La chronique est un art qui se pratique souvent dans le feu de l’action. La fin de l’année est une bonne occasion pour nos chroniqueurs de voir ce qu’ils auraient pu faire différemment, avec le recul.

Nous étions le 20 décembre 2022, en fin de journée, à la salle de rédaction de La Presse. Le taux d’inflation était alors de 6,3 %, un niveau inquiétant.

Après avoir scruté les nouvelles données, je me lance : « Ne vous inquiétez pas, collègues. Je vous prédis qu’en mai ou juin prochain, l’inflation sera retombée à 3,4 %. Et après, ça devrait redescendre progressivement vers 2 % à la fin de 2023 et le problème sera réglé. »

Murmures de scepticisme autour de moi. Mon chef de section, qui me prend au mot, note la prédiction de 3,4 % pour juin 2023 sur un bout de papier et la colle sur son babillard. Mon inspiration découlait des recherches entourant une chronique sur le sujet publiée fin novembre, entre autres, intitulée « Le pire est derrière nous »1.

Ma conclusion d’alors : « Les économistes prévoient presque tous qu’on sera revenu à la fourchette exigée par la Banque du Canada à la fin de 2023, soit un taux d’inflation de 1 à 3 % », avais-je écrit.

Verdict ? En fin de compte, j’ai gagné mon pari pour le mois de juin. Ma cible de 3,4 % a même été atteinte un mois plus tôt au Canada, en mai, avant de chuter temporairement à 2,8 % en juin, et de remonter à 3,3 % en juillet. Il s’agit du taux qui compare le mois courant au même mois de l’année précédente, et qui est forcément plus volatil que le taux moyen sur quelques mois.

En revanche, je me suis planté sur l’atteinte de la cible de 2 % de la Banque du Canada fin 2023, qui ne cesse d’être repoussée.

Le 19 décembre 2023, Statistique Canada a indiqué que le taux d’inflation s’élevait encore à 3,1 % au Canada en novembre 2023, un niveau stable par rapport au mois précédent. Et dans ses plus récentes prévisions, la Banque ne voit pas le taux reculer à 2 % avant la mi-2025, donc dans 18 mois. Oups !

Avec le recul, j’aurais dû mieux astiquer ma boule de cristal. Ou m’en procurer une autre. Bref, c’est la faute de ma boule, disons…

Ma prédiction de la chute draconienne du taux d’inflation en juin reposait sur un point technique, soit que le rythme d’inflation dégringolerait dès après le printemps 2023, étant donné que le boom s’expliquait surtout par une hausse marquée des prix découlant de la guerre en Ukraine, lancée en février 2022.

Un an plus tard, les prix du printemps 2023 ne se compareraient plus à un bas niveau, comme en 2021, mais au niveau élevé qui a suivi la guerre. Les hausses devaient forcément être moins fortes.

Presque personne n’avait prédit que l’inflation serait aussi persistante par la suite. Personne, surtout, ne connaissait l’ampleur de la croissance de la population des mois à venir, qui a eu un impact majeur sur le prix des logements.

Depuis deux ans, la population canadienne a accueilli plus de 2 millions d’immigrants, un record. La hausse annuelle de 3,2 % de la population de la dernière année est la plus élevée depuis 1958 ; elle est deux fois plus importante que celle d’avant la pandémie et au sommet des pays du G7.

Ce boom de la population fait une pression énorme sur le marché du logement. L’inflation de 3,1 % de novembre 2023 au Canada chute à seulement 1,9 % quand on retranche la composante logements de l’IPC. Bref, sans le logement, la cible de la Banque serait atteinte.

L’autre surprise, c’est l’écart entre l’inflation du Québec et la moyenne canadienne. L’inflation du Québec a résisté plus longtemps à la hausse des taux d’intérêt de la Banque, probablement en raison de la pénurie de main-d’œuvre plus criante.

Jusqu’en octobre, la hausse de l’inflation était restée au-dessus de 4 %, sauf durant les deux mois d’été de juin et juillet. En novembre, enfin, le rythme a reculé à 3,6 %, après une hausse inquiétante de 4,2 % en octobre.

Il reste que le Québec est le champion canadien de l’inflation depuis un an. Ici, le taux des 12 derniers mois a bondi de 4,7 %, en moyenne, contre 4,0 % en Ontario et 3,5 % en Alberta.

Et maintenant ? Le ralentissement du rythme de l’inflation devrait se poursuivre, et selon les économistes du Mouvement Desjardins, « il y a suffisamment de signes de progrès dans le rapport sur l’inflation de novembre pour que nous attendions toujours le début des baisses de taux d’intérêt au milieu de 2024 ».

Ma prédiction pour fin 2024 ? Ma boule m’indique qu’on sera en bas de 2,6 %, mais ne m’en dit pas plus. On verra.

1. Lisez « Girard a raison : le pire est derrière nous »