Qu’ils soient fixes n’y change rien : des vies se trouvent comprimées entre les mors de l’étau des taux.

Comme celle de Frédéric Massé.

« Mon renouvellement hypothécaire approche à grands pas, en juillet prochain, et disons que ça m’empêche parfois d’avoir de bonnes nuits de sommeil… », exprime l’homme de 52 ans.

Il mène une vie bien réglée, pourtant, sans excès ni dérapages. « Je ne suis pas dépensier, je ne fais pas de gros voyages une ou deux fois par année, dit-il. J’ai zéro dette, je ne dois rien à personne. Ma seule dette, c’est ma maison. »

Il l’a acquise en juillet 2019, une jolie petite maison jumelée, nichée dans un quartier boisé de Val-David. Ici aussi, rien d’excessif : l’emprunt excédait à peine 250 000 $.

Il avait voulu se mettre à l’abri des sursauts de taux. « J’étais sur un taux fixe de 2,84 % sur 5 ans, indique-t-il. Moi, je considérais que c’était bien. »

La mensualité avoisinait 1100 $. Elle était d’autant plus raisonnable que l’acquisition correspondait à un tournant dans sa vie.

Il avait travaillé pendant une quinzaine d’années comme menuisier, pour un salaire nettement plus confortable que son horaire de travail. Un divorce et ses responsabilités parentales – « je suis père monoparental », dit-il – l’ont incité à ralentir le rythme.

« J’avais besoin d’un changement de vie drastique, alors je suis retourné à mes amours. »

Celles du service à la clientèle dans la vente au détail. « Je suis gérant d’une boutique, dans les Laurentides. Je n’ai pas un énorme salaire. Peut-être autour de 50 000 $ par année. »

Pendant quatre ans, un ciel hypothécaire étoilé a protégé son sommeil.

« Mais là, il y a comme une épée de Damoclès sur ta tête. Je me suis dit : les taux d’intérêt ont monté, je vais aller faire des petits calculs sur des calculateurs d’hypothèques sur le web. »

Cauchemar.

« J’ai fait : oh boy ! De 400 à 500 $ de plus par mois ! Pour rien ! Je n’ai pas de nanane qui vient au bout. » Il n’obtient rien de plus pour ce montant qui ampute considérablement son budget.

D’ici quelques semaines, un mois ou deux peut-être, je vais commencer à faire des recherches pour un renouvellement d’hypothèque. Il faut commencer six mois à l’avance, semble-t-il. C’est là où j’en suis. Il faut que je trouve un moyen de faire de 400 à 600 $ par mois de plus.

Frédéric Massé

Frédéric Massé refuse toutefois de se poser en victime. « Je ne me plains pas, dans le sens où j’ai des solutions. Je vais les trouver, les 400 ou 500 $ par mois. J’ai demandé une augmentation à mon travail, exactement pour cette raison-là. »

« J’ai quand même des outils dans mon coffre, pour faire un jeu de mots, ajoute-t-il. Un coffre à outils de menuisier, ça aide beaucoup parce que ça me permet de faire des petites jobs de temps en temps, pour arrondir les fins de mois. »

Cependant, l’onde de tempête de l’ouragan hypothécaire frappe loin dans ses terres intérieures.

Les petits travaux de menuiserie aplaniront peut-être les aspérités budgétaires... « Mais ça impacte ma qualité de vie, mes congés, souligne-t-il. J’ai une blonde à Québec. On essaie de se voir le plus possible, mais s’il faut que je prenne des week-ends pour faire des jobines, c’est du temps que je ne passe pas avec elle. »

Sa future retraite subira elle aussi l’effet de la tempête. Il ne contribue à aucun régime de retraite depuis qu’il a quitté la construction. C’est maintenant son épargne qui y pourvoit.

« Je prévois encore travailler 10 ou 15 ans, au moins jusqu’à 65 ans. Si j’enlève 400 ou 500 $ dans mon budget, c’est au moins 300 ou 400 $ par mois qui n’ira pas dans mon fonds de pension.

« Si on me parle des taux d’intérêt qui montent et des heures de sommeil de moins, c’est ça qui vient gruger dans ma qualité de vie : l’impossibilité d’en mettre un peu plus de côté pour un fonds de pension. Ce sont tous des vases communicants. »

Le levier et les dominos

Josée (elle a demandé de ne pas citer son nom de famille) croyait elle aussi que son taux fixe la mettait à l’abri. Erreur.

« C’est extrêmement stressant au point que je n’ai pas l’intention d’attendre d’être frappée de plein fouet et je mets ma propriété à vendre », assène-t-elle.

Elle l’avait acquise en décembre 2020 avec un emprunt équivalant à 80 % de sa valeur, à un taux de 1,69 %.

« Au tout début de la pandémie, les taux étaient très bas depuis très longtemps, raconte-t-elle. Mon planificateur financier, étant donné mon âge, m’avait recommandé de me servir de mon hypothèque comme levier pour aller chercher un prêt REER additionnel. Je suis une maman monoparentale, alors je n’avais pas vraiment beaucoup de REER. À peu près pas, en fait. Alors c’est ce que j’ai fait. Sauf que ça s’ajoute à l’hypothèque de la propriété. »

Trois ans plus tard, l’effet de levier s’est transformé en effet domino.

Si ça renouvelait aujourd’hui, j’aurais 1200 $ d’augmentation. Par mois ! Avec un seul revenu !

Josée

Elle aussi emploie la métaphore grecque.

« Aujourd’hui près de la retraite, je souhaite simplement récupérer mes billes et me libérer de cette situation très inconfortable, soit la présence de cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

Elle anticipe les effets de la hausse des taux sur le marché immobilier, qui, prévoit-elle, rendront les ventes de propriété plus ardues au cours des prochaines années.

A-t-elle consulté des conseillers hypothécaires ? « Oui, répond-elle, mais personne n’a de boule de cristal, et c’est aussi une question de capacité à gérer le risque. Plus on avance en âge, moins on a une tolérance, et plus on préfère les options plus sûres. »

La solution, prononce-t-elle d’un ton où se mélangent colère et détermination, « c’est de vendre et de trouver un appartement à prix raisonnable ».

Ce qui constituera là aussi un beau défi.