Le taux d’endettement des ménages ne cesse de croître, lit-on. Mais à quel moment devriez-vous vous sentir personnellement concerné ?

Quand doit-on hisser le drapeau rouge ?

Ça va mal, semble-t-il.

Encore une fois, le taux d’endettement des ménages canadiens a atteint un sommet : 176,23 au troisième trimestre 2019.

En d’autres mots, les dettes du ménage canadien moyen équivalent à 176 % de son revenu annuel disponible.

Ce taux était de 156,46 au début 2010, et de 85,42 en 1990.

En somme, les dettes des Canadiens croissent plus vite que leurs revenus.

Inquiétant ? Plus ou moins.

Et vous-même, devriez-vous vous inquiéter ?

Il faut voir les chiffres. Vos chiffres.

L’intérêt des intérêts

« Le taux d’endettement, c’est une chose, lance Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins, Études économiques. Mais à quel coût on emprunte ? »

La question a beaucoup d’intérêt, en effet.

La hausse du prix des propriétés est le principal facteur qui explique l’accroissement de l’endettement des ménages. Tant que les taux d’intérêt se maintiennent avec une louable persistance à des niveaux minimes, les ménages sont en mesure d’absorber des dettes relativement élevées.

PHOTO FOURNIE PAR DESJARDINS

Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins, Études économiques

Au début des années 90, alors que le taux d’endettement était très faible, mais avec des taux d’intérêt autour de 10 %, le taux de défaut de paiement était très important.

Hélène Bégin, économiste principale chez Desjardins, Études économiques

À l’inverse, « les défauts de paiements sur les prêts hypothécaires sont en baisse au Québec depuis quelques années ».

Avec le remboursement de l’hypothèque et un coup de pouce du marché, le bilan financier de ce ménage moyen devrait s’améliorer.

Dans la mesure, toutefois, où son budget demeure en équilibre jusque-là.

Le ratio du service de la dette

Quelle part des revenus bruts du ménage est consacrée au remboursement des dettes, intérêts et principal inclus ?

C’est ce que mesure le ratio du service de la dette des ménages (RSD). Au troisième trimestre 2019, les ménages canadiens ont consacré 14,96 % de leurs revenus bruts au paiement des dettes.

C’était la première fois qu’il dépassait le sommet de 14,87 atteint au quatrième trimestre 2007.

La moyenne des ours maintient peut-être un RSD raisonnable, mais à la frange, certains flirtent avec le désastre. « Surtout s’il y a un choc », prévient Hélène Bégin.

La Banque du Canada a fixé le seuil critique à 40 %. Au-delà, les risques d’effondrement budgétaire sont préoccupants. Une forte hausse des taux d’intérêt, une perte d’emploi, une séparation, une maladie pourraient ébranler les colonnes du temple domestique et de la feuille de calcul.

Actifs, donc meilleure santé

Les actifs doivent aussi être considérés dans le bilan de votre endettement.

Le remède aux tensions budgétaires contient en effet des ingrédients d’actifs.

Un autre ratio intervient ici : le ratio dette/actif (RDA), qui oppose les dettes aux actifs, sans faire intervenir les revenus.

« Ça nous dit dans quelle mesure le ménage a la capacité de rembourser ses dettes, compte tenu de ce qu’il détient à l’heure actuelle », décrit Hélène Bégin.

Selon une étude de Statistique Canada publiée en juin dernier, le ratio dette/actifs est un meilleur prédicateur de difficultés financières que le taux d’endettement, qui lui n’y est pas associé de façon significative.

« À partir de 0,8, ça commence à être préoccupant, et à partir de 2, ça peut être critique », relève Hélène Bégin. « Les gens qui font faillite ont en général deux fois plus de dettes que d’actifs. »

Dans ces actifs, la propriété constitue souvent l’élément le plus important. Malheureusement, il faut la vendre pour encaisser.

Le ménage des dettes

Un cas vécu sous la loupe

Prosper Faucher (nous préservons l’anonymat de son existence réelle avec un nom fictif) nous a soumis sa situation, l’automne dernier.

« J’ai acheté un semi-détaché il y a un peu plus de deux ans (238 000 $) à la suite d’une séparation et j’ai deux adolescentes », écrivait l’homme de 61 ans.

Retraité de l’enseignement, il a accepté de faire de la suppléance, ce qui lui « apporte un revenu mensuel substantiel », reconnaissait-il.

La mensualité hypothécaire s’établit à 1225 $.

« J’ai deux dettes dont j’aimerais bien me départir, question de diminuer mes dépenses, car j’envisage de travailler de moins en moins. Il s’agit d’une dette personnelle d’environ 7500 $ et de ma marge de crédit de 22 715 $. »

Il rembourse sa marge à raison de 250 $ par mois.

La dette de 7500 $, qui lui coûte 108 $ par mois, résulte de l’achat d’un spa : « C’est un peu une entente avec mes filles pour atténuer le problème du déménagement et de la séparation. »

La mensualité de son prêt auto de 31 000 $ s’élève à 571 $.

« Y a-t-il une ou deux solutions possibles pour arriver à me débarrasser de ces deux dettes ? Aller en logement, peut-être ? »

Sa question nous permet de vérifier si son endettement fait résonner quelque sonnette d’alarme. La situation de Prosper n’est pas au beau fixe et pourrait en inquiéter plus d’un. Son taux d’endettement est de 324 %. Son ratio au service de la dette est de 19,9 % et son ratio dettes/actifs est à 0,7.

Que faut-il en conclure ?

« Les ratios financiers, ça ne dit pas grand-chose », assène Éric Lebel, associé, Groupe redressement et insolvabilité chez Raymond Chabot Grant Thornton.

« A-t-il un, deux, trois enfants ? Des animaux ? Ces ratios ne tiennent pas compte du coût de la vie d’aucune manière. »

Ça fait 25 ans que je fais ça, et je ne regarde jamais les ratios financiers. Je ne fais que des budgets.

Éric Lebel, associé, Groupe redressement et insolvabilité chez Raymond Chabot Grant Thornton

Il a appliqué cette méthode éprouvée au cas de Prosper Faucher.

Vendre la maison

Simulant une baisse de régime, il fait d’abord passer le revenu mensuel net de 7100 $ à 5000 $. Dans les conditions actuelles, sur la base de dépenses totalisant environ 5900 $ (incluant les dettes), Prosper déclarerait un déficit mensuel de 900 $. Dans un deuxième scénario, il tente un réaménagement budgétaire, qui ne peut réduire ce déficit que de 300 $.

Un troisième scénario fait intervenir la vente de la propriété, remplacée par un loyer de 1000 $. La vente procurerait des liquidités d’environ 60 000 $.

Une fois ses dettes remboursées, Prosper Faucher dégagerait un confortable surplus budgétaire de près de 800 $ par mois, estime Éric Lebel.

Puiser dans les épargnes

La vente de la propriété améliorerait certainement son taux d’endettement, mais dégraderait sa cote de popularité auprès de ses deux ados, qui avait été maintenue au-dessus du seuil critique avec l’achat du spa.

Une autre avenue consiste à retarder la vente et à s’attaquer immédiatement à l’endettement.

« Que pourrait-il vendre pour abaisser ses dettes ? Il ne vendra pas ses meubles. Il ne vendra pas ses REER parce qu’il en a besoin pour ses vieux jours. Il ne touche pas à l’épargne-études, c’est pour ses enfants. Restent ses épargnes. »

C’est d’ailleurs la mesure que Prosper Faucher a prise récemment, en y puisant 7000 $, pour ramener ses dettes de consommation (hormis voiture) à 23 200 $.

En y appliquant les derniers 6000 $ de ses épargnes, Prosper les ramènerait à 17 200 $.

S’il y consacrait son surplus budgétaire actuel de 1000 $, cette créance serait acquittée en 18 mois.

S’il ajoute encore la compression budgétaire de 300 $ calculée par Éric Lebel, l’amortissement serait réduit à 14 mois.

Quand ses prêts seront acquittés et que ses filles auront vieilli, il pourra réévaluer sa situation financière en fonction des revenus d’une retraite complète.

« Le montant que je peux prendre pour payer mes dettes, ce ne sont pas des ratios théoriques, résume Éric Lebel. C’est l’argent que je suis capable de générer après avoir payé la nourriture, les vêtements… C’est un budget détaillé de la vraie vie de la personne. »

Des ratios ? L’endettement est si peu rationnel.

Les chiffres

Dettes : 276 000 $
Revenus bruts : 130 000 $
Revenus nets : 85 200 $
REER : 75 000 $
REEE : 3500 $
Épargnes : 13 000 $
Taux d’endettement : 324 %
Moyenne canadienne : 179 %
Ratio du service de la dette : 19,9 %
Seuil critique : 40 %
Ratio dettes/actifs : 0,7
Seuil d’inquiétude : 0,8

Mesure de l’endettement et mesures de sécurité

Indépendamment des ratios, un endettement aux limites de la capacité budgétaire se frotte à trois principaux risques : une forte hausse des taux d’intérêt, d’importantes dépenses inattendues, une diminution sensible des revenus.

Attaquons-les un à un.

« Pour l’instant, le risque associé à la remontée des taux d’intérêt est reporté dans le temps », observait Hélène Bégin, avant qu’un coronavirus vienne menacer la santé économique.

Il faut profiter de ce répit pour tenter de dégager et accroître un salutaire surplus budgétaire.

Passons aux dépenses-surprises.

« Dans la façon dont je fais un budget, il y a une enveloppe pour imprévus équivalant à 5 % des revenus, énonce Éric Lebel. Parce qu’il y a un imprévu chaque mois, dans la vie. »

Le prévisionniste prévoyant a donc prévu un poste budgétaire qui pourvoit à ces prévisibles imprévus.

« Les gens ne prévoient pas de fonds de vacances et de fonds de sécurité, ajoute Éric Lebel. Quand c’est possible, j’essaie de cotiser à ces fonds-là. »

C’est ce fonds de sécurité qui amortira les baisses temporaires de revenus – maladie, accident, perte d’emploi… « Un classique, c’est d’avoir trois mois de revenus nets dans un compte placement. »