Et puis, avez-vous pu prendre des vacances cet été ?

De mon côté, ma famille a cassé son petit cochon pour aller en Europe, où nous n’étions pas allés depuis plus d’une décennie.

Même si nos vacances ont été géniales, que nous avons des souvenirs et beaucoup trop de photos dans nos téléphones, je ne suis pas du type à broyer du noir à mon retour au pays. C’est plutôt le contraire.

Par exemple, j’aime aller courir sur le mont Royal. Mais j’admets qu’au bout d’un certain temps, il cesse de me fasciner : je le remarque moins.

Mon esprit sait que c’est beau. Mais le côté immédiat de la beauté ne me frappe plus. Peu à peu, je me mets à comparer une sortie de jogging sur le mont Royal avec ce que ce serait dans les Laurentides, par exemple. Et je réalise que le mont Royal a ses limites.

Mais après avoir couru dans de grandes villes de France cet été, je suis retourné sur le mont Royal. Et là, j’ai compris.

Quelle métropole de plus de 4 millions d’habitants dans le monde a en son centre une gigantesque explosion de verdure où la végétation est aussi dense ? Où on peut trouver de la fraîcheur et de la tranquillité si facilement ? Où on peut prendre d’aussi belles photos d’écureuils ? (OK, oubliez la dernière ligne.)

Le mont Royal est incroyable. Mais il faut aller ailleurs pour le réaliser.

En comparant le mont Royal aux Laurentides, j’étais sous l’influence de ce que les psychologues appellent le biais de disponibilité. C’est le biais qui consiste à utiliser des informations immédiatement disponibles comme points de repère, plutôt qu’à chercher à élargir notre champ de comparaison en découvrant de nouvelles informations.

Aujourd’hui, je compare le mont Royal à ce qu’on trouve dans les villes européennes. Des villes qui ont des parcs magnifiques, mais où les bâtiments ont depuis des siècles avalé un espace de l’envergure du mont Royal.

Bref, je réalise que le biais de disponibilité travaillait secrètement à plomber mon humeur. Pas énormément. Juste un peu.

Ce biais s’immisce dans toutes sortes de facettes de notre quotidien et mine notre capacité à être heureux.

Par exemple, lorsqu’on compare nos vies à celles de gens qui ont vécu il y a 50 ou 100 ans, on réalise qu’on vit dans une période d’abondance si totale et extrême qu’elle serait impossible à imaginer par nos ancêtres.

Mais ce n’est pas ce que nous faisons. Notre point de comparaison n’est pas 1923, mais bien 2023. Il se présente sous la forme de nos amis, collègues, voisins, de même que les gens que l’on observe sur les réseaux sociaux. Et peu importe notre revenu, nous pouvons toujours comparer avec une ou des personnes qui ont un plus grand train de vie que nous.

C’est pour cette raison que vivre parmi les gens fortunés alors qu’on appartient à la classe moyenne est mauvais pour la santé mentale, comme l’a démontré une étude1 réalisée il y a plusieurs années par des chercheurs de l’Université de Warwick et de l’Université de Cardiff, au Royaume-Uni.

C’est que notre train de vie sera toujours un peu en dessous de celui de notre groupe de référence, et nous n’aurons jamais l’impression de vivre comme on le devrait.

Le site Bloomberg a exploré ce phénomène cet été dans un dossier intitulé « Are you rich ? » (Êtes-vous riche ? en français) 2.

Les journalistes ont interviewé des gens qui gagnent plus de 175 000 $ US (235 000 $ CAN) par année, soit faisant partie des 10 % d’Américains les mieux rémunérés, mais qui ne se sentent pas riches pour autant. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’en comparaison avec les gens autour d’eux, ils n’ont pas un train de vie si remarquable.

Un homme de 33 ans interviewé dans l’article qui voyage beaucoup et fréquente de bons restaurants dit : « Il y a 10 ans, si j’avais su que je gagnerais autant d’argent qu’aujourd’hui, j’aurais été sidéré. J’aurais dit que j’étais en train de vivre à fond. Aujourd’hui, bien que je sois financièrement à l’abri, je n’ai pas l’impression de gagner beaucoup. »

Gagner 235 000 $ CAN par an, c’est avoir accès à un geyser d’argent que 99 % des humains ayant vécu sur cette planète n’ont jamais pu contempler.

Mais si c’est notre cas, et que nous sommes entourés de gens qui gagnent 500 000 $, 750 000 $, 1 million, nous n’aurons pas l’impression d’être riches.

Qu’on soit riche ou pas, nous devons nous obliger à regarder ce que nous avons et à réaliser à quel point nous sommes privilégiés. Prenons même quelques instants pour songer à comment on se sentirait si on perdait tout ça du jour au lendemain.

J’utilise le mot « obliger », car notre cerveau ne le fera pas tout seul : il en est incapable. Son rôle est de toujours en vouloir plus. Plus d’expériences. Plus de possessions. Plus de nouveautés.

Ce réflexe nous a longtemps bien servi : sans lui, les humains habiteraient encore dans des grottes humides. Mais dans le monde moderne, cet automatisme s’emballe et cause de la frustration et de l’anxiété qui n’ont pas lieu d’être.

J’ai lu une phrase récemment qui disait : « Si vous n’êtes pas heureux avec un café, vous ne serez pas heureux avec un yacht. »

À 20 ans, cette phrase m’aurait fait rire. Aujourd’hui, je n’ai qu’à regarder autour de moi pour constater sa justesse.

L’automobile en question

Parlant de bonheur, j’ai pris plaisir à vous lire la semaine dernière au sujet des automobiles. Je suggérais de dépenser 10 % des revenus de son ménage pour acheter un véhicule3.

René écrit : « J’ai acheté mon véhicule l’an dernier, une Subaru Outback 2011 au coût de 3500 $ qu’un ami vendait pour s’acheter une camionnette F-250 à presque 100 000 $. Mon revenu de l’an dernier était de 180 000 $, et je peux vous dire que mon auto fait très bien l’affaire ! »

Benoît écrit : « À 60 ans, je n’ai jamais acheté de voiture neuve, et mes actifs financiers dépassent le million depuis plus de 10 ans. J’achète des véhicules d’occasion de 4 à 5 ans ayant environ 80 000 km au compteur, et je les conserve jusqu’à ce que l’odomètre atteigne 250 000 km. Je conduis présentement une Chevrolet Volt, une voiture hybride rechargeable qui me coûte 400 $ en essence aux 20 000 km. »

J’avais aussi pressenti que je me ferais engueuler, et je n’ai pas été déçu.

Martin écrit : « Vraiment ? Prendre un revenu annuel moyen et suggérer un achat sur une période de 5 ou 10 ans ? Wow ! Et on termine en disant que l’on est actionnaire de Volkswagen et autres… Bien oui, petit vantard, moi aussi, je suis actionnaire de Tesla depuis 7 ans… Cela ne me donne pas le droit de tenter de ridiculiser les gens. »

Je ne crois pas avoir été méprisant – à moins que vous ne soyez un siège en cuir ou un 4X4 de l’année. Pour ce qui est d’être vantard, j’allais me défendre, mais j’ai commencé ce texte en me vantant de mon voyage en Europe et de faire du jogging. Adjugé coupable.

1. Consultez un résumé de l’étude (en anglais) 2. Lisez le dossier de Bloomberg (en anglais) 3. Lisez le texte « Ce qu’on devrait dépenser pour l’achat d’un véhicule »