Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Il y a 15 ans cette semaine, l’investisseur et homme d’affaires milliardaire Warren Buffett publiait ce qui allait devenir le texte le plus célèbre de sa vie.

À cette époque, en octobre 2008, les choses n’allaient pas bien, pour utiliser un euphémisme.

Les États-Unis étaient frappés par l’une des pires crises économiques de l’histoire. Victime de l’éclatement de la bulle immobilière américaine, le géant financier Lehman Brothers venait d’imploser, entraînant le licenciement de ses 25 000 employés et provoquant par un effet domino une panique sur les marchés du globe.

Sur Wall Street, les marchés financiers étaient au rouge depuis des mois. Apple avait perdu 50 % de sa valeur depuis le début de l’année. Amazon, 46 %. Bank of America, 40 %. Microsoft, 35 %. Et ainsi de suite.

Loin de ralentir, les chutes s’accéléraient. Plusieurs commentateurs affirmaient qu’on était à quelques jours de voir les banques américaines cesser de recevoir les paies de leurs clients, et de voir les guichets automatiques arrêter de distribuer de l’argent.

C’est dans ce contexte que Warren Buffett a fait publier, le 16 octobre 2008, une lettre dans les pages d’opinion du New York Times.

Le titre : « Buy American. I Am », qu’on pourrait traduire par « Achetez américain. Je le fais ».

« Le monde financier est en désordre, tant aux États-Unis qu’à l’étranger, y écrit Buffett. À court terme, le chômage va augmenter, l’activité des entreprises va faiblir, et les nouvelles continueront d’être effrayantes. Et donc… j’achète des actions américaines. »

L’investisseur y explique qu’une règle simple dicte ses achats : « Avoir peur quand les autres sont avides, et être avide quand les autres ont peur. »

Les gens ont raison d’avoir peur, écrit-il. « Mais les craintes concernant la prospérité à long terme des nombreuses entreprises solides du pays n’ont aucun sens. La plupart des grandes entreprises établiront de nouveaux records de bénéfices dans 5, 10 et 20 ans. […] À long terme, les nouvelles boursières seront bonnes. »

Buffett y avertit aussi de ne pas voir sa lettre comme le signal que les chutes sont terminées.

« Je suis incapable de prédire les mouvements à court terme du marché boursier. Je n’ai pas la moindre idée de la hausse ou de la baisse des actions dans un mois ou dans un an. Ce qui est probable, en revanche, c’est que le marché augmentera, peut-être de manière substantielle, bien avant que les sentiments ou l’économie ne se redressent. Si vous attendez le chant des rouges-gorges, le printemps sera terminé. »

Faux sentiment de sécurité

Les gens qui n’investissent pas et gardent de l’argent comptant durant la crise, dit-il, ont un faux sentiment de sécurité puisque leurs dollars se déprécient en raison de l’inflation. « Et personne ne sait quand sera le « bon » moment d’entrer dans le marché. »

En 563 mots publiés durant la tempête, Warren Buffett a transmis à ses lecteurs la philosophie de toute une vie.

La Bourse a continué de chuter dans les mois qui ont suivi. Une somme de 10 000 $ investie dans les plus grandes sociétés américaines le jour de la publication de la lettre de Buffett ne valait plus que 6400 $ quatre mois plus tard, une baisse de 35 %.

Or, en mars 2009, les marchés financiers se sont tranquillement mis à remonter. Personne ne le savait à l’époque, mais le S&P 500, principal indice boursier aux États-Unis, était sur le point de vivre la meilleure décennie de croissance de son histoire.

Quinze ans plus tard, la somme de 10 000 $ investie le jour de la publication de la lettre de Buffett vaut 49 000 $. Une croissance annuelle moyenne de plus de 11 %, en incluant le réinvestissement des dividendes.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de la lettre écrite par Buffett ?

Premièrement, Warren Buffett avait 78 ans lorsqu’il a écrit ces mots (il en a 93 aujourd’hui). Et donc ce n’est pas parce qu’on a dépassé l’âge de 65 ans qu’on devient tout à coup incapable d’avoir des actions dans son portefeuille, et de vivre de la volatilité boursière. Un portefeuille équilibré comprendra toujours au moins deux composantes, les actions et les obligations, peu importe notre âge.

Buffett nous rappelle aussi l’évidence : ce n’est pas parce que tout le monde perd la tête autour de nous que nous devons la perdre également. On peut à la fois s’attendre à ce que l’économie entre en récession, et conserver nos placements et continuer d’investir davantage. Les gens qui ont continué d’investir sont sortis de la crise de 2008 avec une belle somme dans leur portefeuille. Ceux qui ont paniqué ont perdu.

Finalement, Buffett nous met en garde : dans une crise, le moment idéal pour investir n’est évident qu’après les faits. Investir et voir la valeur de ses placements chuter davantage la seconde d’après envoie un signal d’« erreur » à notre cerveau. C’est contre-intuitif, mais il faut apprendre à l’ignorer. Voir la valeur d’un portefeuille équilibré et diversifié diminuer est normal. Une chute est tout simplement une occasion d’acheter des actifs à meilleur prix. Pas la fin du monde.

Comme investisseurs, nous ne contrôlons pas la direction des marchés. Mais nous contrôlons complètement nos réactions face au marché.

Le comprendre est le défi d’une vie – c’était vrai en 2008, ça l’est toujours aujourd’hui.

Le temps des CPG ?

Plusieurs lecteurs ont des questions concernant les certificats de placement garantis (CPG), dont le rendement a augmenté récemment avec la hausse des taux.

Michel écrit : « Avec la hausse du rendement des obligations, il est bien tentant de vendre des titres boursiers pour acheter des CPG dans les comptes enregistrés, surtout à la retraite. Qu’en pensez-vous ? »

La réponse courte (et plate) : un changement dans les marchés – qu’il soit positif ou négatif – ne devrait pas influencer l’allocation actions-obligations de notre portefeuille.

La réponse longue (et plus intéressante) : c’est vrai que les CPG offrent des rendements de plus de 5 % par année, ce qui ne s’était pas vu depuis l’époque où il fallait tourner une manivelle pour ouvrir la fenêtre de sa voiture et qu’on devait se lever du sofa pour changer de chaîne.

Cela étant dit, un rendement de 5 % quand l’inflation est à 4 %, ce n’est pas le geyser d’enrichissement qu’on pourrait imaginer.

Un portefeuille diversifié d’actions canadiennes, américaines et internationales a eu des rendements annuels moyens de 9 % depuis 50 ans, selon les calculs de Justin Bender, de la firme PWL Capital⁠2.

Remplacer un actif qui a le potentiel de générer 9 % par un actif qui génère 5 %, c’est théoriquement accepter une baisse de rendement de 44 % par année. Ce n’est pas banal. Sacrifier la croissance à long terme pour la sécurité à court terme n’est peut-être pas la solution idéale pour la majorité des investisseurs.

Cela dit, est-ce que votre portefeuille est trop riche en actions, et donc trop volatil à votre goût ? Dans ce cas, augmenter la portion allouée aux obligations ou aux CPG pourrait être un choix sensé pour vous. Pas pour essayer de synchroniser les marchés, mais plutôt pour tenter de trouver le portefeuille avec lequel vous êtes capable de vivre, peu importe l’état des marchés.

1. Lisez « Buy American. I Am » (en anglais, sur abonnement) 2. Consultez le document de la firme PWL Capital (en anglais) Écrivez à Nicolas Bérubé