Brigitte est célibataire. Et angoissée en pensant à sa retraite. «En vivant seule, j'ai l'impression d'être désavantagée comparativement aux couples, souligne la traductrice de 46 ans. Les célibataires ont un double défi : assumer des dépenses plus élevées pendant la vie active, tout en épargnant encore plus pour la retraite, parce qu'on ne pourra compter sur personne d'autre que nous-mêmes.»

Avec un salaire de 70 000 $, un condo qui devrait être payé dans cinq ans, un bas de laine déjà respectable pour ses vieux jours et aucune dette à part son hypothèque, Brigitte ne semble pourtant pas en situation précaire. Mais elle est tout de même inquiète. «Je me demande si j'épargne assez dans mon REER, dit-elle. Parfois, je songe aussi à rembourser mon hypothèque plus vite.»

Pourtant, elle fait déjà des paiements hypothécaires de 400 $ par semaine et a cotisé 20 000 $ à son REER l'année dernière, ce qui lui fait une cagnotte de 86 000 $. Elle a l'intention de contribuer la même somme cette année, en profitant de ses droits de cotisation inutilisés. Elle contribue aussi au régime de retraite offert par son employeur.

En raison de ses priorités, elle a un train de vie assez frugal. Elle possède une petite voiture, payée, qu'elle utilise rarement. Elle marche chaque jour pour aller travailler, sort assez peu, épluche les circulaires pour déterminer son menu et a coupé les voyages. Elle conserve un coussin de sécurité d'environ 10 000 $ pour faire face aux imprévus.

«J'ai perdu mon emploi il y a cinq ans et ça m'a beaucoup marquée, explique Brigitte. C'est pour ça que j'aimerais éliminer mon hypothèque dès que possible et mettre un bon montant de côté.»

Autre source de questionnement: une bonne partie de son épargne est investie dans des certificats de placements garantis (CPG), très sûrs, mais qui rapportent peu. «C'est vrai que je n'aime pas les risques, mais je crois avoir été mal conseillée à ma banque, dit-elle. Je comprends maintenant que, pour des placements à long terme, j'aurais pu me permettre un plus grand niveau de risque, pour avoir de meilleurs rendements. Mais je ne sais pas comment obtenir de bons conseils, adaptés à ma situation.»

Bref, Brigitte a besoin d'un plan de retraite pour savoir si elle est sur la bonne voie et quels ajustements elle doit faire, afin de pouvoir dormir sur ses deux oreilles.

PORTRAIT

Brigitte, 46 ans

Salaire : 70 000 $

REER : 86 000 $-

Répartition :

-Fonds communs : 23 000 $

-CPG : 39 000 $

-Fonds de travailleurs : 24 000 $

Régime de retraite de son employeur (cotisations déterminées) : 45 000 $

CELI : 8500 $

Compte d'épargne (fonds d'urgence) : 15 000 $

Condo d'une valeur de 257 000 $

Hypothèque de 101 000 $

SOLUTION : Un portrait clair, pour éviter d'épargner trop

Brigitte aura-t-elle assez d'argent pour assurer ses vieux jours? En fait, si elle continue au même rythme, elle en aura trop, selon le planificateur financier Raphaël Hainault, qui s'est penché sur sa situation. «Elle n'a pas de souci à se faire. Comme elle n'est pas très dépensière, elle pourrait même avoir des surplus», dit le conseiller de la Financière de professionnels.

Bonne nouvelle, donc. Brigitte n'a pas besoin de se serrer la ceinture pour épargner plus. Et elle pourra délier encore plus les cordons de sa bourse après le remboursement de son hypothèque : elle n'aura même pas besoin de consacrer ces sommes à l'épargne. Si Brigitte rêve encore de voyages, elle peut donc en planifier sans inquiétude.

Actuellement, le remboursement de son hypothèque lui coûte 21 000 $ par année. Si elle fait une contribution de 3200 $ à son REER, soit à peu près la somme de ses droits de cotisations annuels, en plus des 4000 $ qu'elle verse dans le régime de son employeur, il lui restera 20 000 $, après impôts, ce qui correspond à son coût de vie actuel. Selon M. Hainault, quand son prêt hypothécaire sera totalement remboursé, dans cinq ans, elle pourra se permettre un niveau de dépenses de 36 000 $ par année et le maintenir pour toute sa retraite, sans manquer d'argent.

Si elle maintient sa contribution annuelle de 3200 $ par année à son REER, qu'elle épargne une somme additionnelle de 9000 $ par année (en REER ou CELI) lorsque son hypothèque sera complètement remboursée, en plus de ses contributions et de celles de son employeur à son régime de retraite au travail, elle aura accumulé près de 900 000 $ à 65 ans. Cette somme, additionnée aux prestations des régimes publics, lui donnera un revenu suffisant pour vivre au-delà de 90 ans.

Pour faire sa projection, M. Hainault n'a même pas tenu compte de la vente éventuelle de son condo. «Le jour où elle voudra déménager dans une résidence pour personnes âgées, la vente de sa propriété lui permettra de payer les dépenses supplémentaires», dit-il.

Cependant, elle a raison de vouloir revoir le type de placements que contient son portefeuille. «Elle a un bon horizon devant elle, alors elle peut se permettre un peu plus de risques», dit le spécialiste. Mais elle doit implanter les changements graduellement. Parce que si elle décide soudainement d'investir dans des fonds comportant une proportion importante d'actions et que les marchés s'effondrent, elle risque d'être échaudée pour de bon. «Elle va devoir s'habituer peu à peu aux fluctuations du marché.»

LA RETRAITE DE BRIGITTE EN CHIFFRES

D'ici ses 65 ans, Brigitte accumulera 882 000 $ dans ses REER, son CELI et son régime de retraite d'employeur.

Quand elle aura 67 ans :

29 900 $/année proviendront de son épargne

19 320 $/année de la RRQ

9700 $/année en Pension de la sécurité de la vieillesse

Pour un revenu total de 58 900 $ - soit l'équivalent d'un train de vie de 36 000 $ en dollars d'aujourd'hui.

PERSPECTIVE : Les coûts du célibat

Pour les célibataires, la planification de la retraite représente un défi plus exigeant que pour les couples. Leur coût de vie équivaut à environ 70 % de celui d'un couple, selon Raphaël Hainault.

«Il y a des postes de dépenses très importants, comme le logement, les taxes, la voiture, les services publics, que les personnes seules doivent assumer au complet, alors que les couples peuvent les partager», souligne la planificatrice financière Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée Peak, et auteure du livre Votre retraite crie au secours.

En plus, poursuit Mme Gagné, les célibataires sont désavantagés à la retraite par les règles fiscales, qui permettent aux couples de fractionner leur revenu pour réduire leur facture d'impôts. «Je me demande même s'il ne devrait pas y avoir un recours collectif des célibataires contre le gouvernement du Canada, pour discrimination via la fiscalité, lance-t-elle. Ces avantages peuvent parfois représenter des milliers de dollars par année pour les couples.»

Les défis de la retraite en solo sont encore plus grands pour les femmes. La gestionnaire de portefeuille fait remarquer qu'elles sont moins longtemps sur le marché du travail, puisque plusieurs femmes prennent des pauses quand elles ont des enfants, d'autres s'arrêtent plus tôt pour prendre soin de parents vieillissants, et leur salaire est encore 12 % inférieur à celui des hommes. Comme leur retraite est plus longue, en raison de leur plus grande espérance de vie, elles ont moins d'argent à leur disposition.

Moyenne des prestations de retraite de la RRQ (2008) :

Hommes : 6536 $/an

Femmes : 4242 $/an

Achat d'une rente viagère à 65 ans, avec un REER de 100 000 $.

Rente annuelle versée :

Hommes : 7212 $/an

Femmes : 6612 $/an

«C'est donc encore plus important pour les femmes célibataires d'avoir de bonnes habitudes d'épargne et d'éviter l'endettement, souligne Hélène Gagné. Il y a de plus en plus de gens qui vivent seuls, notamment en raison de la hausse du taux de divorce chez les 50 ans et plus.»

Elles doivent aussi s'assurer d'obtenir de bons rendements sur leurs placements. Mme Gagné reconnaît qu'il n'est pas toujours facile pour les petits épargnants de trouver de bons conseils en la matière. «Les investisseurs qui ont des placements de moins de 200 000 $ ou 250 000 $ n'ont pas accès aux conseils des firmes de gestion privée. Et dans les banques, le personnel change souvent, c'est difficile d'avoir un conseiller qui suivra leur évolution et développera une relation de confiance avec eux.»

Ils doivent donc prendre leurs affaires en mains, s'informer, lire, suivre des cours même, pour comprendre les options qui s'offrent à eux et pouvoir poser les bonnes questions.

Raphaël Hainault recommande pour sa part de recourir aux services d'un planificateur financier, accrédité par l'Institut québécois de planification financière (IQPF), qui peut analyser l'ensemble de la situation de son client, sans se limiter au choix des placements. On en trouve dans toutes les institutions financières et les firmes privées.