L’histoire des magasins Réno-Dépôt est tout sauf un long fleuve tranquille. En trente ans, ses propriétaires ont été québécois, français, britanniques et américains. On oublie que la famille Molson est à l’origine du concept et que Home Depot a eu l’occasion de mettre la main dessus. « Un parcours plus tordu qu’une plomberie résidentielle », résumait avec justesse mon collègue Marc Tison, en 2018. Et ce n’est pas fini.

Des tests seront menés dans les prochains mois pour déterminer si le nom Réno-Dépôt mérite de survivre. Parmi les 20 succursales, certaines seront transformées en Rona+, ce qui permettra de voir l’impact du changement sur les ventes et la profitabilité.

Un premier pas a été franchi jeudi avec l’inauguration du premier Rona+du Québec, à Gatineau, dans un ancien Réno-Dépôt.

Deux autres conversions, à Sherbrooke et à Charlemagne, se concrétiseront en avril. Au Canada anglais, le nom Rona+est déjà visible. Il a été accroché sur les 56 Lowe’s, ces derniers mois. Ce changement d’identité s’imposait puisque le géant américain Lowe’s a vendu Rona au fonds d’investissement new-yorkais Sycamore Partners, en 2022.

PHOTO FOURNIE PAR RONA

Façade du nouveau Rona+dans le secteur de Hull, à Gatineau

Malgré ces trois conversions de Réno-Dépôt en Rona+, la haute direction affirme que le sort de l’enseigne qui a longtemps fait diminuer le coût de rénovation au Québec, selon ce qu’en disait Normand Brathwaite, n’est pas scellé.

« On veut être certains de prendre la bonne décision », m’a dit Catherine Laporte, vice-présidente principale, marketing et expérience client de Rona. Il se pourrait donc que la chaîne au logo turquoise ne disparaisse pas. On se garde même la possibilité de « retourner à Réno-Dépôt » si le nom Rona+ne donne pas les résultats attendus !

Pourtant, l’entreprise reconnaît que la marque « a perdu énormément de sa force », qu’elle a manqué d’amour et que les investissements n’ont pas été suffisants dans les dernières années. Les données internes du détaillant démontrent aussi que le nom Réno-Dépôt résonne beaucoup moins que Rona dans la tête des consommateurs qui se disent insatisfaits du service à la clientèle et de l’assortiment de produits.

De fait, le plus récent sondage mené par la firme Léger au sujet de l’expérience client dans les magasins nous apprenait en janvier que Réno-Dépôt arrivait tout au bas de la liste des quincailleries.

Son score de 54,9 points était très loin derrière celui de l’entreprise chouchou des Québécois qui rénovent ou jardinent, Canac, en tête avec 86 points. Encore plus inquiétant, sur les 228 entreprises évaluées par Léger, Réno-Dépôt arrive au 211rang. La côte à remonter est abrupte.

Dans les circonstances, on peut se demander pourquoi Rona continue de s’acharner à maintenir Réno-Dépôt en vie. Les justifications ne sont pas limpides. On mentionne à la fois qu’il s’agit d’une marque « très forte » pour les Québécois qui se souviennent encore de ses débuts, et d’une marque « qui a été mise un peu de côté » au profit de Rona.

Le concept de Réno-Dépôt avait déjà du plomb dans l’aile il y a 10 ans. Un budget de 20 millions de dollars devait permettre de rénover le concept.

Rona voulait lui redonner son style d’origine, celui d’un entrepôt similaire à Costco avec des palettes posées au sol et des bas prix de tous les jours. Le ménage avait été fait dans la gamme de produits, la présentation avait changé. Dans le jargon de la vente au détail, on appelle ça un repositionnement. La stratégie peut fonctionner à condition que les changements soient assez visibles pour sauter au visage des clients et assez avantageux pour susciter leur fidélité.

Dans le cas de Réno-Dépôt, le désinvestissement de Lowe’s (de 2016 à 2022) et l’état actuel du réseau laissent croire que la stratégie annoncée en 2014 n’a peut-être pas porté ses fruits.

Au départ, sur papier, l’idée des cofondateurs de Réno-Dépôt était pourtant prometteuse.

Molson, à travers sa filiale Aikenhead consacrée à la quincaillerie, et la famille de Pierre Michaud, propriétaire des Brico Centre, s’étaient associés pour imaginer un concept inspiré de Home Depot, combinant quincaillerie et cour à bois.

En 1993, le magazine Affaires Plus écrivait ceci au sujet de Pierre Michaud : « Le spécialiste de la rénovation est en train de détruire la concurrence avec son concept de Réno-Dépôt. » Rien de moins !

Quatre ans après l’ouverture du premier Réno-Dépôt, l’entreprise est déjà convoitée par le géant français de la quincaillerie Castorama. Home Depot pouvait alors profiter d’une clause de préemption négociée lors d’une transaction précédente pour damer le pion à l’entreprise de l’Hexagone. Ce n’est pas arrivé. L’année suivante, l’entreprise britannique Kingfisher avale Castorama.

Réno-Dépôt est redevenu une entreprise québécoise en 2003, lors de son achat par Rona. La chaîne comptait alors 20 adresses, le même nombre qu’aujourd’hui si l’on exclut la conversion de jeudi à Gatineau.

Par rapport aux autres Rona, cette succursale qui affiche un « + » sur sa façade est plus grande, ce qui permet de vendre des électroménagers, davantage de couvre-plancher et des tondeuses à gazon, par exemple.

  • Boutique Bouclair à l’intérieur du Rona+de Gatineau

    PHOTO FOURNIE PAR RONA

    Boutique Bouclair à l’intérieur du Rona+de Gatineau

  • Boutique Bouclair à l’intérieur du Rona+de Gatineau

    PHOTO FOURNIE PAR RONA

    Boutique Bouclair à l’intérieur du Rona+de Gatineau

1/2
  •  
  •  

Autre nouveauté : l’arrivée d’une petite boutique Bouclair proposant plus de 200 produits comme des coussins, des tabourets et des rideaux. La collaboration s’est conclue rapidement. Propriétaire et président de l’entreprise de décoration, Peter Goldberg m’a raconté qu’il avait reçu l’appel de Rona peu avant Noël.

Après un « débat à l’interne » concernant les risques de cannibalisation de ses propres magasins, l’homme d’affaires a jugé que l’entente ne pouvait qu’être positive. « Pour moi, c’est une chance d’agrandir mon business et d’exposer ma marque à travers le Canada à de nouveaux consommateurs ». Il faut dire que le risque financier est faible, puisque les stocks sont vendus à Rona.

Deux autres Rona+, en Ontario, se préparent à faire de la place à l’assortiment de produits dessiné par Bouclair à Montréal. Ces tests pourraient mener au déploiement du concept à travers le pays. « Je suis sûr qu’ils vont le faire », lance M. Goldberg avec le sourire.

Après des décennies de changements, d’aléas, de tests, d’investissements, d’annonces et de nouvelles stratégies concernant le portefeuille d’enseignes de Rona, l’avenir de Rona+suscite autant de scepticisme que de curiosité.