On entend souvent dire que les pauvres s’appauvrissent et que les riches s’enrichissent. Que notre système économique accroît considérablement les inégalités, année après année.

Mais est-ce vraiment le cas ? Les données d’une étude rendue publique mercredi apportent des éclaircissements à cet égard. Et selon l’angle d’approche, il est possible de conclure qu’au Québec, les inégalités ont presque cessé de croître depuis 20 ans, après avoir augmenté considérablement dans les années 1980 et 1990.

Ce n’est pas précisément la conclusion de l’étude, dois-je vous dire. L’analyse est d’abord technique, et au terme de cette analyse, les auteurs constatent un accroissement des inégalités en comparant l’année 2019 à l’année 1982. Toutefois, les chiffres et graphiques démontrent éloquemment que le phénomène a beaucoup ralenti au Québec et au Canada depuis 1999 – donc depuis deux décennies –, contrairement à une croyance répandue.

L’étude a été réalisée par François Delorme et Camille Lajoie, de l’Université de Sherbrooke. Intitulée Les inégalités au Québec revisitées – Remettre le Gini dans sa bouteille, l’étude remet surtout en question l’indicateur phare utilisé partout pour mesurer l’évolution des inégalités, soit le coefficient de Gini.

Avant d’entrer dans le débat technique, jetons un œil sur l’évolution des revenus des Québécois selon leur classe.

En 2019, les Québécois situés dans le 1 % le plus riche gagnaient en moyenne 391 330 $, tandis que ceux dans les 50 % les plus pauvres touchaient 20 358 $, selon les données de Statistique Canada1. Ces revenus englobent tous les contribuables de 15 ans et plus, à temps plein comme à temps partiel.

Le sort des uns et des autres s’est-il amélioré ?

Selon ce qu’on peut constater, le revenu moyen des 50 % les plus pauvres a augmenté de seulement 6 % entre 1982 et 1999, pendant qu’il grimpait de 54 % pour le 1 % plus riche et même de 124 % pour le top 0,1 %. Ayoye !

Précisons qu’il s’agit d’une hausse réelle des revenus – donc du pouvoir d’achat –, car les revenus comparés sont en dollars constants, donc dégonflés de l’inflation.

L’histoire est fort différente après la montée fulgurante de ces inégalités des années 1980 et 1990. Entre 1999 et 2019 donc, la hausse des revenus moyens a plutôt été de 42 % pour la tranche des 50 % plus pauvres, soit bien davantage que durant la période précédente (seulement 6 %), grâce aux mesures gouvernementales, entre autres.

En comparaison, la hausse des revenus des 1 % plus riches a été de 51 % entre 1999 et 2019. Bref, la progression des revenus des plus riches demeure plus forte que celle des pauvres (42 %), mais l’écart de progression s’est considérablement rétréci par rapport à la période précédente. Dit autrement, les inégalités ont continué de s’accroître, mais plus lentement.

En Ontario ou ailleurs au Canada, les inégalités sont un peu plus grandes qu’au Québec, mais ce phénomène de diminution marquée de l’accroissement des inégalités est très semblable entre les deux mêmes périodes.

L’évolution des inégalités est mesurée depuis longtemps avec ce qu’on appelle le coefficient de Gini. Cet indice compare la répartition des revenus dans la population à un scénario d’égalité parfaite.

Dans leur étude, les auteurs tendent à démontrer que ce coefficient sous-estime les inégalités, comme c’est le cas d’un autre indicateur, celui de Palma. Ce dernier indice divise la part des revenus détenus par les 10 % les plus riches par celle des revenus des 40 % les plus pauvres.

Selon les auteurs, qui s’inspirent de l’économiste Thomas Piketty, il est préférable de s’en remettre à un autre indicateur, qui compare plutôt l’évolution de la part des revenus des 1 % plus riches à celle des revenus des 50 % plus pauvres.

L’analyse est plutôt technique, mais résumée simplement, pour chacun des indicateurs, une hausse signifie que les inégalités augmentent, et inversement. Le graphique de l’évolution des trois indicateurs mis côte à côte parle de lui-même : l’indice de Gini tend à minimiser l’évolution des inégalités et celui des auteurs, à l’accroître2.

Les données récentes semblent donc montrer que la lutte contre les inégalités a porté ses fruits depuis 20 ans au Canada, bien qu’il reste encore du travail à faire. Et ce, bien que, faut-il dire, l’ajout de certains revenus dans les données officielles aurait pour effet d’accentuer les inégalités, selon certaines études (par exemple, les revenus des travailleurs autonomes ou encore ceux de certaines sociétés privées détenues par certains riches).

Comment soigner le patient ? Selon les études sur le sujet, citées par les auteurs, il est difficile d’imposer davantage les hauts revenus, parce que les riches ont des façons de transférer leurs revenus pour réduire leur facture fiscale.

« Les gouvernements doivent donc en tirer la conclusion qu’au Canada, et a fortiori au Québec, les options pour réduire les inégalités doivent passer par une bonification des mesures de soutien de revenu, et donc par le bas de l’échelle de distribution des revenus, plutôt que par une taxation plus importante sur les hauts revenus », écrivent-ils.

Espérons qu’on ne voie pas au Canada une accentuation marquée des inégalités, comme dans d’autres pays, entre autres les États-Unis.

Une autre étude parue mercredi n’est pas de bon augure pour l’avenir. La proportion d’enfants de maternelle 5 ans considérés comme vulnérables, que ce soit sur les plans physique, affectif, social ou langagier, s’est significativement accrue. La proportion de vulnérables est passée de 25,6 % en 2012 à 28,7 % en 2022 (35,6 % chez les garçons), selon cette étude de l’Institut de la statistique du Québec.

Les parents y sont-ils pour quelque chose ? Les garderies ? À suivre attentivement.

1. L’année 2019 a été utilisée, car l’année pandémique 2020 est atypique, avec les transferts gouvernementaux aux particuliers. Les revenus sont exprimés en dollars constants de 2022.

2. Pour rendre leur évolution comparable, les trois indices ont chacun été ramenés sur une même base 100 en 1982. Pour l’indice des auteurs de l’étude, la présentation avec une base 100 en 1982 a été faite par votre humble serviteur.

Consultez l’étude du CFFP