jeune, il est impératif de désigner quelqu’un par testament. Par quelqu’un, j’entends une personne physique ou une fondation, un organisme », explique Francis Langlois.

Est-ce possible que le fils le plus vieux hérite à condition qu’il suive une thérapie avec un psychiatre et qu’il soit sobre ?

« Il est possible de faire des legs sous condition, mais pas de ce type, affirme le notaire, car la réalisation d’une telle condition est arbitraire pour chacun. On n’impose pas un choix de vie ou de valeur pour le futur, sous peine de nullité, car il s’agit d’un caractère purement personnel. »

Le testament ne serait alors pas valide.

Toute condition exigeant de faire ou de ne pas faire quelque chose après le décès en échange de l’héritage sera facilement invalidée, soutient Francis Langlois. Comme, dans ce cas-ci, la sobriété.

Des conditions comme ne pas se remarier ou sortir d’une secte religieuse ont d’ailleurs été rejetées par les tribunaux.

Le meilleur véhicule pour conserver une administration sur ses biens à la suite de son décès, c’est la fiducie testamentaire.

« Ce n’est pas aussi compliqué qu’on le croit », assure Francis Langlois qui compare la fiducie à un compte de banque conservé pour l’héritier, mais géré par un signataire autre que l’héritier.

En d’autres mots, Jocelyne léguerait ses biens « pour » son fils et non « à » son fils, précise le notaire. « C’est de l’argent protégé. Il faudra trouver la bonne personne qui saura le gérer avec la même rigueur, mais aussi avec la même ouverture et la même compréhension que vous auriez eues pour votre fils bénéficiaire. »

« Il ne peut pas y avoir de conditions farfelues. Par contre, nous pouvons exprimer notre souhait ou nos volontés quant à la manière dont nous souhaitons que l’argent soit administré », souligne Francis Langlois.

C’est le notaire qui pourra rédiger les conditions qui conviennent à Jocelyne.