De l’argent, des eCoupons ou des années d’attente ? Ce sont les trois choix offerts par la nouvelle plateforme en ligne d’Air Canada à ses clients qui ont porté plainte à l’Office des transports du Canada (OTC) après un vol retardé ou annulé.

Le transporteur ne l’a jamais annoncé officiellement, mais il a commencé à contacter ses clients par courriel pour leur proposer de régler leur dossier avec rapidité. Pas moins de 61 000 plaintes sont en attente de traitement par l’OTC, un arriéré qui pourrait prendre des années à éliminer.

Pour avoir droit à une indemnité en deux temps, trois mouvements, il suffit de se connecter à une nouvelle « plateforme de règlement des différends en ligne » qui utilise l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci est le fruit d’un partenariat avec eConciliador, une entreprise de technologie brésilienne spécialisée dans le domaine.

Dans le courriel transmis à ses clients, le transporteur aérien explique que la plateforme permet d’avoir accès à une offre personnalisée. « Si vous l’acceptez, nous accélérerons le processus d’indemnisation et fermerons le dossier. Si vous la refusez, votre dossier continuera d’être traité normalement dans le cadre du processus de traitement de l’arriéré de l’OTC. » Personne n’est tenu d’y participer.

Sébastien Carréno a reçu ce fameux courriel, il y a quelques jours. En mai 2022, son vol vers la République dominicaine était arrivé avec plus de trois heures de retard. Quand la faute est imputable au transporteur, l’indemnisation prévue par la Charte des voyageurs est alors de 400 $ par passager. Sa famille de quatre personnes avait donc réclamé 1600 $, ne croyant pas à la défense fournie par Air Canada sur le coup.

Quand il s’est rendu sur la nouvelle plateforme, on lui a proposé 660 $ comptant ou 1000 $ en eCoupons. Convaincu qu’il a droit à 1600 $, Sébastien Carréno a refusé.

La plateforme lui a demandé quel dédommagement il désirait, ce à quoi il a répondu 1500 $. « Après 30 secondes de réflexion, la plateforme refuse et me fait une dernière offre dite finale à 1000 $ en cash ou 1600 $ en eCoupons, m’a-t-il raconté. J’avoue que le fait que l’offre augmente de 40 % en un clic m’indigne un petit peu, je refuse donc de nouveau. » La proposition sera sur la table pendant 60 jours, s’il change d’idée.

Sébastien trouve choquant qu’Air Canada utilise le fait que les plaintes à l’OTC sont longues à être traitées pour mettre de la pression sur ses clients et ainsi échapper à ses obligations.

C’est aussi l’avis de Jacob Charbonneau, PDG et cofondateur de Vol en retard, une entreprise qui aide les voyageurs à faire valoir leurs droits. « Air Canada refuse presque systématiquement les demandes d’indemnisation », dénonce-t-il, ce qui provoque l’arriéré monstre à l’OTC. « Et après, on crée une technologie qui permet d’envoyer des offres au rabais en disant que c’est long à l’OTC. On crée une situation et après, on l’utilise à son avantage. »

De fait, qu’Air Canada dise que eConciliador est proposé aux clients « pour aider à réduire l’arriéré de l’Office » me semble assez ironique dans les circonstances !

Mais le plus curieux, c’est que le transporteur m’a aussi écrit que les indemnisations prévues par la loi étaient versées « rapidement et systématiquement aux clients ». Et que les plaintes qui se retrouvent devant l’OTC y sont parce que les clients réclament une indemnisation « alors [qu’Air Canada a] estimé qu’ils n’y avaient légalement pas droit ».

Autrement dit, Air Canada prétend indemniser tout le monde : ceux dont la réclamation est fondée (rapidement et systématiquement) et ceux dont la réclamation est sans fondement (avec eConciliador). Évidemment, ce n’est pas parce qu’Air Canada juge qu’une plainte est illégitime que c’est le cas.

Le transporteur croit sans doute qu’il est dans son intérêt de verser une somme à des clients mécontents pour sauver son image. Pour faire la paix. Pour revoir un jour ces personnes dans ses avions. C’est tout à fait légitime. Dans une entreprise, tout est calculé, on n’est pas dans la générosité désintéressée, ici.

Il faut aussi savoir que l’OTC facturera, à court ou moyen terme, les compagnies aériennes pour chaque décision que ses employés devront prendre afin d’encourager les ententes rapides, à l’amiable. On ne connaît pas encore le montant qui sera exigé par l’OTC, sa suggestion sera bientôt annoncée publiquement afin de recueillir les commentaires. Mais peu importe l’ampleur de ces nouveaux coûts, les ententes à l’amiable n’auront jamais été aussi avantageuses, ce qui peut avoir motivé Air Canada à utiliser une nouvelle approche.

De son côté, Air Transat continue de miser sur son « processus existant de gestion des plaintes » et son « équipe dédiée ». On ne voit pas la nécessité de se doter d’un autre système. « Air Transat a un nombre minime de plaintes en suspens avec l’Office et la plupart sont déjà réglées ou en voie de l’être », m’a-t-on écrit.

Reste maintenant à déterminer si les offres « rapides » d’Air Canada sont plus avantageuses pour les consommateurs que l’attente devant l’OTC.

« C’est du cas par cas. Tout dépend de son niveau de confiance », analyse Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs et experte dans le domaine du transport aérien. Le processus devant l’OTC prend du temps, c’est du trouble, et il n’y a aucune garantie de gagner.

Certains voyageurs seront contents de tourner la page au plus vite, d’autres auront tout avantage à attendre la décision de l’OTC parce que leur dossier est solide. Les indemnités en eCoupons, plus généreuses qu’en argent, pourraient plaire à des personnes qui prévoient voyager bientôt (attention à la date d’expiration).

Le proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » viendra sûrement à l’esprit d’un grand nombre de personnes.

Après un mois d’eConciliador, l’OTC évalue que la plateforme a engendré la résolution de 800 plaintes ; Air Canada parle plutôt de 2200.

Pour Air Canada, sa nouvelle approche est « tout à fait novatrice » et la « grande majorité » des clients qui l’ont essayée ont soumis des « commentaires positifs ». En réalité, le transporteur a toujours pu proposer des indemnités à ses clients mécontents en attendant la décision de l’OTC. Ce qui change, c’est l’usage d’une nouvelle technologie.

Mais comme chacun sait, tout est dans la manière.