Des aînés plus que jamais pris pour cibles par les fraudeurs, dépouillés de milliers de dollars et… jamais remboursés. La Presse a recensé en quelques jours plusieurs cas de personnes âgées qui n’ont jamais récupéré les sommes dérobées et se sentent abandonnées et « doublement victimisées » par leur banque.

Jean-Guy Bisaillon plaçait toute sa confiance dans son institution financière, la Caisse populaire Desjardins. C’était avant d’être victime de fraude et de se faire refuser un remboursement de 8900 $ par l’institution où il place ses avoirs depuis plus de 40 ans.

Comme bien des aînés, l’homme de 87 ans a été piégé par un homme qui se faisait passer pour un enquêteur en octobre dernier. L’imposteur lui annonce alors qu’il s’est fait frauder. On lui propose de mettre son argent en sécurité. Une inconnue vient le chercher en voiture. Il est conduit à une première succursale Desjardins où il fait, sans contrainte, un retrait de 4400 $ au comptoir. Quelques minutes après, on l’emmène à un autre endroit et 4500 $ lui sont remis sans la moindre question par l’employée.

La fausse enquêteuse prend son argent et l’abandonne sur un trottoir. Il est alors loin de la résidence pour aînés où il habite, désorienté et dépouillé d’une grosse somme d’argent.

Une variante de fraude de type faux représentant, un fléau en nette hausse qui vise les personnes âgées.

Maintenant je me trouve niaiseux, mais sur le coup, je pensais vraiment aider la police dans son enquête.

Jean-Guy Bisaillon

M. Bisaillon est loin d’être le seul aîné ciblé à avoir été arnaqué et à se faire refuser un remboursement.

Thérèse Lefebvre a elle aussi été victime d’un stratagème semblable l’automne passé. Le malfaiteur lui explique qu’elle vient d’être victime d’une fraude. La banque n’a donc pas pu retirer le montant de son loyer ce mois-ci, selon son scénario mensonger. « J’étais pas moi-même. Il me parlait de mon loyer et il savait exactement le montant de mon loyer ! »

Une histoire semblable s’est produite avec Ronald Robichaud l’année dernière. Au téléphone, un inconnu a convaincu l’homme de 82 ans d’aller retirer 10 000 $ à la caisse. Il était paniqué. Il n’a pas tenté d’obtenir un remboursement, puisqu’on lui indique rapidement que les démarches sont ardues.

« Je suis tellement fâché après moi-même. Je me sens niaiseux d’avoir perdu autant d’argent », raconte-t-il.

« Aptes et consentants », selon les banques

Jean-Guy Bisaillon a déposé une plainte à la police, puis entamé avec l’aide de sa fille Lucie Bisaillon des démarches pour ravoir son argent peu après avoir été victime de cette coûteuse arnaque.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Jean-Guy Bisaillon et Lucie Bisaillon

Malgré une plainte au service de fraude de la Caisse et trois rencontres à sa succursale, dont deux avec la direction, il était dans une impasse jusqu’à tout récemment. Refus net de la banque.

« On va jusqu’à lui dire qu’il a été fautif, car lors des retraits, il n’a rien dit pouvant faire comprendre aux caissières qu’il était hameçonné ! », s’insurge sa fille, Lucie Bisaillon.

« Mon père est doublement victimisé par ceux qui représentent l’institution à qui il fait confiance pour placer ses avoirs depuis des décennies », poursuit Lucie Bisaillon, elle-même épuisée d’avoir si peu de recours. C’est pourquoi elle a été surprise mardi dernier de recevoir un appel de la banque des mois après la fraude et la tentative de remboursement. Après avoir réalisé qu’il « s’agissait d’un dossier sensible », les responsables ont communiqué leur intention de dédommager son père prochainement.

Lucie Bisaillon a l’impression que son intention de médiatiser l’affaire a fait bouger les choses, puisque même après plusieurs rencontres, on lui refusait tout remboursement

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Lucie Bisaillon

Ce ne fut pas une expérience agréable ni pour moi, ni pour mon père.

Lucie Bisaillon

Elle se questionne encore sur la responsabilité des employés de la caisse Desjardins. Son père va toujours au guichet et jamais au comptoir. Il retire habituellement des petites sommes. Un profil qui ne correspond pas aux actions posées par M. Bisaillon sous l’emprise du fraudeur, souligne-t-elle. « Pourtant, ce jour-là, personne n’a allumé », résume Mme Bisaillon.

En cas de fraude ou d’arnaque, il n’y a aucune garantie de remboursement pour les victimes, explique Jean-Benoît Turcotti, porte-parole de Desjardins. Les équipes analysent chaque cas individuellement selon des critères « clairs et bien définis » pour prendre leur décision. Il existe des procédures pour les personnes qui feraient plusieurs retraits aux comptoirs en peu de temps, explique-t-il. « Pour maintenir l’efficacité des mesures en place, nous ne pouvons pas les divulguer. »

Le blâme sur la victime

« Est-ce qu’on dirait à une victime d’un autre type de crime : voyons donc, tu aurais dû ne pas croire l’agresseur ? Je me le demande », lance Lucie Bisaillon.

La Presse avait exposé à la mi-décembre le cas de Colette Boucher, une dame de 92 ans fraudée de la même façon. Après l’appel de La Presse, elle avait finalement eu droit à un remboursement.

Lisez l’article « Dépouillée en une heure »

Un juge de la Cour du Québec a aussi dénoncé récemment la gravité de ce type de crime en rendant une sentence contre un jeune fraudeur.

Lisez l’article « Un jeune fraudeur s’en tire à bon compte »

Il est donc possible de revoir la couleur de son argent. Mais quels sont les critères pris en compte ? La vulnérabilité de la victime ? Les circonstances du crime ? Sa médiatisation ?

Les diverses institutions financières questionnées par La Presse n’ont pas répondu à ces questions.

Diane Lefebvre, fille de Thérèse Lefebvre, est choquée de constater l’absence de balises claires quant au remboursement des victimes. Certaines récupèrent leur argent, d’autres jamais. « C’est comme un peu à la tête du client. Pourquoi un, mais pas l’autre ? »

Comme sa mère a volontairement retiré l’argent, la banque refuse tout remboursement, lui a-t-on expliqué dans une lettre.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Thérèse Lefebvre

Je trouve pas ça correct d’être victime et de me faire dire que c’est de ma faute.

Thérèse Lefebvre

À 89 ans, elle est déçue d’être abandonnée par son institution financière, la Caisse populaire Desjardins. « Je suis cliente depuis 40 ans. Là, je me fais dire à la fin de ma vie qu’ils ne peuvent rien faire pour moi. »

Sentiment de honte

Les victimes de fraude se sentent souvent honteuses et coupables de s’être laissé manipuler, selon Karine Mac Donald, des relations publiques du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).

« Quand les banques mettent un peu la faute sur la victime, ce sentiment-là est exacerbé », résume Mme Mac Donald.

Certaines victimes voient leur projet de retraite tomber à l’eau et développent des symptômes d’anxiété, de dépression et même des idées suicidaires. Malgré tout, on banalise les fraudes et les conséquences financières et psychologiques, poursuit-elle.

Elle ajoute que les crimes financiers sont ceux qui demandent le plus de démarches administratives et de paperasse pour la victime.

Il faut être dans l’écoute et non dans le jugement. On devrait mettre plus de formation même pour les employés des banques afin de savoir comment agir avec les victimes.

Karine Mac Donald, du CAVAC

Le fardeau est effectivement sur les épaules de la victime, selon Ronald Robichaud. « Je n’ai même pas le goût de me battre. Je n’ai pas d’enfant et j’ai été malade. Je n’ai pas l’énergie », explique-t-il en entrevue.

De l’énergie. Il faut en avoir pour naviguer dans les méandres administratifs du service des plaintes de la banque. Un véritable labyrinthe, où tout le monde se renvoie la balle, décrit Lucie Bisaillon. Elle a passé de longues minutes en attente au téléphone, à être trimballée d’un département à l’autre. C’était la croix et la bannière pour convaincre les différents intervenants que son père lui déléguait la tâche.

« On veut que mon père écrive les lettres lui-même, appelle lui-même la banque. Mais mon père ne parlera pas. »

Après le refus, elle a poursuivi des démarches sans grand espoir.

« Ce sont comme des coups d’épée dans l’eau. C’est à se demander si on ne veut pas nous avoir à l’usure. Mon frère et moi ne voulons pas lâcher, on veut redonner confiance à mon père qui a été ébranlé dans tout ça. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les victimes de fraude doivent bien souvent composer avec des séquelles psychologiques.

« Ils ont magané ma vie »

Les victimes de fraude ne perdent pas que de l’argent. Elles y laissent aussi une partie de leur paix d’esprit et doivent composer avec les séquelles psychologiques de ce crime intrusif.

« Je suis tellement en maudit après [les fraudeurs]. Ils ont magané ma vie. »

Jean-Guy Bisaillon n’est plus le même depuis la fraude. Il n’est ni dépressif ni malheureux, certes, mais il a développé une hypervigilance qui l’isole, à un âge où les contacts humains demeurent importants. Il ne veut plus aller sur Facebook prendre des nouvelles de la famille, de peur de tomber sur une arnaque. Il ne répond plus au téléphone. Il cache ses effets personnels et son portefeuille. Plus question d’aller retirer de l’argent seul.

Il est même devenu méfiant par rapport aux employés de la RPA où il habite.

[Les fraudeurs] avaient mon nom et mon numéro de téléphone. N’importe qui qui habite ici peut être un complice.

Jean-Guy Bisaillon

Il avait un grand respect pour les autorités, selon sa fille. À présent, si un vrai policier s’adressait à lui, il le prendrait probablement pour un imposteur. Sa confiance envers la banque a aussi été écorchée.

« C’est important à leur âge de garder leur fierté et leur autonomie », estime Lucie Bisaillon.

Confiance écorchée

Thérèse Lefebvre a aussi perdu un peu de son indépendance depuis la fraude. « Elle ne fait plus de transactions avec Desjardins. C’est moi qui fais les transactions et il y a un blocage : pas plus de 100 $ de retrait par jour, et seulement moi qui ai une carte bancaire », explique sa fille Diane Lefebvre.

Quand le téléphone sonne, sa mère raccroche tout de suite si elle ne reconnaît pas la voix au bout du fil.

Elle se sent d’ailleurs « espionnée » et sur ses gardes, puisque l’imposteur avait des informations sur elle. Il connaissait le montant exact de son loyer.

« Comment savent-ils le montant ? Est-ce qu’ils ont un complice à la banque ? Dans mon immeuble ? Je ne peux plus faire confiance à personne. »