À voir la quantité de personnes qui se font voler de l’argent dans leur compte de banque, c’est à se demander s’il n’est pas plus sécuritaire que jamais de cacher ses économies sous un matelas. Le voleur moderne ne prend plus la peine de casser des vitres pour entrer dans les maisons. Il demeure assis devant son ordinateur et dépouille ses victimes en procédant à des virements.

C’est beaucoup plus rapide et lucratif que d’ouvrir les commodes et de fouiller dans les sous-vêtements pour trouver de liasses de billets. Le risque de tomber face à face avec la victime munie d’un bâton de baseball est nul. Et pour éviter la prison, il suffit de multiplier les transferts de fonds afin de bien brouiller les pistes. Avouez que c’est alléchant comme « boulot ».

Pour les épargnants et les entreprises qui confient leurs avoirs aux banques, cela est de plus en plus préoccupant.

En septembre, « des dizaines » de clients commerciaux de la Banque Nationale ont eu la mauvaise surprise de constater que leur compte avait été vidé. Des marges de crédit ont subi le même sort. Il s’agit de petites et moyennes entreprises, comme l’a rapporté Le Devoir. Incapables de payer leurs employés et leurs fournisseurs, les victimes se trouvaient dans une situation intenable.

L’entreprise beauceronne MAR-Optimisation s’est fait voler 225 000 $, tandis que les fraudeurs ont dérobé 60 000 $ au commerçant de véhicules électriques usagés Muze. Le Journal de Montréal a parlé à la propriétaire des Constructions Richard qui a découvert que 100 000 $ s’étaient évaporés de son compte. Auto Tech Steve Boivin & Fils, à Sainte-Foy, a perdu 75 000 $.

L’histoire de Distribution Fort-Mag, de Mascouche, est particulièrement troublante. Sa propriétaire a raconté avoir réalisé que de nouveaux destinataires avaient été ajoutés à son compte bancaire d’entreprise. Ève Blanchette a avisé illico la Banque Nationale, mais les fraudeurs ont quand même pu effectuer des transferts totalisant 39 000 $ par la suite. « Pis ils me disent que c’est de ma faute ? Come on… », s’indigne l’entrepreneure.

À ce jour, la Banque Nationale n’a pas dévoilé le nombre de clients floués ni les sommes totales dérobées. Mais elle jure que son système de sécurité n’a subi aucune défaillance. Ses clients ont plutôt été victimes d’une vague de fraudes par hameçonnage, soutient-elle.

Autrement dit, ils auraient tous cliqué sur un lien avant de partager leurs données personnelles avec les escrocs. Les victimes seraient donc responsables de leurs malheurs.

Et qu’arrive-t-il quand un client – un épargnant comme vous et moi ou une entreprise – n’a pas été suffisamment vigilant ? Il devient responsable de la perte subie.

Du temps où l’argent se trouvait dans un coffre-fort et que la seule manière pour un voleur d’y accéder était de réussir un hold-up, les banques étaient entièrement responsables des sommes qui leur étaient confiées. Désormais, à l’ère des virements Interac, des transferts électroniques, de l’internet et des banques virtuelles, le fardeau repose en bonne en partie sur les épaules des clients. Beau progrès !

Mais comment prouver sa prudence ? Son innocence ?

C’est tout le nœud de l’affaire qui ébranle la Banque Nationale, critiquée par ailleurs pour son mutisme pendant des semaines.

Comme l’a écrit mon collègue Hugo Joncas, « toutes les victimes que La Presse et les autres médias ont contactées nient avoir violé les règles de sécurité et ne peuvent identifier aucun moment où elles auraient pu être hameçonnées ». Personne ne réalise, a posteriori, qu’un message qui leur avait semblé légitime était peut-être louche.

Lisez « Fraudes en série à la Banque Nationale : la loi ne prévoit aucune responsabilité pour les banques »

Les entrepreneurs concernés n’ont sans doute pas intérêt à dévoiler ce genre de choses, mais s’ils ont tous agi « sans s’en rendre compte » comme le croit la Banque, n’est-il pas légitime de se questionner sur leur responsabilité ?

La seule bonne nouvelle dans cette histoire, c’est que la Banque Nationale a commencé à rembourser certains entrepreneurs fraudés. Les demandes sont évaluées au cas par cas. On ne se saura jamais à quel point la pression médiatique a fait bouger les choses. Il semble aussi que la Banque ait réalisé que la communication et la transparence lors d’évènements aussi angoissants sont nécessaires pour garder la confiance des clients. Une vice-présidente a d’ailleurs présenté ses excuses à RDI.

Cette énième histoire de fraudes ébranle en effet la confiance envers les banques et leur capacité à protéger notre argent, alors que cela est à la base de leur modèle d’affaires.

En janvier, des comptes REEE chez Kaleido (ex-Universitas) avaient été dépouillés par des fraudeurs. C’est sans compter tous les clients de la BMO qui se sont fait vider leur compte à coups de virements Interac.

Lisez la chronique « Kaleido : des fraudeurs ont vidé des comptes REEE »

L’ennui, c’est que le dessous du matelas n’est pas une véritable option. Les entreprises et les épargnants doivent confier leur argent à une institution financière, malgré l’absence de protection légale au Canada. Une réflexion à ce sujet s’impose.

Au Royaume-Uni, on prévoit forcer le remboursement des victimes dès 2024. Le fardeau sera partagé moitié-moitié entre la banque du fraudé et celle du fraudeur. Certains craignent que cette protection décharge les individus de leurs responsabilités, mais cela aura le mérite de forcer les institutions financières à investir dans la robustesse de leurs systèmes informatiques.

Car un compte de banque peut être vidé sans que son détenteur ait levé le petit doigt. Et cela me fait beaucoup plus peur que les prévisions du stratège François Trahan qui voit les marchés boursiers dégringoler de 35 % d’ici 18 mois.