Pour mieux protéger les consommateurs et l’environnement, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, s’attaquera incessamment à l’obsolescence programmée en déposant un projet de loi. Dans la foulée, il espère faire du Québec la première province dotée d’une loi contre les citrons, ces voitures qui sont toujours au garage.

« Ce n’est pas normal que lorsque vous achetez, supposons une laveuse ou une sécheuse, après quatre ans, ça brise, ça ne fonctionne plus, et que le consommateur ne puisse pas la faire réparer, qu’il n’y ait pas de pièces disponibles et que la faire réparer revient quasiment plus cher qu’une neuve. Il faut lutter contre ce modèle-là », m’a dit le ministre Jolin-Barrette au cours d’un entretien téléphonique.

Son objectif est de protéger les Québécois contre des « pratiques qui leur coûtent cher et qui nuisent à l’environnement », en cette période où l’inflation et le développement durable font quotidiennement les manchettes.

Même si l’existence de l’obsolescence programmée ne fait pas l’unanimité, on la définit comme la réduction volontaire de la durée de vie d’un produit, par son fabricant, pour en accélérer le renouvellement. Une stratégie polluante qui maximise les profits, en d’autres mots.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

Pour pondre son projet de loi, Simon Jolin-Barrette affirme qu’il s’est inspiré des « meilleures pratiques dans le monde », qu’il a consulté le ministère de l’Environnement et que l’Office de la protection du consommateur (OPC) réfléchit à la question depuis quelques années. Tout laisse croire que la Loi sur la protection du consommateur serait modifiée pour y inclure de nouveaux articles.

Le contenu du projet de loi demeure pour le moment confidentiel, car les élus doivent en être les premiers informés. Mais on comprend que tous les biens de consommation courante seront visés, et non seulement l’électronique comme cela se voit dans certains pays.

« Le Québec a toujours été un leader en matière de protection du consommateur. On va le demeurer. Je vous donne un exemple : on réfléchit sur les chargeurs universels, a confié Simon Jolin-Barrette. C’est peut-être une mesure qui pourrait se retrouver dans le projet de loi. »

Ottawa a déjà l’intention de faire comme l’Union européenne et de forcer les manufacturiers d’appareils électroniques à adopter un modèle universel, a-t-on appris dans le budget Freeland, en mars. Une certaine cohérence sera de mise.

Les détaillants auraient par ailleurs leur part de responsabilité. « Généralement, aucun bien ne devrait être programmé pour ne pas durer. Donc, on veut interdire cette pratique-là. Le fabricant et le commerçant doivent être tenus responsables si jamais c’est le cas », indique le ministre. Quand on sait à quel point il est difficile de faire honorer la garantie par les fabricants et les détaillants qui se renvoient parfois la balle, cette volonté semble difficile à mettre en pratique.

Simon Jolin-Barrette précise par ailleurs que son projet de loi pourrait reprendre certaines suggestions de la députée et porte-parole de l’opposition officielle pour la protection des consommateurs, Marwah Rizqy.

L’élue avait déposé, en janvier, le projet de loi 195 dont le but était de lutter contre l’obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens. Le texte suggérait l’imposition d’une amende pouvant atteindre 3 millions de dollars à toute entreprise pratiquant « délibérément l’obsolescence programmée ».

Son projet de loi proposait notamment d’instaurer une cote de durabilité qui indiquerait aux consommateurs la durée moyenne de fonctionnement des biens qu’ils achètent.

Marwah Rizqy voulait aussi rendre les pièces de rechange, les outils et les services de réparation disponibles à un prix raisonnable. Que cela n’aille pas de soi pour les entreprises et qu’il faille légiférer pour qu’il soit possible de faire réparer un grille-pain ou un téléphone est tout simplement honteux. À lui seul, le droit à la réparabilité – déjà en vigueur dans une poignée d’États américains⁠1 – justifie une nouvelle loi au Québec.

Québec pourrait aussi forcer les fabricants à afficher sur leurs produits un indice de réparabilité comme cela se fait en France⁠2 depuis 2021. Neuf catégories de produits sont soumises à cette obligation. Cette note sur 10 permet, en théorie, de faire des choix plus éclairés, à condition que l’évaluation soit adéquate, crédible et fiable.

Le ministre Jolin-Barrette veut par ailleurs doter le Québec d’une loi anti-citron pour aider les automobilistes qui ont le malheur de tomber sur un véhicule neuf dont les problèmes sont récurrents. Ce n’est pas trop tôt. Ce type de loi existe dans tous les États américains depuis longtemps. Il prévoit le rachat du véhicule par le constructeur quand le concessionnaire n’arrive pas à effectuer la réparation nécessaire après un certain temps.

La CAA ne sait pas quelle proportion des véhicules peut être considérée comme un citron. Certaines sources parlent de 1 %. Même si c’est peu, étant donné la somme en jeu, il est nécessaire d’imiter nos voisins du Sud.

1. Voyez quels États américains se sont dotés de lois forçant le droit à la réparation (en anglais) 2. Découvrez le fonctionnement de l’indice de réparabilité en France

Une bonne idée de suivre la France ?

On ne peut pas s’opposer à tous ces principes vertueux que la future loi du ministre de la Justice veut défendre. Mais reste à voir à quel point ces nouvelles dispositions auront des impacts réels dans la vie des consommateurs et sur les pratiques des manufacturiers.

En France, les résultats sont pour le moins mitigés, presque huit ans après l’entrée en vigueur de la loi punissant le « délit d’obsolescence programmée ». Celui-ci est sanctionné par une peine d’emprisonnement pouvant atteindre deux ans et une amende maximale de 300 000 euros.

Jusqu’ici, aucun fabricant n’a été reconnu coupable d’un tel délit.

Apple, Nintendo et les imprimantes Epson ont été poursuivis sans succès par des associations de défense des consommateurs et de l’environnement. Dans l’affaire des iPhone 6, 6S, SE et 7 qui fonctionnaient moins bien après la mise à jour du système d’exploitation, Apple a accepté de payer une amende de 25 millions d’euros, mais en raison de pratiques commerciales trompeuses.

« Cette pénalisation des pratiques d’obsolescence programmée a eu le mérite de marquer les esprits et d’inciter les industriels à se tourner vers des pratiques de fabrication et de production plus durables, modulables et robustes », constate l’association française HOP (pour Halte à l’obsolescence programmée) dans un texte publié à la mi-mai1.

Mais en pratique, les consommateurs ont bien peu de chances de faire condamner une entreprise, car il est extrêmement difficile de prouver les mauvaises intentions d’un industriel et même d’expliquer la cause de l’obsolescence, reconnaît HOP. Parfois, l’obsolescence est avantageuse pour le consommateur. « Comment établir avec certitude que la pratique ne poursuit pas un autre objectif, plus louable : permettre le bon fonctionnement d’un autre élément ou tout simplement faire baisser le prix de vente du produit ? », demande HOP dans un autre texte2.

En janvier, le magazine Le Point⁠3 se demandait ce qu’avait donné la création en France du délit d’obsolescence programmée, en 2015. Sa réponse : « aucune condamnation n’a eu lieu, faute de cas avéré ». Ça ne veut pas dire que le phénomène n’existe pas, peut-être est-il tout simplement trop difficile à prouver, mais chose certaine, la loi française ne doit pas faire frémir de peur les manufacturiers.

Le Point écrit aussi que des centaines de milliers d’heures de réunion et des millions d’euros ont été investis à l’échelle européenne dans le but de créer un « indice de réparabilité des produits » qui n’a pas porté ses fruits. Cette « tâche colossale » a donné « des résultats qui restent imperceptibles », car la durée de vie des électroménagers est soit stable (les gros appareils), soit en légère augmentation (les petits).

« L’obsolescence programmée n’existe pas », ajoutait même le directeur adjoint de la direction économie circulaire de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), Raphaël Guastavi.

On ne peut pas présumer des conséquences d’une législation anti-obsolescence programmée au Québec avant d’en voir les détails. Il faudra, surtout, savoir quels moyens seront donnés à l’Office de la protection du consommateur pour la faire respecter.

Même si l’intention est excellente, c’est le résultat qui compte.

1. Lisez le bilan de la loi contre l’obsolescence programmée rédigé par HOP 2. Lisez un texte de HOP sur le changement de définition de l’obsolescence programmée survenu en France en 2021 3. Lisez le texte Mais où est donc passée l’obsolescence programmée ? (abonnement requis) Consultez un rapport du gouvernement français sur l’obsolescence programmée Consultez une étude réalisée à la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille Université sur les mesures prises à travers le monde contre l’obsolescence programmée

Une appellation bientôt centenaire

La notion d’obsolescence programmée est née aux États-Unis, en 1932, avec l’objectif de sortir le pays de la crise économique. Bien intentionné, l’agent immobilier Bernard London a écrit un essai intitulé Ending the Depression through Planned Obsolescence (En finir avec la Dépression grâce à l’obsolescence programmée) dans lequel il suggérait de limiter la durée de vie des objets pour faire rouler les usines et diminuer le taux de chômage. « Ma proposition mettrait le pays entier sur les rails du redressement économique et permettrait de retrouver des conditions de travail normales et une prospérité durable », écrivait-il. On ne sait pas si c’est lui qui a créé l’expression.