L’entretien des motos, des véhicules récréatifs (VTT) ainsi que le cloutage de pneus n’ont plus de secret pour Christian Paquette, dans le domaine depuis 22 ans. Le propriétaire de l’Atelier Christian Paquette, qui a reçu pendant la pandémie une somme de 60 000 $ dans le cadre du CUEC, était convaincu qu’il pourrait rembourser son prêt rubis sur l’ongle. Or, alors que l’échéance approche, il a dû faire une demande d’emprunt personnel. Si on le lui refuse, il pourrait devoir dire adieu à son atelier de Saint-Hippolyte où il travaille en tandem avec sa fille.

L’Atelier Christian Paquette est passé de 250 000 clous posés sur des VTT et des voitures il y a deux ans à 50 000 l’an dernier. Cette diminution dans l’achalandage que l’entrepreneur n’avait pas vue venir explique en partie pourquoi il peine maintenant à rembourser l’aide reçue. Pour y arriver, M. Paquette n’a pu faire autrement que de demander un emprunt personnel, ce qui lui permettrait de rembourser la somme de 40 000 $ le 18 janvier et de conserver 20 000 $ en subvention, selon les règles établies par le gouvernement fédéral. Mais pour le moment, l’entrepreneur est dans l’incertitude, puisqu’il ne sait toujours pas si son institution financière acquiescera à sa demande.

« C’est très long, indique-t-il au bout du fil. Tout se fait par téléphone. Les agents de prêt sont chez eux. On n’est plus capable de rencontrer personne. On leur a tout envoyé ce qu’on pouvait, si on pouvait envoyer le comptable, on le ferait », lance-t-il en riant.

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Christan Paquette a dû faire une demande d’emprunt personnel pour rembourser la somme de 40 000 $.

Si je n’ai pas cette tranche hypothécaire là, on va peut-être tout simplement décider de mettre la clé sous la porte. Si je ferme, ma fille perd son emploi.

Christian Paquette, propriétaire de l’Atelier Christian Paquette

Retour en arrière. Au plus fort de la pandémie, Ottawa a créé le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) afin de donner un coup de pouce aux entreprises. Plusieurs d’entre elles ont reçu la somme maximale de 60 000 $. De cette somme, pour obtenir un pardon de 20 000 $ – donc pour conserver une partie en subvention –, elles doivent rembourser 40 000 $ d’ici le 18 janvier 2024. Cette échéance avait d’abord été fixée au 31 décembre 2022, puis remise d’un an. En septembre, le gouvernement fédéral l’a une fois de plus repoussée, mais de quelques semaines cette fois, jusqu’en janvier. Les entreprises qui n’arriveront pas à payer 40 000 $ à la nouvelle date prévue perdront leur subvention et auront jusqu’au 31 décembre 2026 pour rembourser 60 000 $ à 5 % d’intérêts.

Ce court sursis ne changera rien pour bien des entrepreneurs, selon Juliette Brun, fondatrice de Juliette & Chocolat. La femme d’affaires, qui a annoncé en août la fermeture de ses huit établissements parce qu’elle étouffait sous les remboursements, est en quelque sorte devenue le symbole de cette crise vécue par plusieurs PME.

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Juliette Brun, fondatrice de Juliette et Chocolat, a pris la décision de fermer ses huit établissements.

Si c’est pour le reporter de 18 jours, franchement, ça ne fait aucune différence.

Juliette Brun, fondatrice de Juliette & Chocolat

Le cas de Sylvie Masson, propriétaire de la boutique L’Aquavin du Cellier à Terrebonne, illustre bien ce propos. Lorsqu’on lui demande si ce report lui permettra de rembourser les 40 000 $ qu’elle doit, elle répond sans hésiter par la négative. « J’ai eu plein de dépenses, je suis incapable de rembourser la dette. »

En affaire depuis 17 ans, l’entrepreneure qui vend notamment des bombonnes d’eau, des refroidisseurs, mais également des tasses et des verres personnalisés, a été contrainte de quitter son local de 1800 pi2 en raison de la hausse du loyer. Avant d’emménager dans un nouvel emplacement représentant la moitié de son ancienne superficie, elle a dû entreposer sa marchandise dans un garage pendant deux mois. La femme âgée de 60 ans ne peut plus compter sur la petite équipe de trois employés qu’elle avait formée. Elle est maintenant seule à bord avec son fils qui caresse l’idée de prendre la relève.

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Sylvie Masson, propriétaire de la boutique L’Aquavin du Cellier

Je ne suis même pas capable de commander ma pancarte extérieure. Ça coûte 3000 $. En attendant, j’ai mis des ballounes à l’extérieur.

Sylvie Masson, propriétaire de la boutique L’Aquavin du Cellier à Terrebonne

Questions sans réponse

Sylvie Masson a tenté d’entreprendre des démarches auprès de son institution financière pour obtenir un prêt. Actuellement, elle est en attente. « Il n’y a personne qui ne sait rien, laisse-t-elle tomber. À la Banque Royale, quand j’ai téléphoné, ils m’ont dit d’attendre. Tout le monde attend après tout le monde. »

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Mme Masson espère que la période des Fêtes sera faste et qu’elle lui permettra de renflouer les coffres de sa boutique.

La propriétaire de L’Aquavin se donne « une belle grosse année » avant de sceller le sort de son entreprise. D’ici là, elle croise les doigts pour que son temps des Fêtes soit lucratif.

Mme Masson, comme d’autres entrepreneurs, se sent un peu laissée à elle-même dans cette situation. Des questions demeurent sans réponse et aucune ressource ne semble disponible pour l’aider à évaluer ses options. « Il n’y a pas de soutien du tout, confirme également Christian Paquette. Les banques sont très indépendantes. »

« Le fait d’en avoir parlé a ouvert la discussion avec beaucoup de gens qui étaient dans la même situation que moi, raconte pour sa part Juliette Brun, près de trois mois après avoir annoncé la fermeture de ses restaurants. Ça a permis à ces personnes-là qui se sentaient un peu isolées dans leur défi d’en parler avec quelqu’un qui l’a vécu avant elles et qui n’était pas dans le jugement. Car l’accompagnement est très limité », renchérit-elle.

Qu’est-ce que le CUEC ?

  • Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) a été créé pendant la pandémie par le gouvernement fédéral pour venir en aide aux PME.
  • La première version du programme donnait droit à un maximum de 40 000 $, dont 10 000 $ pouvaient être transformés en subvention.
  • Le gouvernement a ensuite bonifié son programme avec un prêt de 60 000 $, dont 20 000 $ en prêt « pardonnable ».
  • La première date limite de remboursement pour ces deux versions était le 31 décembre 2022, si les entreprises voulaient conserver leur subvention.
  • Cette date a finalement été repoussée au 31 décembre 2023.
  • Le 14 septembre, le gouvernement a reporté une fois de plus la date au 18 janvier 2024, si les entreprises veulent conserver la portion transformable en subvention.
  • Les PME qui sont actuellement en processus pour refinancer le CUEC, notamment en demandant un prêt personnel, auront jusqu’au 28 mars 2024 si elles souhaitent garder leur subvention.
  • Au-delà de ces délais, les entreprises perdront la partie subvention et devront rembourser la totalité du prêt le 31 décembre 2026, avec des intérêts de 5 %.