Chers politiciens, je sais que vous aimez couper des rubans et promettre de beaux projets tout neufs. Ces gestes vous apparaissent porteurs, vous rendent populaires et vous attirent des votes. Ainsi va la démocratie, je comprends.

Mais pour éviter le chaos financier du Québec à long terme, il faut minimiser les nouvelles routes et les nouveaux ponts, comme le troisième lien. Et miser bien davantage sur un investissement moins excitant, la réfection de nos vieilles infrastructures.

Cinq chercheurs dressent un portrait troublant de nos décisions d’investissement public1. Parmi eux figurent les économistes Pierre-Carl Michaud, de HEC Montréal, Marcelin Joanis, de Polytechnique Montréal, et Louis Lévesque, consultant.

Sans un changement fondamental, les finances du Québec s’enfonceront, selon l’étude.

Le gouvernement doit absolument changer dès maintenant sa stratégie d’investissement et résorber davantage son déficit de maintien d’actif des infrastructures.

Pierre-Carl Michaud, économiste de HEC Montréal

Au Québec, 61 % des immeubles du réseau de l’éducation sont jugés en mauvais état, selon le Plan québécois des infrastructures (PQI). Cette proportion est de 44 % pour le réseau routier et de 24 % dans le secteur de la santé.

Ce manque d’amour se traduit en chiffre, ce qu’on appelle le « déficit de maintien d’actifs » ou DMA. Or, ce déficit s’accroît chaque année, car la dégradation des infrastructures est plus rapide que les travaux de réfection qu’on y consacre.

Concrètement, Québec a investi 2,8 milliards de dollars en travaux de réfection l’an dernier pour résorber ce déficit, qui était alors de 30,6 milliards. Mais comme la dégradation en cours d’année a atteint l’équivalent de 7,1 milliards, le déficit s’est accru pour passer à 34,9 milliards.

Bref, le problème empire d’année en année (le DMA était de 20,8 milliards en 2019). Et chaque nouvelle route qu’on construit viendra grossir le problème, puisqu’elle exigera, elle aussi, des investissements pour sa réfection. C’est sans compter que les coûts de construction et de réfection augmentent plus vite que l’inflation de base depuis quelque temps.

Le Québec n’est pourtant pas négligent si on le compare aux autres grandes provinces canadiennes.

Chaque année, le gouvernement du Québec investit l’équivalent de 1650 $ par habitant dans nos infrastructures, comparativement à 1050 $ en Ontario, 1525 $ en Alberta et 1750 $ en Colombie-Britannique, selon l’étude.

Nos investissements publics en infrastructures représentent 2,8 % de notre PIB annuel, contre 1,6 % en Ontario, 2,1 % en Alberta et 2,4 % en Colombie-Britannique.

Trois raisons expliquent notre effort plus grand. D’abord, le Québec a un réseau routier beaucoup plus vaste que celui de l’Ontario (et plus complexe, avec les ponts de l’île de Montréal), qui exige donc davantage d’investissements.

Ensuite, notre population est moins grande pour absorber ces investissements. Enfin, le Québec a une économie moins riche que celle de l’Ontario et un investissement semblable exige donc un effort plus grand, toute proportion gardée.

Il faut dire, par ailleurs, que notre réseau routier a été davantage négligé par le passé. Ici, le déficit de maintien d’actifs du réseau provincial équivaut à 2257 $ par habitant, contre seulement 100 $ en Ontario.

Les chercheurs ont fait des simulations pour vérifier l’impact qu’aura notre DMA croissant sur notre dette collective d’ici 25 ans (puisque nos investissements sont financés par endettement).

Actuellement, le déficit de maintien d’actifs de 34,9 milliards équivaut à 6,5 % du PIB. Au rythme où vont les choses, ce DMA passera à 14,4 % du PIB dans 15 ans, puis à 33 % dans 25 ans (en 2048), estiment les auteurs.

Présenté simplement, les toits qui coulent et les nids-de-poule sur les routes seront trois fois plus nombreux dans 15 ans et cinq fois plus dans 25 ans. Oh boy !

Ce gonflement fera grossir notre dette. En 2048, prévoient les auteurs, la dette nette du Québec représentera 45 % du PIB, bien au-delà de l’objectif de la Loi sur la réduction de la dette, de 30 % du PIB en 2038.

Il faut donc y voir. Et pour ce faire, une hausse des investissements publics n’est pas la solution, puisqu’elle empirera notre endettement sans réduire le DMA.

Le mieux serait d’accroître la part des investissements consacrée à la résorption du DMA. Cette stratégie stabiliserait le problème d’ici 15 à 25 ans, tout en maintenant l’endettement à un niveau raisonnable2.

Malheureusement, c’est l’inverse que fait le gouvernement. Depuis 10 ans, 60 % des investissements ont servi au maintien des actifs, dont la moitié, environ, est injectée dans les infrastructures en mauvais état. Le reste (40 %) est investi dans les nouveaux projets.

Or, cette part de 60 % reculera à une moyenne de 56 % au cours des 10 prochaines années, selon les projections du plus récent PQI.

Autrement dit, on allouera plus d’argent aux nouveaux projets, moins à la réfection.

Les auteurs exhortent le gouvernement à changer de cap. Et ils l’invitent à être plus transparent dans sa façon de mesurer l’état des infrastructures. En Ontario, une estimation est faite avec la participation du Bureau de la responsabilité financière, un organisme qui relève du Parlement, équivalent du Directeur parlementaire du budget, au fédéral.

Autre souhait des chercheurs : il faut mieux estimer l’état des infrastructures des municipalités, comme c’est le cas en Ontario.

Les décisions ne seront pas faciles, chers politiciens, vu votre propension à vouloir couper des rubans. Et étant donné les énormes besoins de main-d’œuvre pour faire de tels investissements, en parallèle avec les grands chantiers que veut lancer Hydro-Québec pour électrifier notre économie.

1. Consultez le rapport sur le Plan québécois des infrastructures

2. La dette resterait raisonnable en supposant que le gouvernement fasse le choix de stabiliser le DMA à 6,5 % du PIB plutôt que de poursuivre une baisse vers les 2 % du PIB, comme le proposent les simulations de l’étude et du tableau qui est reproduit.