La chronique est un art qui se pratique souvent dans le feu de l’action. La fin de l’année est une bonne occasion pour nos chroniqueurs de voir ce qu’ils auraient pu faire différemment, avec le recul.

Il y a tout juste un an, très peu d’experts prévoyaient que l’économie américaine allait pouvoir passer à travers le plus fort mouvement de hausse de taux d’intérêt jamais orchestré en 40 ans sans subir de dommages importants. Bien que toujours possible, le scénario d’une inévitable récession pour le début de 2024 semble pourtant de plus en plus improbable alors que l’économie américaine s’aligne plutôt résolument sur un atterrissage en douceur.

Tout au cours de la dernière année, l’économie américaine ainsi que les Bourses américaines ont progressé avec en toile de fond la menace constante qu’une récession survienne en 2024 en raison des 11 hausses de taux d’intérêt décrétées successivement par la Réserve fédérale (Fed) à partir du mois de mars 2022.

Le consensus à pareille date l’an dernier était que le traitement choc prescrit par les autorités monétaires américaines pour enrayer la progression de l’inflation allait conduire l’économie en récession et le rêve d’un atterrissage en douceur souhaité par la Fed était en fait un leurre qu’elle agitait pour calmer les esprits.

Et pourtant, c’est la voie dans laquelle l’économie américaine semble de plus en plus se diriger alors que les scénarios d’apocalypse que certains appréhendaient en raison des hausses trop brusques et trop rapides des taux d’intérêt ne prennent pas encore forme dans la réalité.

C’est tout le contraire qu’on a observé jusqu’à maintenant. L’économie américaine a encore progressé d’un solide et surprenant taux de 5,2 % à un rythme annualisé au troisième trimestre alors que les dépenses des consommateurs sont restées au rendez-vous et que la situation de l’emploi est demeurée extrêmement favorable tout au long de l’année.

Si la hausse des taux d’intérêt a ralenti l’activité de construction de nouveaux logements aux États-Unis en 2023, elle n’a pas eu l’effet insidieux que les renouvellements des prêts hypothécaires ont pu avoir sur l’activité économique au Canada.

Contrairement à la situation qui prévaut chez nous, les détenteurs de prêts hypothécaires aux États-Unis n’ont pas à renouveler les termes de leur hypothèque tous les trois ou cinq ans, les conditions d’emprunt restent les mêmes sur la durée de l’échéance du prêt. Les propriétaires américains n’ont pas eu à subir de hausses brutales de remboursements mensuels à effectuer.

Les marchés boursiers américains n’ont pas été en reste alors que les différents indices ont enregistré plusieurs niveaux de clôture records successifs durant le seul mois de décembre. Le Dow Jones a progressé de plus de 10 % en 2023, le S&P 500, de 20 % et le NASDAQ, de 40 %.

Malgré cette solide performance économique, le taux d’inflation est quand même passé en l’espace d’un an de 9,1 % à 3,1 % aux États-Unis, un taux encore supérieur à la cible de 2 % souhaitée par la Fed, mais tout de même très confortable par rapport au sommet inquiétant de l’an dernier.

Pas d’apocalypse en vue

La situation s’est améliorée à un point tel que la Réserve fédérale a même retrouvé la latitude nécessaire d’annoncer qu’elle pourrait commencer à réduire son taux directeur au cours du printemps prochain, en évoquant trois baisses possibles qui pourraient ramener le taux directeur américain à près de 4,5 %.

Jimmy Jean, économiste en chef et stratège du Mouvement Desjardins, estime que la Réserve fédérale américaine a bien réussi jusqu’à maintenant son pari de ramener l’inflation à des niveaux acceptables sans sacrifier pour autant l’économie.

L’atterrissage en douceur est en voie de se réaliser, même s’il faut prévoir un certain ralentissement.

« Contrairement au Canada, au Québec ou à l’Europe, les États-Unis s’en sortent mieux. Ils ont profité de l’épargne excédentaire des consommateurs qui a soutenu l’activité économique, ils ont eu une belle augmentation de leur population active et ils ont fait des gains de productivité très importants au troisième trimestre, cela aide à réduire l’inflation », m’a expliqué l’économiste de Desjardins.

Historiquement, on le sait, lorsqu’on resserre de façon trop marquée les conditions de crédit pour ralentir l’activité économique et réduire l’inflation – comme on vient de le faire au Canada et aux États-Unis –, il y a un fort risque de provoquer une récession et un recul des marchés.

C’est ce qu’on a observé de façon quasi systématique au fil des différents cycles économiques et de façon très marquée au début des années 1980 lorsque les taux d’intérêt ont franchi la barre des 20 % dans le but d’enrayer l’inflation galopante générée par le deuxième choc pétrolier de 1979.

Bref, les exemples de dégradation des conditions économiques liée à la hausse des taux d’intérêt sont beaucoup plus nombreux que les cas d’atterrissage en douceur comme celui que souhaitait voir se réaliser la Réserve fédérale, mais ces derniers existent et on semble en voie d’en vivre un en 2024.

Bonne année à vous, chers lecteurs et lectrices.