L’entreprise Coco Village, spécialisée dans la vente en ligne de meubles et de jouets de bois pour enfants, était devenue un fleuron de l’entrepreneuriat québécois ; une trentaine d’employés, des commandes partout aux États-Unis et au Canada ainsi que des millions en revenus galvanisés par le coconnage pandémique. Or, des dizaines de clients exaspérés attendent toujours leur commande, des mois après la date de livraison prévue.

Sophie Lefin, par exemple, a commandé au coût d’environ 300 $ une tour d’apprentissage pour l’anniversaire de 1 an de son fils, le 7 juin. « Je me suis prise d’avance, j’ai commandé au mois d’avril, explique-t-elle au téléphone. Le site affichait une date de livraison entre 15 juin et le 15 juillet. J’acceptais d’offrir le cadeau avec un peu de retard. »

À la mi-août, le petit n’avait toujours rien à déballer. Sophie explique avoir écrit un premier courriel à Coco Village le 19 juillet pour se renseigner sur sa commande. « On m’a répondu un courriel générique pour me dire que la nouvelle date était le 15 août. »

Une fois cette échéance passée, la jeune femme a de nouveau sollicité une mise à jour auprès de l’entreprise sise à Varennes. « Je pense que je leur ai envoyé une dizaine de courriels, et on me répondait toujours un peu vaguement. »

Dans les derniers mois, des messages de clients mécontents ont commencé à apparaître sous les publications de Coco Village dans les réseaux sociaux. Encore aujourd’hui, des émoticônes de bonhomme fâché accompagnent les publicités de l’entreprise. Les doléances des consommateurs dans les commentaires sont effacées au fur et à mesure, avons-nous pu constater.

IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN

Une cafetière en bois vendue par Coco Village

Problèmes d’entrepôt, volume de commandes, grève au port de Vancouver, etc. Derrière les messages rassurants ou les silences d’un service à la clientèle surchargé se cachait une autre réalité : l’entreprise était en faillite et devait 7,5 millions à ses créanciers, dont près de 1 million à Meta (Facebook, Instagram) et 1,5 million à UPS Canada.

Au bout du processus, le commerce a été racheté par une nouvelle entité créée par les deux propriétaires, Yoann Desrosiers et Dominik Larose, et leurs créanciers garantis (voir autre onglet).

« Coco Village a été achetée par 9481-6964 QUEBEC INC. au terme d’une transaction qui a clôturé le 13 juin dernier et 9481-6964 QUEBEC INC. poursuit aujourd’hui les opérations et l’exploitation de la marque dans le cours normal des affaires », nous a écrit par courriel le directeur M. Desrosiers.

Un cours pas si normal pour Sophie qui, comme d’autres clients, s’est fait offrir trois options à force d’acharnement :

– Attendre la commande, sans date de livraison garantie.

– Un remboursement en argent amputé de frais d’annulation de 15 %.

– Un remboursement intégral sous forme de carte cadeau valide pendant un an.

Au Québec, une carte cadeau échangeable contre un bien ou un service ne peut pas être assortie d’une date d’expiration, selon la Loi sur la protection du consommateur.

Sophie ne veut pas non plus payer une pénalité en raison des difficultés de Coco Village. Explication de l’entreprise : avant chaque achat, un avertissement précise qu’un article en précommande « ne peut pas être annulé, retourné ou échangé ».

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’OPTION CONSOMMATEURS

Alexandre Plourde, avocat et analyste à Option consommateurs

Cette politique n’efface en rien la Loi sur la protection du consommateur (LPC), explique Alexandre Plourde, avocat et analyste à l’organisme Option consommateurs. « On ne peut pas annuler ou contrecarrer la LPC par une clause contractuelle. En matière de commerce en ligne, un commerçant peut fixer le délai de livraison qu’il souhaite, mais une fois la date fixée, il doit la respecter. Le commerçant bénéficie d’une période de grâce de 30 jours. Si le bien n’est toujours pas reçu après ce délai, le consommateur a le droit d’annuler son achat et de demander un remboursement complet. »

Attendre la commande ? Le fils de Sophie grandit et aurait dû pouvoir utiliser sa tour d’apprentissage depuis plusieurs mois déjà. Insatisfaite, la jeune femme s’est tournée vers la rétrofacturation auprès de l’institution financière émettrice de sa carte de crédit. C’est ce qu’Option consommateurs recommande dans une telle situation.

Dans un courriel transmis à La Presse, le copropriétaire Yoann Desrosiers admet que Coco Village a « accusé au cours des dernières semaines un retard de livraison sur deux produits spécifiques, soit les tours éducatives et les lits maisonnette », et cela « dû à la grève au port de Vancouver ».

Selon lui, les commandes en question devaient être livrées du 15 juillet au 15 août, et non du 15 juin au 15 juillet, comme le soulignent de nombreux clients. « Les commandes affectées sont présentement en cours de traitement et le tout devrait avoir été expédié en entier d’ici la fin de la semaine prochaine, nous a écrit M. Desrosiers vendredi dernier. Les clients affectés ont été avisés par courriel. Les produits portant la mention en stock sont expédiés dans nos délais normaux de 2 à 5 jours. »

De nombreux clients se plaignent en outre de retard de livraison sur des vélos et sur des accessoires qui n’étaient pas vendus en « précommande ».

L’Office de protection du consommateur (OPC) a reçu 20 plaintes contre Coco Village depuis 2020 et a obtenu copie d’une mise en demeure envoyée le 8 juin dernier.

Encore d’importants rabais

Coco Village, qui vante sa « livraison rapide partout dans le monde » et ses « retours faciles », explique à ses clients insatisfaits que des « délais hors de [leur] contrôle peuvent arriver ». « C’est ce qui arrive présentement en raison d’un volume inattendu de commandes et de la grève du port de Vancouver », écrit par exemple un représentant dans un courriel à une cliente le 20 août.

« En raison d’un nombre accru de commandes, notre délai de traitement des commandes pour les produits en stock est plus long qu’à l’habitude et est actuellement estimé entre 7 et 10 jours », affichait toujours le site web de Coco Village au moment de publier.

Dans un même temps, depuis plusieurs semaines, l’entreprise mène une offensive publicitaire pour stimuler ses ventes, des précommandes. Elle bombarde ses clients potentiels de courriels et de publicités dans les réseaux sociaux. La page Facebook de la marque compte plus de 400 000 abonnés.

Une offre de lancement prévoit des rabais de 25 à 40 %. L’entreprise précise qu’elle n’a pas les produits de sa nouvelle collection en stock et que ceux-ci seront livrés entre le 15 octobre et le 15 novembre. Les meubles et jouets sont conçus au Québec, mais fabriqués en Asie.

Montagnes russes

Dans une émission balado de J7 Média diffusée en mai 2020, Yoann Desrosiers aborde les détails de l’« hypercroissance » de Coco Village, qui a fait passer son chiffre d’affaires de « zéro à des millions de dollars de chiffres d’affaires mensuels en l’espace de 18 mois seulement ».

Les déboires de l’entreprise, lancée en 2018, ont commencé en 2021, selon le dossier de faillite consulté par La Presse, avec un accroissement des coûts de production, des problèmes d’approvisionnement et de gestion des stocks ainsi qu’une diminution de la demande post-pandémique.

« Nous savons que le domaine du commerce de détail vit des heures difficiles », écrit M. Desrosiers par courriel. « Nous avons toujours livré les commandes à nos clients et continuons de le faire. Nous avons pris les dispositions nécessaires afin de passer à travers cette tempête qui secoue le commerce de détail en ayant toujours comme priorité de servir nos clients. »

Que dit la loi ?

Selon la loi, un détaillant doit placer en fiducie les sommes recueillies pour la vente d’un produit dont la date de livraison est dans plus de deux mois. « Déposer dans un compte en fidéicommis les sommes reçues d’un consommateur pour un bien qui sera livré ou un service qui sera fourni plus de 2 mois après la vente est une obligation », explique l’Office de protection du consommateur (OPC).

« Ce n’est certainement pas aux consommateurs de faire les frais du choix d’un commerçant d’avoir un modèle d’affaires dans lequel il tient peu ou pas d’inventaire, rappelle Alexandre Plourde, d’Option consommateurs. C’est à lui et non aux clients de supporter les risques. »