Alléluia ! Les voyageurs seront remboursés pour leurs billets d’avion annulés. Les transporteurs qui s’étaient contentés d’offrir des crédits, au grand dam des passagers, devront leur rendre leur argent afin d’obtenir l’aide du gouvernement, a dit le ministre des Transports, Marc Garneau.

Génial ! Mais cette belle surprise cache un angle mort.

Maintenant qu’Ottawa s’est commis, il serait grand temps que Québec donne l’heure juste aux consommateurs dont le forfait vacances ou le voyage organisé a été annulé à cause de la COVID-19.

Qui va les rembourser ? Tout le monde se lance la « patate chaude ». Bien des agences de voyages offrent uniquement un crédit. Les compagnies d’assurance dirigent leurs assurés vers le Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV). Et le FICAV n’a pas encore traité une seule demande depuis neuf mois.

Les voyageurs n’ont rien obtenu à part un accusé de réception. « On a rempli tout ça en mai. On n’a pas eu de nouvelles. Zéro, zéro, zéro. On est un peu dans le néant. On ne sait pas vers qui se tourner », désespère Valérie Lagrange.

Au printemps dernier, sa fille Mariekim devait faire un voyage de deux semaines au Pérou. Elle partait avec un groupe d’élèves de cinquième secondaire de la polyvalente de Saint-Jérôme pour marquer la fin de leur parcours dans le programme international. Une occasion unique dans une vie.

L’adolescente avait payé toute seule la facture de 2900 $ en vendant des produits et en travaillant les fins de semaine. Malheureusement, le voyage a été annulé à cause de la COVID-19. L’agence n’a même pas offert de crédit. Juste un petit remboursement de 600 $ après une longue attente.

« Je trouve ça décourageant pour des jeunes », dit Mme Lagrange.

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On peut comprendre que le FICAV prenne son temps avant d’intervenir dans un dossier aussi complexe. En agissant trop vite, le FICAV aurait indemnisé des voyageurs qui seront finalement remboursés par les transporteurs après l’intervention d’Ottawa.

Ç’aurait été bête, car le FICAV risque de manquer d’argent pour rembourser tout le monde.

Depuis le début de la pandémie, le FICAV a reçu 35 574 demandes d’indemnisation totalisant 98,6 millions de dollars. Ces demandes ont été transmises à PwC, qui administre les réclamations au nom de l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Or, le FICAV ne contient que 142 millions (en date de mars 2019) et ses règles prévoient qu’il ne peut consacrer plus de 60 % de sa cagnotte à un même évènement. Cela signifie qu’il ne pourrait pas verser plus de 85 millions aux victimes de la pandémie.

Dans l’état actuel des choses, il manquerait donc près de 14 millions. Mais si les billets d’avion sont remboursés par les transporteurs, le FICAV aura du lest. Ouf ! Espérons qu’il pourra venir en aide aux voyageurs qui ont constitué le fonds avec leurs cotisations tout au long des années.

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Mais le FICAV reste un mécanisme de dernier recours. Est-ce à lui seul de casquer ?

Légalement, les agences de voyages doivent rembourser leurs clients. « Si c’est impossible pour l’agence de fournir le service et qu’on ne peut pas en bénéficier, il y a un enrichissement injustifié. C’est dans le Code civil. Ça donne lieu à un remboursement », indique Elise Thériault, avocate chez Option consommateurs.

Mais le problème est d’une telle ampleur que les agences ne veulent pas assumer la perte, elles qui se trouvent dans une situation financière très pénible. Ce sont donc les consommateurs qui se trouvent à financer la survie de l’industrie de tourisme, à 0 % d’intérêts, avec des crédits qui ne sont pas une solution acceptable.

Beaucoup de ces crédits ont une durée limitée, ce qui fait que les consommateurs n’auront pas le temps de les utiliser. Pour d’autres, comme Mariekim, le voyage n’aura tout simplement plus sa raison d’être, car il était relié à un groupe particulier et à un évènement spécial.

Même pour ceux qui pourront voyager, les crédits ne sont pas parfaits. Si les prix grimpent, les voyageurs devront payer un excédent pour obtenir un voyage similaire. Si les prix baissent, ils perdront au change, puisque l’agence ne leur rendra pas la monnaie.

Les consommateurs ont besoin de leur argent maintenant. Pas d’un crédit hypothétique pour un futur voyage.

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Le gouvernement du Québec travaille sur un plan pour que les consommateurs puissent recevoir une compensation.

« Nous sommes conscients que des milliers de consommateurs ont déboursé d’importantes sommes pour des services touristiques qu’ils n’ont pas reçus. Ce n’est pas acceptable, et nous prenons la situation très au sérieux », m’a fait savoir Élisabeth Gosselin, attachée de presse du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

Mais du même souffle, elle invite Ottawa à soutenir toute l’industrie du tourisme : « Il est impératif que l’aide financière soit accordée le plus rapidement possible, tant aux transporteurs aériens qu’aux agents de voyages. »

Attendons de voir où la « patate chaude » va atterrir.