Vous l’avez peut-être remarqué. Au supermarché, les camemberts et autres fromages français qui ont traversé l’Atlantique éclipsent souvent les fromages locaux vendus plus cher. C’est un peu à cause de l’Accord économique et commercial global conclu en 2016 entre l’Union européenne et le Canada.

On croyait cette question réglée depuis sa ratification en 2017. Le traité de libre-échange conclu entre le Canada et l’Europe était presque de l’histoire ancienne avant que le Sénat français ressuscite la controverse qui avait entouré les négociations et la signature de l’accord.

Le Sénat français a rejeté majoritairement le traité de libre-échange, dont les principales dispositions sont pourtant en vigueur depuis sept ans. Si l’Assemblée nationale, qui avait approuvé l’accord de justesse en 2017, n’infirme pas la décision du Sénat, la survie du traité sera incertaine.

Comme c’est souvent le cas lors des négociations des ententes de libre-échange, c’est la question de l’agriculture qui rencontre le plus d’embûches. C’était le cas quand l’accord a été négocié, alors que les éleveurs européens craignaient d’être envahis de bœuf canadien.

C’est encore le cas aujourd’hui, même s’il y a d’autres aspects de l’accord qui restent controversés. Le vote du Sénat survient dans une période d’intense tension entre le gouvernement français et les agriculteurs, qui sont descendus en masse dans les rues pour réclamer de meilleurs prix pour leurs produits et la fin des importations en provenance de pays où les normes sont moins contraignantes.

Même vieux de sept ans, l’Accord économique et commercial global avec le Canada vient d’être embarqué dans le train des revendications des agriculteurs pour des raisons politiques plus qu’économiques.

Qui gagne, qui perd ?

En théorie, les accords de libre-échange font des gagnants des deux côtés de l’équation et les petits pays ont généralement plus à gagner en éliminant des entraves au commerce parce que ça leur donne accès à un plus grand marché.

Dans la réalité, l’impact réel se mesure difficilement avec précision, surtout sur une courte période. Il y a généralement des gagnants et des perdants dans chacun des secteurs d’activité et globalement, l’impact est positif pour toutes les parties.

Jusqu’à maintenant, les chiffres nous disent que l’accord Canada-Europe a donné une impulsion importante au commerce entre les deux parties. Les échanges commerciaux entre le Canada et les pays de l’Union européenne ont augmenté de 51 % entre 2017 et 2023, selon le bilan du gouvernement français⁠1.

L’augmentation a été égale des deux côtés : les exportations des pays européens vers le Canada ont augmenté de 51 % et les importations de l’Europe en provenance du Canada ont crû de 52 %.

À elle seule, la France a augmenté ses exportations vers le Canada de 33 % et ses importations en provenance du Canada de 35 %. Au total, le commerce entre les deux pays est largement à l’avantage de la France, qui affiche une balance commerciale positive.

Plutôt que d’alimenter la colère, ce bilan devrait réjouir les agriculteurs français parce que la hausse des exportations de la France vers le Canada est surtout due aux produits agricoles. Le secteur agroalimentaire français, dont le lait, le fromage et le vin, a bénéficié de l’ouverture du marché canadien.

C’est particulièrement vrai pour le fromage français, dont les exportations vers le Canada ont augmenté de 60 % entre 2017 et 2023, ce qui peut expliquer sa présence accrue dans nos supermarchés.

En même temps, le bœuf canadien, qu’on craignait tant de l’autre côté de l’Atlantique, n’a pas envahi les comptoirs des supermarchés. Loin de là, les exportations de bœuf canadien vers l’Europe et vers la France restant inférieures aux quotas fixés lors de la signature de l’accord.

La France n’est pas le seul pays à n’avoir pas encore ratifié l’Accord économique et commercial global avec le Canada. Neuf autres pays sur les 27 de l’union économique n’ont pas encore franchi officiellement toutes les étapes qui doivent mener à son adoption finale.

Un enterrement du traité de libre-échange Canada-Europe est difficile à envisager pour toutes sortes d’autres raisons. Ça enverrait un drôle de signal alors que la guerre en Ukraine s’éternise et que le monde occidental veut s’affranchir de la Chine. Si, en plus, on assiste au retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les Européens n’auront jamais eu autant besoin d’amis comme le Canada.

1. Consultez le rapport de la Direction générale du Trésor de la République française