La mise en vente de la Banque Laurentienne permettra-t-elle à l’institution québécoise de se trouver une nouvelle voie, plus porteuse que celle qu’elle a suivie depuis près de 40 ans ? La question se pose puisque qu’en 1987, la Banque Laurentienne faisait office de pionnière au Canada en devenant la première institution bancaire à s’intégrer dans un groupe financier complètement décloisonné.

C’est en 1984 que Claude Castonguay, qui était le président de la compagnie d’assurance La Laurentienne, obtient du ministre des Finances Jacques Parizeau un changement de la loi qui permet le décloisonnement des quatre piliers de la finance afin de rendre possible le regroupement sous une même entité corporative des activités bancaires, de fiducie, d’assurances et de courtage.

La Laurentienne venait de réaliser avec succès plusieurs acquisitions dans le domaine de l’assurance en intégrant notamment l’Imperial Life de Toronto. Claude Castonguay voulait implanter le concept de supermarché financier au Québec et ailleurs au Canada.

En 1986, la Corporation du Groupe La Laurentienne fait l’acquisition de la Banque d’Épargne de la Cité et du District de Montréal qui deviendra en 1987 la Banque Laurentienne et se retrouve avec un réseau de 128 succursales majoritairement au Québec. La même année, la Corporation fait l’acquisition de 45 % du courtier en valeurs mobilières Geoffrion Leclerc.

Le rêve de Claude Castonguay prend vie, le nouveau supermarché financier prend forme, une grande destinée se dessine alors pour le nouveau conglomérat financier qui poursuit les acquisitions : la Financière Coopérants et la Fiducie Guardian en 1992, le General Trust et la Société Nationale de Fiducie.

Mais la récession de 1991 a laissé des stigmates et la Corporation du Groupe La Laurentienne voit le courtier Geoffrion Leclerc lui échapper lorsque la Banque Nationale qui vient de faire l’acquisition du grand courtier Lévesque Beaubien rachète en totalité les actions de Geoffrion Leclerc qui devient Lévesque Beaubien Geoffrion.

En 1994, en difficultés financières, la Corporation du Groupe la Laurentienne doit fusionner ses activités avec celles du Mouvement Desjardins, les activités de la Banque Laurentienne vont toutefois rester indépendantes du Mouvement coopératif.

Depuis 1994, La Banque Laurentienne se cherche une voie, celle plus traditionnelle sous le mandat de Henri-Paul Rousseau durant lequel il va ajouter une trentaine de succursales en Ontario et dans l’ouest du pays et racheter une quarantaine de succursales de la Banque Scotia au Québec, avant qu’il se joigne à la Caisse de dépôt, en 2002.

Manque de profondeur

Depuis 2002, la Banque Laurentienne ne fait que vivoter dans un environnement qui, lui, devient toujours plus concurrentiel. L’institution financière n’a qu’une activité marginale dans le domaine des valeurs mobilières à la suite du rachat du courtier Tassé et associés et n’a jamais pu développer une activité de financement corporatif d’importance.

« Lorsqu’ils ont fait l’acquisition de la Banque d’Épargne, ils ont hérité d’une banque poussiéreuse qui desservait une clientèle de gens qui n’avaient pas beaucoup d’épargne, principalement des nouveaux arrivants et des ouvriers.

« Ils n’étaient pas dans le marché des capitaux », se souvient Jean Turmel, qui a œuvré durant 25 ans à la Banque Nationale qu’il a quittée en 2005 lorsqu’il était président, Banque des marchés financiers, placements et trésorerie, pour fonder Perseus Capital, une firme-conseil en valeurs mobilières.

En fait, la mise en vente de la Banque Laurentienne n’a pas étonné grand monde dans le monde de la finance. Cela fait des années qu’on attend cette éventualité qui n’est pas survenue plus tôt parce que l’institution bancaire était la seule de l’industrie à devoir composer avec des employés syndiqués.

Encore là, sous l’impulsion d’un nouveau président, François Desjardins, entré en poste en 2015, la Laurentienne a pris un nouveau virage en réduisant considérablement le nombre de ses succursales qui sont passées de 150 à une soixantaine, tout en abolissant les services de dépôt et de retrait au comptoir pour se concentrer sur les activités de conseil.

Résultat des courses, le nombre d’employés syndiqués à la Banque Laurentienne est passé de 2000 à 600 en l’espace de cinq ans et la banque a obtenu, en 2021, la désaccréditation syndicale de son personnel qui était encore syndiqué, abolissant ainsi tout risque de contamination pour un acquéreur potentiel.

Si Claude Castonguay, actuaire de formation, s’est démarqué au Québec en ayant été au cœur de la création du régime d’assurance-maladie au début des années 1970, il a été davantage un visionnaire dans le domaine des services financiers qu’un opérateur dans les années 1980 et 1990, capable de livrer des résultats.

La Corporation du Groupe La Laurentienne a été absorbée par Desjardins et ce qui reste de la Banque Laurentienne passera bientôt dans les mains d’un acquéreur qui visiblement ne sera pas la Banque Nationale ni le Mouvement Desjardins parce qu'ils auraient déjà déposé une offre s'ils avaient été intéressés. Un acteur des fintech, peut-être ?