On dit que les contraires s’attirent, et c’est apparemment vrai aussi dans nos comportements avec l’argent. Des gens qui font et respectent leur budget se retrouvent avec des cigales qui dépensent comme s’il n’y avait pas de lendemain. À quelques jours de la Saint-Valentin, nous nous intéressons à ce phénomène.

Une source de conflit

Qu’on le veuille ou non, la façon dont on dépense influence notre bien-être. Des chercheurs de plusieurs disciplines commencent à sérieusement s’intéresser à notre comportement avec nos sous, notamment lorsque nous sommes en couple.

Vivre avec son opposé, lorsqu’il est question de dépenser, est très souvent source de conflit et affecte même l’engagement que l’on a dans notre relation, confirme une recherche américaine publiée l’année dernière dans le Journal of Financial Therapy.

Définitions

L’étude s’appelle Les dépensiers et les économes chez les nouveaux mariés : perceptions des partenaires sur les comportements financiers et le bien-être relationnel. Pour considérer son conjoint comme dépensier, les chercheurs ont demandé aux participants s’ils croyaient que leur partenaire de vie dépense plus qu’il le devrait, idéalement. À l’inverse, celui ou celle qui épargnait plus que souhaité était perçu comme économe, par son mari ou sa femme. Plus de 1500 couples américains ont participé à cette étude.

Les contraires s’attirent-ils ?

L’adage est bien connu et souvent vrai. Dans le cas des finances, une nuance fort intéressante a été amenée il y a plusieurs années dans une étude sur la sélection naturelle des partenaires de couple.

En 1998, deux chercheurs en psychologie américains, Eva Klohnen et Gerald Mendelsohn, ont noté que les gens qui dépensent trop vont avoir tendance à s’unir à quelqu’un qui est très économe uniquement lorsqu’ils ne se sentent pas à l’aise avec leur propre comportement. Et vice-versa.

Les gens qui sont bien avec leur comportement financier tendent à se retrouver en couple avec des partenaires similaires. Et, sans surprise, les conflits autour de l’argent sont moins fréquents dans ces couples où les deux amoureux ont les mêmes valeurs face à l’argent.

ILLUSTRATION CATHERINE BERNARD, LA PRESSE

On veut être rassuré

Il n’y a pas de hasard, confirme la psychologue Rose-Marie Charest. « Il faut regarder pourquoi on choisit les partenaires qu’on choisit, dit-elle. Il y a une multitude de motivations, mais une de celles-là est qu’il est rassurant d’être avec cette personne parce qu’elle va nous éviter de faire des choses qui pourraient nous faire du tort. Parfois, les personnes très impulsives vont choisir des partenaires très rationnels parce que ça les rassure. À l’inverse, une personne très rationnelle peut manquer de piquant dans sa vie et la personne impulsive va lui apporter quelque chose qu’elle-même n’ose pas apporter. »

L’effet réactif

Ce qui est fascinant est que le fait de se retrouver face à son opposé au cœur de l’espace intime qu’est le couple mène souvent à une exacerbation de nos propres comportements, explique Véronique Joanis, enseignante en techniques de travail social au cégep de Saint-Jérôme. Qu’est-ce à dire ? « La dynamique de couple va venir augmenter nos comportements, dit-elle. J’étais économe, je vais devenir encore plus économe parce que l’autre est dépensier. Je me restreins moi-même. »

Neuf fois plus

Les hommes qui considèrent que leur partenaire dépense trop ont neuf fois plus de probabilités de se chicaner (avec elle !) à propos des finances. Toutefois, les femmes qui savent que leur partenaire trouve qu’elles dépensent trop sont aussi plus souvent en conflit dans leur couple : 11 fois plus. Le comportement de monsieur cause également des chicanes de couple, mais beaucoup moins⁠1.

Il y a une image sociale qui dit qu’être économe est meilleur. J’ai tellement vu d’écureuils anxieux ! Il ne veut pas aller en voyage et ne priorise pas le couple, qui finit par se séparer.

Véronique Joanis, conférencière

ILLUSTRATION CATHERINE BERNARD, LA PRESSE

Une question de perception

« Il n’y a pas de mesure objective pour savoir quand on dépense trop », explique Sonya Lutter, professeure à Texas Tech, coauteure de cette étude et du livre Financial Therapy, jointe par La Presse pour éclaircir ce point : dans les deux cas, c’est le comportement de la femme qui est cause de conflit.

« Nos résultats montrent que lorsque les maris perçoivent leur femme comme dépensière, les conflits augmentent, sans égard aux dépenses réelles. Les femmes le savent lorsque leurs partenaires les trouvent dépensières et c’est néfaste pour la relation.

« Ce que l’on sait, d’études précédentes, est que les femmes ont tendance à dépenser davantage pour les autres lorsqu’elles ont de l’argent en extra alors que les hommes ont plutôt tendance à dépenser davantage pour eux-mêmes s’ils ont de l’argent en extra, poursuit Sonya Lutter. Je crois que ce que nous voyons ici est que les maris estiment qu’il y a trop de dépenses externes. Même quand les comptes sont payés, qu’il y a de l’argent épargné et investi, s’il y a un mauvais alignement sur la façon dont le couple doit dépenser, les chances de conflit sont probables. »

Économe ou chiche ?

Comme pour le profil dépensier, les économes ne sont pas tous égaux. Certains sont carrément pingres, ou cheap, comme on le dit dans le langage courant. Ceux-là sont plus facilement reconnaissables, selon la psychologue Rose-Marie Charest. « Si mon conjoint est cheap, il faut voir s’il est insécure par rapport à l’argent ou s’il manque de générosité, nuance-t-elle. Dans ce cas, je ne vais pas le sentir juste dans l’argent. Je vais le sentir dans le temps, dans les tâches qu’il faut partager. C’est étendu. »

Que faire ?

Si vous êtes dans un couple asymétrique quant au comportement avec l’argent, votre situation n’est pas désespérée, loin de là. Voici de bonnes pistes, amenées par Véronique Joanis, pour mieux vivre avec ce déséquilibre.

1. Définir et comprendre son propre comportement avec l’argent, d’une manière lucide et honnête, puis voir comment cette relation à l’argent se traduit à l’intérieur du couple.

2. Discuter, ouvrir le dialogue à propos de l’argent, en couple – sans diaboliser le comportement de l’autre ou le sien. Pour bien y arriver, Véronique Joanis conseille de partager les bons et mauvais côtés de chacun des comportements.

3. S’entendre sur le partage des dépenses communes du couple ou de la famille. Trouver la méthode qui convient, si on veut aller vers un compte conjoint et peut-être garder des comptes pour ses dépenses personnelles qui permettront de gérer une partie de l’argent selon les principes individuels.

4. Établir des projets communs, bâtis ensemble, et faire un suivi pour que ça ne tombe pas dans l’oubli dès qu’une autre priorité passe en haut de la liste. « On s’oublie beaucoup quand on a de jeunes enfants, dit Véronique Joanis. Si en plus un veut économiser et l’autre dépense, où est le couple ? »

ILLUSTRATION CATHERINE BERNARD, LA PRESSE

Aborder l’argent en thérapie de couple

« Oui, les thérapeutes financiers doivent travailler avec les individus et les couples pour améliorer le comportement avec l’argent, mais il est tout aussi bénéfique de travailler pour mieux percevoir les modèles de dépenses de l’un et l’autre. Cela peut être fait en comprenant mieux comment chacun voit et comprend l’argent », conclut l’étude Les dépensiers et les économes chez les nouveaux mariés : perceptions des partenaires sur les comportements financiers et le bien-être relationnel. Les chercheurs suggèrent de faire un budget commun. Prendre ensemble les décisions financières est un pas dans la bonne direction pour les couples, disent-ils.

1. Les économes et les dépensiers : prédire les conflits financiers dans le couple, étude américaine, 2017