Les couples préparent avec minutie leur mariage, souvent plus d’un an à l’avance, en réservant la salle de réception, le lieu de la cérémonie et le photographe pour que tout soit parfait le jour venu. Outre la pluie, un contrat de service non respecté peut gâcher la journée.

« Je ne peux pas croire que moi, qui suis si organisée, si informée et qui travaille dans le milieu juridique, je me suis fait avoir », confie Julie St-Pierre qui a encore le cœur gros en racontant la journée de son mariage où le photographe avec qui elle avait signé un contrat ne s’est pas présenté.

Pour Julie St-Pierre et son conjoint, les photos de mariage étaient la partie la plus importante de l’évènement. Ils avaient consacré plusieurs heures de recherches avant de signer le contrat, plus d’un an avant la date du mariage, avec Joshua Prince. Un photographe de talent, reconnu avec un portfolio incroyable, qui avait une touche particulière dans son post-traitement des photos et savait capter l’émotion du moment, selon Mme St-Pierre.

Les souvenirs du mariage vont rester dans nos têtes, mais cette journée-là passe tellement vite que les photos sont l’empreinte de la journée. L’émotion du moment ne reviendra plus.

Julie St-Pierre

Julie St-Pierre était en train de se faire maquiller lorsque le photographe Joshua Prince lui a écrit sur Facebook qu’il ne pourrait pas être là, car son père était en train de mourir. « C’était une catastrophe, je me suis mise à pleurer et je n’arrêtais pas de pleurer. J’étais dans un état de panique, j’ai passé une partie de la journée du mariage à pleurer. »

Joshua Prince envoie un remplaçant sans véhicule pour suivre les mariés au cours de la journée, qui n’est pas à la hauteur des attentes du couple. Voyant que ce nouveau photographe semble avoir de la difficulté à utiliser son appareil, Mme St-Pierre téléphone d’urgence à une autre photographe.

« Quand j’ai pris l’appel, la dame était en pleurs, sous le choc. J’étais déjà en train de photographier un autre mariage, alors je n’ai pas pu aller remplacer le photographe sans expérience », raconte la photographe de mariages Nathalie Madore.

« Un mariage, c’est l’évènement le plus important dans la vie d’un couple. Tu ne peux pas leur gâcher ça. Des photos floues, ça ne se récupère pas », soutient la photographe qui, avec l’insistance de Mme St-Pierre auprès de Joshua Prince, a réussi à obtenir les fichiers du photographe pour tenter d’améliorer le rendu final.

« C’est juste des photos, mais je l’ai encore sur le cœur, confie Julie St-Pierre. C’est comme si tous les bons moments de la journée n’existaient plus à cause de cet évènement-là. Pendant des semaines, c’était en train de prendre le dessus de toute la journée de mon mariage. »

« Mon père n’est pas mort et n’habite pas ici », affirme au téléphone Joshua Prince, qui avoue avoir signé trois contrats de mariage la même journée que celui de Mme St-Pierre. Il explique à La Presse qu’il n’est pas doué pour l’organisation et qu’il aurait dû être plus clair dans ses contrats qu’un autre membre de son équipe pourrait prendre les photos à sa place.

« C’est une maladresse de ma part, parce que les gens s’attendent à ce que ça soit moi », admet-il.

Photos prises, mais pas rendues

« J’avais une confiance aveugle dans ce photographe et je me suis fait avoir dans un moment aussi important de notre vie », raconte à son tour Marie-Claire Simard.

Cette fois, c’est Joshua Prince qui a pris les photos et un sous-traitant a filmé. Les deux contrats précisaient la délivrance 30 jours après le mariage, photos illimitées et deux types de vidéo. Le mariage a eu lieu en octobre. En mars, Marie-Claire Simard n’avait pas encore reçu tout le contenu prévu au contrat.

La mariée est inquiète, car elle tente de joindre le photographe par différents moyens et peine à recevoir une réponse. Lorsqu’elle réussit enfin à avoir de ses nouvelles, Mme Simard apprend que le père de Joshua est mort, qu’il a des problèmes avec son disque dur et qu’il ne trouve plus une carte mémoire avec les photos du mariage.

Mon mariage avait une grande signification pour nous, et il détenait tous nos souvenirs.

Marie-Claire Simard

La copie du contrat pour la vidéo qu’elle a signé est sur un lien en ligne, et la page URL n’existe plus.

Les deux mariées n’ont pas réussi à trouver un arrangement avec le photographe. Mme Simard s’est rendue aux petites créances où elle a eu gain de cause. Or, le premier jugement était sous le nom de Joshua Prince, son nom d’artiste. Elle a donc dû refaire les procédures avec le vrai nom du photographe, Jean-Pierre Saintune. Cependant, quand l’huissier s’est présenté au domicile pour saisir en biens le montant inscrit dans le jugement de la cour, Joshua Prince/Jean-Pierre Saintune n’avait aucun bien à saisir.

Au téléphone, Joshua Prince affirme qu’il a pris ce nom d’artiste « sans réfléchir aux enjeux de réclamation ». « Ce n’est pas une ruse pour me cacher. C’est plus une griffe, une signature pour les médias sociaux », explique-t-il.

Joshua Prince ne veut pas rembourser les mariées, même avec le jugement devant les tribunaux, parce qu’il considère qu’une partie du contrat a été rendue et que les demandes de remboursement sont déraisonnables même si le tribunal a jugé le contraire.

« Dans un évènement qui se fait comme ça la journée même, il n’y a rien qui peut remplacer ça. Mais en même temps, mon travail, je l’ai fait, je l’ai fait au meilleur que j’ai pu.

« C’est un peu difficile de dire, moi je suis déçu, c’est comme ça que je me sens face à ma journée de mariage, mais ça ne change rien face au fait que moi, j’étais présent et j’ai fait le travail.

C’est ça que je n’aime pas avec les mariages, c’est des mécontentements, des gens froissés, parce que quand tu n’as pas atteint leurs attentes, les gens veulent un remboursement au complet.

Jean-Pierre Saintune alias Joshua Prince, photographe

Des lectrices ont contacté La Presse parce que le photographe a fait une annonce sur les réseaux sociaux laissant sous-entendre qu’il voulait redevenir photographe de mariage alors qu’il est maintenant photographe immobilier.

Joshua Prince se veut rassurant en disant qu’il ne compte pas revenir comme photographe de mariage, mais s’il revient, et « je n’ouvre pas de porte du tout, mais ce ne sera pas comme la même personne, puis la même façon que j’ai faite, parce que clairement, j’ai foiré quelque part si on se parle là en ce moment. »

Pour éviter les mauvaises surprises

Comment s’y prendre lorsqu’on signe des contrats de service longtemps à l’avance avec différents types d’entreprises et professionnels ? Voici les conseils de Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC), et de Reza Moradinejad, professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université Laval.

Selon Charles Tanguay de l’OPC, les futurs mariés ou les consommateurs qui réservent des services des mois à l’avance avec des acomptes importants doivent savoir que la loi oblige le commerçant à transférer l’argent en fiducie.

« Les consommateurs qui magasinent divers services pour un mariage devraient s’informer auprès du commerçant qui perçoit un acompte s’il déposera la somme dans un compte en fidéicommis, comme prescrit par la loi », conseille-t-il.

Il faut aussi s’entendre sur tous les détails dans un contrat écrit, rappelle Charles Tanguay, donner le plus petit montant d’acompte possible et payer la totalité de la facture seulement après avoir reçu le service promis.

Idéalement, l’acompte devrait être payé par carte de crédit, ce qui permet une protection supplémentaire si le service devait ne jamais être rendu.

Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC)

Lorsqu’on rencontre le prestataire de service en personne et qu’on s’apprête à signer le contrat, on demande la vérification de l’identité, conseille de son côté Reza Moradinejad, professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université Laval. « Si la personne présente sa carte d’identité et qu’elle ne correspond pas au nom sous lequel elle travaille, la question, c’est de savoir, est-ce qu’on doit risquer ou est-ce qu’on va lui demander de s’identifier correctement dans le contrat avec un nom qui correspond à son identification civile ?

« À moins que la personne ait déjà rempli les démarches auprès du Registre des entreprises pour être connue en tant qu’exploitant d’une entreprise sous son nom d’emprunt », précise Reza Moradinejad.

Lorsque, sur le contrat, le prestataire de services utilise un nom d’artiste qui n’est pas celui inscrit auprès du Directeur de l’état civil, « c’est un défi de plus, rendu au tribunal, mais je ne pense pas que ce soit un défi insurmontable », affirme le professeur de droit.

Dans le cas de Joshua Prince, par exemple, on connaît bien la personne qui s’est engagée et qui utilise ce nom d’artiste de façon régulière. « Donc, lorsqu’il a signé le contrat avec son nom d’artiste, c’était une marque qui crée un lien entre sa vraie personne et son contrat. » Cependant, lorsqu’on veut gérer une entreprise avec un nom d’emprunt, il faut s’enregistrer, prévient le professeur en droit.

Est-ce que le photographe ou le prestataire de service peut se faire remplacer au pied levé ? Dans le cas d’un photographe de mariage, si on a vraiment bien identifié le photographe en regardant son travail, ses albums, son portfolio, nous sommes en présence d’un contrat intuitu personae, c’est-à-dire un contrat conclu en considération de la qualité personnelle d’un contractant. Il serait donc difficile, voire impossible, pour le photographe de se faire remplacer et envoyer une autre personne », explique le professeur de droit.

PHOTO DANY VACHON, FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ LAVAL

Reza Moradinejad, professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université Laval

À moins que ça soit écrit et prévu dans le contrat que la personne peut exécuter elle-même sa prestation ou envoyer une autre personne. Sinon, envoyer une autre personne ne pourra être considéré comme une exécution conforme de ses obligations.

Reza Moradinejad, professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université Laval

Le professeur de droit rappelle toutefois que, juridiquement, on peut avoir un contrat très bien ficelé avec des précisions spécifiques et détaillées, mais le jour J, si la personne n’exécute pas son obligation, on ne peut pas la forcer à le faire.

« On a perdu cet évènement, mais il va y avoir des recours qui vont d’une certaine façon réparer le préjudice subi. Mais c’est juste en termes monétaires, ce n’est pas en nature », conclut-il.

Huit trucs à considérer

1. Demandez conseil à vos amis et consultez les avis en ligne avant de choisir votre prestataire de service.

2. Vérifiez le nom au Registre des entreprises et sur la page « Se renseigner sur un commerçant » du site web de l’OPC.

3. Juste avant de signer le contrat, si ce n’est pas une entreprise reconnue, demandez une pièce d’identité.

4. Assurez-vous que le contrat soit bien détaillé, car si l’exécution du contrat n’est pas totale, vous pourrez aller chercher des dommages-intérêts en cours.

5. Si le prestataire de service ne respecte pas le contrat, essayez de vous entendre avec lui.

6. Si une entente s’avère impossible, essayez la rétrofacturation avec votre carte de crédit.

7. Si une entente est impossible et la rétrofacturation aussi, vous pouvez aller aux petites créances.

8. Si vous gagnez en cour, il est possible que la personne ne vous rembourse pas ou qu’elle n’ait aucun bien saisissable pour vous indemniser.