Une habituée des plongeons dans les conteneurs de magasin m’a transmis des photos de ses dernières chasses au trésor pour dénoncer une pratique immorale qui devrait être interdite depuis longtemps : briser volontairement des biens flambant neufs avant de les jeter.

Dans les derniers jours, elle a trouvé derrière un Winners trois paires de bottes pour femmes, des chandails, un petit sac à main et deux vestes, dont une de marque Penguin vendue 169 $. Prix de détail d’origine de tout ça : environ 600 $. Chaque article avait été soigneusement coupé avant d’être mis aux poubelles.

« Il y avait de maudites belles bottes de cuir faites en Italie. Je les aurais portées si elles n’avaient pas été brisées. Elles ne présentent aucune usure, pas de scratch », déplore la professionnelle qui fait surtout le tour des poubelles pour redonner aux plus démunis.

  • Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

  • Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

  • Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

  • Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

  • Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Ces vêtements et accessoires ont été altérés…

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Grâce à des groupes sur les réseaux sociaux, elle trouve preneur pour les biens et la nourriture qu’elle sauve d’une fin désolante au dépotoir. Parfois, elle arrive à réparer ses trouvailles avec sa machine à coudre. À force de tomber sur des coups de lame, on développe des trucs. Puisque ses collègues de bureau ignorent tout de son singulier passe-temps, j’ai accepté de taire l’identité de cette femme que je connais depuis des années. Appelons-la Maude. Ç’aurait pu être Robin-des-Bois-écolo-au-grand-cœur.

Ses récentes trouvailles chez Winners sont choquantes, mais ce qu’elle a découvert au début de février l’était encore plus.

Maude est tombée sur 2 grands sacs blancs contenant plus de 40 sacs à dos de divers formats, des étuis à crayons et des boîtes à lunch pour enfant. Tout avait été coupé, sauf exception. Les effets scolaires affichaient la marque québécoise Ketto, reconnue pour ses jolies illustrations.

Ce n’était pas de la camelote. Les sacs à dos se vendaient plus de 40 $, les boîtes à lunch, autour de 35 $.

  • Ces sacs à dos de divers formats, étuis à crayons et boîtes à lunch pour enfants ont été jetés.

    PHOTO FOURNIE PAR UNE COLLABORATRICE

    Ces sacs à dos de divers formats, étuis à crayons et boîtes à lunch pour enfants ont été jetés.

  • Ces sacs à dos ont été jetés.

    PHOTO FOURNIE PAR UNE COLLABORATRICE

    Ces sacs à dos ont été jetés.

  • Ces étuis à crayons et boîtes à lunch pour enfants ont été jetés.

    PHOTO FOURNIE PAR UNE COLLABORATRICE

    Ces étuis à crayons et boîtes à lunch pour enfants ont été jetés.

  • Ces boîtes à lunch pour enfants ont été jetées.

    PHOTO FOURNIE PAR UNE COLLABORATRICE

    Ces boîtes à lunch pour enfants ont été jetées.

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Qui a bien pu jeter tout ça ? C’est LA grande question.

Le vaste assortiment a été trouvé derrière une succursale de l’Aubainerie. Mais vérification faite, la chaîne de magasins n’a jamais vendu cette marque, m’a dit son président et chef de la direction Jean-Frédéric Pépin tout en insistant sur le fait que « les pratiques de gaspillage de vêtements sont totalement proscrites depuis fort longtemps » dans son entreprise. Il a pris la chose assez au sérieux pour m’appeler un dimanche et déclencher une enquête sur-le-champ.

Surprise, les caméras de surveillance du magasin ont permis de découvrir comment les sacs Ketto se sont retrouvés dans le conteneur, selon toute vraisemblance. Les bandes vidéo montrent un homme qui débarque d’une voiture avant de vérifier s’il est observé. Il se débarrasse ensuite de deux sacs blancs. Les images ont été captées en soirée, moins de 48 heures avant le passage de Maude.

Autre détail intéressant, l’un des sacs contenait une étiquette de prix qui s’accroche aux tablettes de magasin. Grâce à la police de caractères, au numéro de modèle inscrit sur le carton et à une visite en magasin, la provenance était évidente. L’étiquette avait appartenu à Bureau en gros, qui vend la marque Ketto et possède une succursale à 1,1 kilomètre de l’Aubainerie.

Or, Bureau en gros est catégorique. Une vérification des stocks démontre que les produits ne peuvent provenir de sa succursale. « Aucune directive interne ordonnant de disposer des sacs n’a été émise, ces produits sont d’ailleurs toujours disponibles à la vente. »

Le mystère des sacs altérés reste donc entier. Mais il n’en demeure pas moins offensant. Tout comme la liste des trouvailles de Maude depuis un an : chaises de bureau lacérées, accessoires pour les cheveux en parfait état, boîtes de biscuits avec un coin écrasé, oranges en quantité phénoménale.

À vrai dire, je ne pensais plus que des détaillants auraient le culot de jeter, en 2024, des produits qui pourraient faire le bonheur de bien du monde.

À l’ère des réseaux sociaux, il n’en faut pas tant pour soulever les passions et amocher la réputation d’une entreprise qui n’agit pas en bonne citoyenne. On se rappellera aussi que l’émission JE, à TVA, avait filmé en 2016 des employés du groupe Garage/Dynamite en train de jeter des centaines de vêtements neufs et lacérés⁠1. Un an plus tard, JE avait fait la tournée des conteneurs, ce qui lui avait permis de trouver des vêtements coupés par Winners « à la demande du siège social » et L’Équipeur.

Ces reportages des plus néfastes pour les entreprises n’ont-ils pas servi de leçon ?

C’est sans compter que le glanage urbain (appelé communément dumpster diving) est désormais une activité connue. Des dizaines de reportages ont été publiés sur le sujet. Toutes les entreprises devraient savoir que leurs poubelles sont susceptibles d’être visitées en toute légalité. Et à l’ère des changements climatiques, on s’attend à ce que la conscience environnementale de certains commerçants soit plus aiguisée…

Winners ne m’a pas expliqué pourquoi sa marchandise avait été coupée, mais cela irait à l’encontre de son protocole normal. « Dans l’ensemble de nos magasins au Canada, nous nous associons à Habitat pour l’humanité pour faire don des produits non endommagés et invendus aux personnes dans le besoin, et nos magasins ont reçu des instructions sur la manière dont ce processus fonctionne. » Puisque la marchandise subit continuellement des baisses de prix jusqu’à trouver preneur, « seul un très faible pourcentage des marchandises » reste invendu, a ajouté la porte-parole de l’entreprise.

PHOTO ACHIVES ASSOCIATED PRESS

Sac à main Burberry et chaussures de la collection Succession, du nom de la célèbre série télévisée de HBO

Certaines marques ne se retrouveront jamais dans les mains de ceux qui fouillent dans les conteneurs, mais pas pour les bonnes raisons : elles préfèrent le feu⁠2 à la lame acérée. La méthode a notamment été utilisée par Burberry qui s’était déjà défendue en affirmant que la chaleur produite était récupérée, ce qui rendait le processus écologique⁠3. Faut le faire ! La marque britannique s’est ensuite engagée à ne plus détruire ses invendus.

Bref, c’est partout pareil. Si bien qu’il faut légiférer. En France, la loi antigaspillage interdit depuis 2022 aux industriels de détruire les invendus. Et en décembre, l’Union européenne s’est entendue pour prohiber la destruction de vêtements neufs⁠4.

En attendant des lois similaires ici, on ne peut qu’espérer que les Maude de ce monde feront évoluer les pratiques des entreprises avec leurs trouvailles dans les conteneurs.

1. Lisez le texte de TVA Nouvelles 2. Lisez le texte de BBC Earth (en anglais) 3. Lisez le texte de BBC (en anglais) 4. Lisez le texte de Libération