Ce que je ferais si j’étais ministre de l’Immigration ? Surtout pas dégonfler le seuil annuel d’immigration permanente à moins de 35 000, comme le propose le PQ. Et raisonner le fédéral. Voici pourquoi.

D’abord, le constat. Actuellement, il n’y a pratiquement pas de limites au volume d’immigration temporaire que peut recevoir le Québec. Pour l’un des principaux programmes, les entreprises n’ont qu’à démontrer que leurs besoins ne sont pas comblés par le marché du travail local, essentiellement, et un permis de 2-3 ans est accordé à leurs candidats. Pas de plafond d’ensemble, donc.

L’an dernier, il s’est ainsi ajouté 167 000 résidents non permanents au Québec, trois fois plus qu’en 2022. Les deux tiers de ces non-permanents (112 000) sont des travailleurs temporaires avec leur famille et le reste, des demandeurs d’asile.

Ces travailleurs temporaires s’accumulent d’année en année, au rythme des besoins des entreprises. Fin 2023, il y en avait 367 000 au Québec, selon Statistique Canada.

Bien souvent, ces travailleurs se sont intégrés à leur milieu, ont commencé à apprendre le français et trouvé un logement. Ils deviennent indispensables à leurs entreprises, qui les ont formés. La plupart rêvent de vivre ici et d’obtenir la citoyenneté en devenant permanents.

Le hic, c’est que seule une poignée peuvent devenir permanents chaque année, en fonction des seuils établis par le gouvernement du Québec. Ce seuil annuel a été fixé à 50 000 pour chacune des années 2024 et 2025, mais en retranchant les réfugiés et les réunions familiales, entre autres, on tombe à 32 000.

Bref, il faudrait l’équivalent de 10 ans pour « permanentiser » les 367 000 temporaires. Et ce volume de travailleurs temporaires précaires s’agrandit sans cesse, comme un robinet qui coule à flots dans un évier dont le trou d’écoulement ne grossit pas.

Et le PQ se propose de rapetisser le trou de 40 % ! Imaginez les drames et les débordements à venir.

Actuellement, les services aux immigrants, tant gouvernementaux que communautaires, ne fournissent pas.

Il n’y a qu’à jeter un œil aux avis Google du site web du ministère de l’Immigration pour s’en convaincre.

La plupart des 191 utilisateurs qui ont coté le site, avec leur nom, se plaignent de la piètre qualité du service du Ministère, des très longs délais pour avoir des autorisations et de l’incapacité à trouver des cours de français, entre autres. La moyenne est de 2,1 étoiles sur 5, mais ce serait probablement pire, puisque plusieurs disent qu’ils auraient souhaité mettre 0, alors que le minimum est de 1 étoile.

Et en parallèle, le marché de la location de logements est en surchauffe, avec un taux d’inoccupation historiquement bas (1,5 % à Montréal et 0,9 % à Québec) et des loyers en forte hausse. Et je ne parle pas des services de garde, d’éducation et de santé.

Ce que je ferais si j’étais ministre de l’Immigration ? D’abord, je trouverais une façon de freiner l’immigration économique temporaire. Le moment est bien choisi, puisque la pénurie de main-d’œuvre s’est atténuée, avec le ralentissement économique.

Et le message, à terme, serait limpide : entrepreneurs, la main-d’œuvre non essentielle deviendra encore moins disponible, alors investissez dans des équipements pour vous en passer, de grâce, et augmentez votre productivité.

Ensuite, je raisonnerais le fédéral pour qu’il diminue le nombre de permis ouverts qu’il accorde en vertu du programme de mobilité internationale (PMI). La délivrance de ces permis n’exige pas que soit faite une évaluation d’impact sur le marché du travail, comme c’est le cas des permis délivrés par le Québec en vertu du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Et il faut bien sûr régler le dossier des demandeurs d’asile, dont 46 % débarquent au Québec. Québec et Ottawa ont avancé des propositions pour résoudre le problème, cela dit.

Parallèlement à cette baisse des travailleurs temporaires, je doperais la cible d’immigrants permanents à 75 000 pendant 2-3 ans, par exemple, avant de retomber à 50 000.

Seule condition : que les nouveaux permanents soient puisés à même les temporaires, pour l’essentiel (ce qui est déjà le cas de toute façon). Ces deux actions videraient une bonne partie de l’évier, en réduisant le flot d’eau du robinet tout en élargissant le trou de sortie.

Bref, pendant quelque temps, il faut réduire l’immigration temporaire, mais augmenter les permanents, sans quoi il y aura, à terme, deux classes de citoyens au Québec.

Vous me direz que c’est plus facile à dire qu’à faire, et vous aurez raison. Surtout que ce frein aux travailleurs temporaires exigera un écrémage entre les indispensables et les autres.

Or, à ce sujet, la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, a entrepris une réforme intéressante, qui devrait justement permettre de mieux sélectionner les immigrants permanents. Le nouveau Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) entre en vigueur en novembre prochain.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette

La grille de sélection actuelle, qui avantage les universitaires sans égard aux besoins du marché, sera éliminée, ce qui devrait diminuer les risques de surqualification. Pensez au mathématicien qui est chauffeur de taxi.

On continuera de choisir les talents d’exception ou encore les immigrants hautement qualifiés ou spécialisés, mais le diplôme universitaire ne sera pas nécessairement requis (technicien en génie mécanique, par exemple).

Surtout, il y a un volet qui permettra aux employés manuels ou ayant des compétences intermédiaires d’être sélectionnés s’ils ont une expérience de travail au Québec, qu’on pense aux cuisiniers ou aux conducteurs, entre autres.

Avec le PSTQ, une préposée aux bénéficiaires avec de l’expérience au Québec aura donc plus de points pour devenir permanente qu’un doctorant en philosophie (en supposant que les deux parlent français).

Enfin, les immigrants de professions réglementées pourront accélérer le traitement de leur dossier s’ils ont obtenu une reconnaissance, partielle ou complète, de l’ordre professionnel de leur secteur au Québec (infirmières, ingénieurs, etc.).

L’immigration ne sera jamais un dossier facile, surtout qu’il est géré à deux têtes. On verra si la réforme Fréchette fonctionnera, mais chose certaine, l’immigration a besoin d’être mieux planifiée, et les services d’accueil, mieux organisés, en fonction d’un niveau soutenable.