Lithium-ion, sodium-ion, tout-solide… Les modèles de batteries ne manquent pas à l’ère de l’électrification. En s’appuyant sur le créneau des batteries lithium-ion, le Québec est-il à risque de se faire dépasser par une technologie émergente ?

Être rayé de la carte par quelque chose de nouveau, un peu comme le BlackBerry après l’arrivée de l’iPhone : ce scénario peut-il se matérialiser dans la filière québécoise des batteries, qui mise des milliards sur le créneau lithium-ion ? L’arrivée de nouvelles technologies qui rivaliseront avec la batterie lithium-ion est indéniable, mais celle-ci ne sera pas reléguée aux oubliettes de sitôt.

Les milliards mis sur la table par le gouvernement Legault pour attirer des acteurs comme General Motors (GM), Ford et Northvolt au Québec ne devraient pas être à risque au cours des prochaines décennies, selon des experts consultés par La Presse.

« Quand un constructeur met des centaines de millions sur la table pour une usine de batteries ou de matériaux, vous pouvez vous attendre à ce qu’il tente d’en extraire toute la valeur », affirme Bentley Allan, professeur adjoint de science politique et affilié à l’Institut pour l’environnement, l’énergie, la durabilité et la santé à l’Université Johns Hopkins. « Les fabricants investissent généralement sur une période de 20 ans. »

Dans le secteur automobile, la batterie lithium-ion – qui regroupe les batteries de type nickel-manganèse-cobalt (NMC) et lithium-fer-phosphate (LFP) – a la cote grâce à sa supériorité en matière de densité énergétique. En d’autres termes, elle peut stocker davantage d’énergie par kilogramme de batterie, surtout du côté des NMC. Le nombre de cycles de recharge qu’elle peut réussir durant sa vie utile est aussi plus élevé. Les technologies rivales accusent toujours du retard.

Le lithium-ion est le créneau privilégié au Québec. Des acteurs comme GM et Ford refusent toutefois de dire vers quoi on se tournera – la catégorie NMC ou LFP. Leurs usines respectives de matériaux de cathodes – le pôle positif de la batterie – sont toujours en construction à Bécancour. Sur la Rive-Sud de Montréal, Nano One produit déjà des matériaux de cathodes pour batteries LFP, qui sont moins chères.

« Déplacer le lithium, ça sera pratiquement impossible, affirme Karim Zaghib, professeur titulaire à l’Université Concordia. Pourquoi ? Parce qu’en matière de densité par rapport au volume ainsi qu’à la masse, la supériorité du lithium va demeurer. »

Plus qu’une solution

Considéré comme l’un des architectes de la filière québécoise des batteries, M. Zaghib a passé plus de 25 ans chez Hydro-Québec en plus d’œuvrer chez Investissement Québec, le bras financier de l’État québécois. Le professeur ne se berce pas d’illusions : le marché finira par se segmenter. Il croit cependant que la batterie lithium-ion conservera sa supériorité, entre autres pour alimenter les véhicules électriques.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Considéré comme l’un des architectes de la filière québécoise des batteries, Karim Zaghib est maintenant professeur titulaire à l’Université Concordia.

Il n’y a pas de batterie parfaite. Le marché s’adaptera aux applications et à la demande.

Karim Zaghib, professeur titulaire à l’Université Concordia

Selon la firme McKinsey, la croissance annuelle de la demande devrait être de l’ordre de 30 % d’ici 2030. À la fin de la décennie, le marché devrait être supérieur à plus de 400 milliards US. Standard & Poor’s estime que la part de marché des batteries NMC et LFP oscillera alors aux alentours de 70 % dans le monde.

Cette proportion finira par changer. Aux quatre coins du monde, d’autres projets sont déjà en marche. Pas plus tard que le 18 novembre dernier, le géant chinois BYD annonçait la construction d’une usine de batteries sodium-ion. Northvolt, qui doit construire une méga-usine de cellules de batteries sur la Rive-Sud de Montréal, a aussi mis au point son premier produit sodium-ion.

Ce minéral coûte moins cher que le lithium, mais il est plus lourd et volumineux.

« Il ne faut pas oublier que cela prend généralement 15 ans pour commercialiser quelque chose », souligne Gregory Patience, professeur au département de génie chimique de Polytechnique Montréal qui se spécialise entre autres dans les batteries. « Quand on veut introduire un nouveau produit, il faut aussi démontrer qu’on peut le produire à grande échelle. »

M. Allan estime que l’on devrait être rassuré de voir Northvolt démontrer de l’intérêt à l’égard de technologies comme la batterie sodium-ion.

On voit que c’est une compagnie qui innove. C’est un indicateur qu’elle veut, en quelque sorte, être à l’épreuve du temps. C’est ce qui se rapproche le plus de Tesla. Des trois grosses usines canadiennes (Volkswagen, Stellantis et Northvolt), Northvolt est ma favorite.

Bentley Allan, professeur adjoint de science politique et affilié à l’Institut pour l’environnement, l’énergie, la durabilité et la santé à l’Université Johns Hopkins

Plus solide

Le constat des experts est similaire en ce qui a trait à une autre technologie jugée prometteuse, la batterie tout-solide, réputée pour être plus sûre que celles au lithium-ion. La Presse rapportait, en juillet 2022, qu’Hydro-Québec était à la recherche d’un partenaire pour commercialiser ses recherches sur la batterie à électrolyte solide.

Au Japon, Toyota prétend avoir réalisé des avancées au point où le constructeur automobile pourrait équiper certains véhicules d’une batterie tout-solide vers 2025.

« Il y a encore des défis pour réduire les coûts de fabrication et au chapitre de la production à grande échelle, souligne M. Zaghib. Il faut aussi être capable de concevoir les cellules de façon à pouvoir les intégrer à une batterie qui peut se retrouver dans une voiture. »

La diversification du marché ne repose pas uniquement sur les avancées technologiques, ajoute le professeur. Une chaîne d’approvisionnement doit aussi se mettre en place pour qu’une percée commerciale puisse survenir. En Amérique du Nord, celle des batteries lithium-ion en est à ses balbutiements. Cela donne une idée du temps qu’il faudra aux autres types de batteries avant de se tailler une place dans le marché.

Lisez « Batteries : les plus et les moins »

Une version antérieure de ce texte attribuait l'une des citations mises en exergue au mauvais intervenant. Nos excuses.

En savoir plus
  • 2,6 milliards
    Montant des prêts, subventions et prises de participation publiquement annoncés par Québec pour la filière des batteries
    source : la presse
    15 milliards
    Somme des investissements qui devraient être annoncés dans la filière des batteries d’ici un an, selon le gouvernement Legault
    source : Gouvernement du QUébec