En prévision de la hausse des taux, le voisin vient de fixer son taux d’hypothèque et c’est la chose à faire, raconte-t-il entre les branches de cèdre… Mais est-ce vraiment la bonne stratégie à adopter pour tous les propriétaires ?

La Banque du Canada a prévenu qu’elle augmenterait son taux directeur au deuxième trimestre 2022, donc théoriquement à partir d’avril. Est-ce que les taux d’intérêt des hypothèques commenceront à augmenter seulement dans cinq mois, dès janvier ou bien en juillet ? Personne n’a de boule de cristal. Que faire alors pour prendre la meilleure décision dans un contexte d’incertitude ?

« Dès qu’on commence à parler d’augmentation, les clients nous appellent pour savoir s’ils doivent attendre ou non avant de renouveler leur hypothèque », affirme au téléphone Sylvain Poirier, président de l’Association des courtiers hypothécaires du Québec. « Le conseil du voisin ou du beau-frère n’est souvent pas celui que l’on doit suivre. »

Car donner un conseil général pour des hypothèques faites sur mesure pour chaque client est impossible, disent les experts.

Donc, avant de tout dépenser l’argent qu’on estime pouvoir économiser en rompant notre contrat, en gelant un taux variable ou en changeant de prêteur, il faut absolument passer par la première étape, soit de vérifier les pénalités.

Trouver les pénalités

Il y a soit la pénalité équivalant à trois mois d’intérêts, soit celle qui correspond à l’écart entre le taux d’hypothèque fixé à la signature du contrat et le taux actuel. Des deux, le prêteur choisira la pénalité la plus coûteuse pour le client ayant un taux fixe. Pour les taux variables, c’est généralement la première qui s’applique quand le client s’en va où l’herbe est plus verte.

« C’est plus simple d’être assisté dans ses calculs par un courtier hypothécaire », souligne Stéphanie Potvin, qui forme les futurs courtiers de l’Association des courtiers hypothécaires du Québec.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Stéphanie Potvin forme les futurs courtiers de l’Association des courtiers hypothécaires du Québec.

Toutefois, les institutions financières ont des calculateurs de pénalité en ligne. Le client n’a qu’à bien suivre le contrat hypothécaire qu’il a signé au départ et il aura une bonne idée de la pénalité à payer.

Stéphanie Potvin

Par exemple, avec un solde de prêt hypothécaire de 300 000 $, un taux fixé pour 5 ans en 2017 à 2,5 % et une échéance en juillet 2022, la pénalité oscille entre 1800 $ et 3500 $ selon les institutions.

Avec un taux fixé pour 5 ans en 2018, au moment où les taux d’intérêt étaient plus élevés, la pénalité grimpe de 7000 $ à 12 000 $ si le taux était de 3,5 % avec une échéance en juillet 2023.

Le client a eu un rabais de taux de 1 % ou 2 % à la signature de son contrat ? La pénalité pourrait doubler.

Dans la liste des pénalités, il y a aussi le cadeau de remise en argent, qu’il faudra probablement rembourser au prorata du nombre de mois écoulés. Parfois s’ajoutent des frais d’administration, d’évaluation, de réinvestissement, de quittance pour l’hypothèque courante et d’enregistrement pour la nouvelle hypothèque.

Taux fixe, on rompt le contrat ou pas ?

« L’an dernier, les gens nous contactaient parce qu’ils avaient fixé une hypothèque à 3,25 % ou 3,5 % et se disaient : “Je vais briser mon contrat pour avoir un meilleur taux, car ils sont rendus en bas de 2 %.” Mais la pénalité était tellement élevée que ça ne valait pas la peine, les gens ne rentraient pas dans leur argent. Avec 14 000 $ ou 15 000 $ de pénalité, on fait mieux d’attendre », suggère la courtière hypothécaire et formatrice Stéphanie Potvin.

Si, en 2020, les pénalités étaient plus coûteuses à cause des taux bas, elles risquent de l’être de moins en moins avec la hausse des taux. « Par contre, les taux fixes ne seront pas aussi avantageux que ce qu’on a vu à 1,89 % », note Stéphanie Potvin.

« Souvent, la seule chose qu’on négocie, c’est le taux, alors que tout ce qui gravite autour a de l’importance, rappelle Sylvain Poirier. Les taux sont parfois très bas, mais tu ne peux pas quitter l’institution financière à moins de vendre ta propriété. »

Lorsqu’on connaît tous les montants des pénalités, les courtiers hypothécaires peuvent calculer les économies ou non de différents scénarios.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Sylvain Poirier, président de l’Association des courtiers hypothécaires du Québec

Il faut qu’il y ait un bon écart pour que ça vaille la peine de briser son hypothèque actuelle. La plupart des gens qui font le calcul sont ceux qui ont une petite hypothèque. Et qui dit petite hypothèque dit petites économies.

Sylvain Poirier, président de l’Association des courtiers hypothécaires du Québec

Taux variable, on fixe ou pas ?

Quelqu’un qui reste au même endroit et souhaite simplement fixer le taux pour le reste de son contrat sans demande de refinancement n’aura pas de frais. Mais est-ce que ça vaut vraiment la peine ?

« Prenons le client qui a un taux variable à 1,30 % et veut le fixer au taux actuel pour 5 ans qui est d’environ 2,59 %, illustre Stéphanie Potvin. Il faudra plusieurs hausses des taux variables avant d’en arriver à 2,59 %. »

Puis, il y a l’évaluation des besoins du client qui entre en jeu, rappelle la formatrice. Est-ce que sa situation familiale risque de changer ? Nouvel enfant ? Divorce ? S’agit-il du propriétaire d’un immeuble locatif, d’un chalet ou d’une résidence principale ?

Et à quelle hauteur le taux fixe sera-t-il fixé ? questionne de son côté Sylvain Poirier. Au taux du nouveau client ou à celui déjà en succursale ? Car il peut y avoir une différence de 1 % à 1,25 %. »

« Le taux variable reste toujours très compétitif à l’heure actuelle, indique Stéphanie Potvin, tandis que les taux fixes sont à la hausse. »

Les rabais d’après Noël

Pour l’instant, le conseil le plus judicieux s’adresse aux propriétaires dont le terme arrive en juillet : demandez un gel de taux quatre mois avant la fin du contrat.

Mieux, en janvier, les prêteurs du Québec sortiront des promotions qui seront valides jusqu’au 15 juillet, soutient Stéphanie Potvin. « Dans le reste du Canada, ils ne garantissent pas un taux aussi loin dans le temps. »

« Le taux sera probablement plus élevé que si l’on signait le contrat demain », prévient-elle.

Gérer ses émotions

Pour prendre la meilleure décision dans un contexte d’incertitude, il s’agit de bien connaître son niveau de tolérance au risque, rappelle le président de l’Association des courtiers hypothécaires du Québec. « On me dit que les taux vont augmenter, peut-être que c’est ce qui va se produire, mais peut-être pas. On n’est pas à l’abri d’un krach ou d’une pandémie », rappelle Sylvain Poirier.

En 2018, les taux ont tranquillement commencé à remonter pour redescendre doucement en 2019, puis de façon draconienne en 2020.

Incapable de gérer l’attente et l’incertitude, certains sont prêts à payer une forte pénalité pour cesser d’être angoissés avec ce dilemme, relate Stéphanie Potvin. « Ils veulent être sûrs d’avoir un taux bas pour les trois années qui vont suivre. »