Comment forcer une banque à coopérer ? C’est la grande question que se pose Isabelle. Depuis le mois de juin, elle tente de sortir 40 000 $ qui se trouvent dans un compte de retraite immobilisé (CRI) chez Tangerine. Malgré l’envoi du formulaire requis, de nombreux échanges de courriels et une série d’appels, rien ne bouge.

Des milliards de dollars voyagent chaque jour entre les institutions financières du monde, peut-être même chaque heure, qui sait. Le transfert d’un modeste CRI devrait donc être une petite opération de routine. Mais parfois, les choses se compliquent.

C’est à ce moment-là qu’on réalise l’ampleur de notre impuissance face au monde bancaire. « Je ne sais plus vers qui me tourner », m’a d’ailleurs écrit Isabelle pour me justifier l’envoi de son récit par courriel.

Dans les derniers mois, elle a écrit au Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) qui lui a suggéré de contacter l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Or, cette organisation ne règle pas les litiges. L’Autorité des marchés financiers, pour sa part, n’encadre pas les banques, mais uniquement Desjardins. Isabelle se demande sérieusement si la prochaine étape sera d’écrire à la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

La procédure normale a pourtant été suivie à la lettre.

En quittant son emploi en 2020, la traductrice a transféré la valeur de son régime de retraite dans un CRI chez Tangerine. La somme a été investie dans le Portefeuille FNB croissance équilibrée. Trois ans plus tard, insatisfaite du service à la clientèle, Isabelle a fait le tour de ses amis pour se trouver un bon conseiller. On lui a chaudement recommandé la RBC.

C’est ainsi qu’au début juin, la RBC lui a ouvert un compte immobilisé et a entamé le processus de transfert du CRI en remplissant le formulaire requis. Ce document est utilisé par toutes les institutions financières pour le transfert de fonds enregistrés (REER, CELI, FERR). Au bout de deux mois, Isabelle a su que la RBC avait fait une erreur dans le formulaire. La demande a été réacheminée, mais l’argent n’a jamais bougé.

Des semaines plus tard, le planificateur financier lui a écrit qu’il n’avait « jamais vu ça en 20 ans » et que « Tangerine bloque le transfert sans aucune raison valable ».

Ne sachant plus qui était à tenir responsable, Tangerine ou la RBC, Isabelle est allée voir la BMO, où elle possède un prêt étudiant. Le scénario s’est répété : ouverture de compte, envoi du formulaire T2033 et attente pour des raisons obscures. Tangerine a fini par contacter Isabelle pour savoir vers laquelle des deux banques envoyer l’argent.

Le transfert devait ensuite se faire rapidement. En décembre, ce n’était toujours pas fait. Des documents « de certification » seraient manquants.

« Quand j’appelle Tangerine, on me dit que l’autre institution doit envoyer d’autres renseignements. Mais quand le conseiller financier les appelle, on refuse de lui parler de mon dossier, s’impatiente Isabelle. On nous dit d’aller voir des conseillers financiers pour investir. Mais avec un service de même, je n’ai pas envie de leur faire confiance. On parle juste d’un transfert, pas de choisir des placements ni la prochaine start-up qui aura du succès. »

Tangerine m’a précisé que ses délais normaux étaient de quatre à six semaines, si les documents reçus sont remplis correctement.

Il est impossible de savoir si ce genre de problème est fréquent.

Mais pourquoi faciliterait-on la vie des clients qui veulent partir… alors qu’on peine à satisfaire les clients qui veulent rester ? On n’a qu’à penser au temps d’attente, au téléphone, pour joindre le service à la clientèle des banques. Une collègue de travail a déjà mis plus de huit heures à parler à un humain. Et que dire des démarches pour se faire rembourser lorsqu’un fraudeur pige dans notre compte bancaire.

L’ennui, c’est que les recours ne sont pas évidents dans ce genre de situation. Savoir vers quel organisme se tourner est en soi un défi de taille.

J’ai demandé au BSIF, l’organisme fédéral indépendant qui réglemente les institutions financières, de me dire quelles sont les règles à respecter en matière de transfert de fonds et si les délinquants peuvent être sanctionnés. On m’a seulement répondu que la législation fédérale « ne couvre pas spécifiquement le transfert de l’épargne-retraite immobilisée entre institutions » et suggéré de contacter l’ACFC.

À l’ACFC, on m’a transmis le code volontaire que l’Association des banquiers canadiens s’est donné en matière de transferts de régimes enregistrés. On peut y lire que les banques « s’efforcent de traiter » ce type de demande dans un délai de 7 jours ouvrables en temps normal et 12 jours en période de pointe (du 15 février au 8 avril).

On m’a aussi précisé que si un régime enregistré contient un fonds commun de placement ou un fonds négocié en Bourse, par exemple, des règles de l’Organisme canadien de réglementation des investissements ou de l’Autorité des marchés financiers « pourraient s’appliquer ».

Le conditionnel est toujours commode pour entretenir le flou.

On peut toujours se plaindre, après avoir épuisé ses recours directement auprès de la banque, à un ombudsman. Pour le moment, il y en a deux : l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement (OSBI) et le Bureau de l’Ombudsman des services bancaires (ADRBO). Mais ça va changer. La ministre Chrystia Freeland a annoncé à l’automne que l’OSBI deviendra le seul organisme de traitement des plaintes en novembre 2024. À son avis, les banques ont pu choisir « pendant trop longtemps » qui allait régler les plaintes à leur endroit.

Cette décision ne peut pas nuire. Mais considérant à quel point le processus de plainte auprès d’un ombudsman est fastidieux, il faut aussi que les banques améliorent leur service à la clientèle.