En ce printemps 2023, le Québec est témoin d’un phénomène exceptionnel, à inscrire dans les annales. Et non, il ne s’agit pas de verglas ou de panne d’électricité.

Pour une rare fois, les deux groupes de réflexion aux antipodes de l’axe gauche-droite, l’IRIS et l’IEDM, sont tout à fait d’accord : il faut décentraliser le réseau de la santé pour l’améliorer. Or, pour l’instant, ce n’est pas cette voie qu’emprunte le gouvernement Legault avec Santé Québec, visiblement.

L’IRIS, c’est l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, un groupe bien campé à gauche, qui peste contre l’individualisme, le néolibéralisme et la concurrence. L’IRIS milite contre les baisses d’impôt et la réduction de la dette publique, parce que ces deux politiques auraient pour effet de priver nos services publics de ressources précieuses.

L’IEDM, c’est l’Institut économique de Montréal, un groupe bien campé à droite qui vante l’entrepreneuriat, les droits individuels et l’économie de marché. L’IEDM veut réduire l’endettement public et croit qu’une baisse d’impôt favoriserait la croissance économique et, par ricochet, un meilleur financement de nos services publics.

Comme on peut s’y attendre, l’IRIS est contre toute forme de privatisation des soins de santé, alors que l’IEDM milite pour des hôpitaux privés. Or voilà, les deux jugent qu’il est primordial de décentraliser notre réseau.

Selon l’IRIS, un système de santé décentralisé permet de tenir compte des préoccupations des communautés locales. Seule une véritable décentralisation améliorerait l’accès aux services, soutient l’organisme.

De son côté, l’IEDM juge que les meilleurs systèmes de santé sont ceux qui, comme en Suède, donnent plus de pouvoir aux gens près du terrain. « La centralisation, c’est penser qu’un fonctionnaire dans une tour à Québec connaît mieux la réalité de la Côte-Nord que les gens qui sont sur le terrain à Baie-Comeau », affirmait récemment Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM.

Bref, les deux organismes, vus comme l’eau et le feu, tiennent le même langage. N’est-ce pas digne d’intérêt pour la suite des choses ?

Leur convergence pourrait être anecdotique si leur position était marginale, mais ce n’est pas le cas. Elle rejoint celles d’autres intervenants, comme l’ex-ministre péquiste Michel Clair, qui a présidé une commission phare sur la santé il y a plus de 20 ans.

Le rapport Clair recommandait, déjà en 2001, de créer une agence de santé pour la gestion quotidienne, comme Santé Québec, ce qui permettrait de laisser au Ministère les orientations stratégiques et l’évaluation des performances du réseau.

La semaine dernière, Michel Clair se disait toutefois étonné de la volonté du gouvernement de faire de Santé Québec le seul employeur de l’ensemble des employés du réseau. Selon lui, il faut une structure qui tient compte des particularités locales, en plus de conventions collectives qui n’appliquent pas les mêmes règles « mur à mur » partout⁠1.

En vertu du projet de loi sur l’efficacité en santé, les 350 000 à 375 000 employés du réseau auront, ultimement, un seul employeur, plutôt que les 34 employeurs locaux. Les 34 PDG des agences régionales relèveront directement de Santé Québec et de sa direction, et non des conseils d’administration locaux.

En procédant ainsi, le ministre Christian Dubé simplifiera grandement les futures négociations de conventions collectives, puisque le nombre d’accréditations syndicales (et donc de tables de négos) passerait de 136 à seulement 4.

De plus, cette fusion améliorerait la mobilité, en fusionnant l’ancienneté de tous les employés du Québec, ce qui leur permettrait de garder leur permanence et leurs conditions de travail advenant un changement de région.

Le gros hic, c’est que cette centralisation risque d’occulter les enjeux locaux.

Michel Clair : « Si tout se règle [selon la version initiale du projet de loi], on va avoir une convention, une règle qui va s’appliquer à 350 000 personnes, ça ne se peut pas », a-t-il dit à ma collègue Fanny Lévesque.

L’ex-politicien craint que cette centralisation ne vienne briser la culture organisationnelle locale, entre autres. Il juge qu’il faudrait conserver certaines ententes locales.

Éviter le fiasco informatique

La fusion de mégasystème informatique centralisé est l’exemple à éviter. En principe, de tels systèmes permettent d’importantes économies d’échelle et d’efficacité. En pratique, ils virent souvent au fiasco.

Les récents problèmes de la SAAQ en sont un exemple. Le cas du système Phénix, du gouvernement fédéral, est encore pire.

Phénix devait procurer d’importantes économies en centralisant la paye des employés fédéraux. Or, sept ans plus tard, Phénix a encore des ratés et il a coûté une véritable fortune.

La centralisation annoncée des systèmes informatiques de Santé Québec donne de l’urticaire à Guillaume Bouvrette, président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec. « Quand j’ai entendu ça […], mon anxiété a grimpé en flèche. L’objectif est louable, mais comment on va y arriver ? », se demande le syndicaliste, selon qui 1000 postes sont à pourvoir au gouvernement pour maintenir et entretenir le parc informatique.2

Pour compenser la centralisation, Christian Dubé veut nommer un directeur général pour chacun des principaux établissements de santé, comme il l’a fait avec les CHSLD. Ces nominations locales ne seront toutefois pas suffisantes pour aider la gestion de proximité, juge Michel Clair.

Avec son projet, en somme, le gouvernement Legault cible plusieurs problèmes importants de notre réseau, comme le « carcan syndical », le manque de responsabilité populationnelle des médecins spécialistes et le manque de considération pour la compétence par rapport à l’ancienneté dans certaines nominations.

Christian Dubé devra toutefois mettre de l’eau dans son vin pour maintenir, voire améliorer la décentralisation de certains volets du réseau.

Comment ? Ça reste à voir. Serait-il possible, par exemple, de donner aux conseils d’établissement locaux – qui remplaceront les actuels conseils d’administration – des responsabilités distinctes qui sauraient mieux tenir compte des enjeux régionaux ?

1. Consultez l’article « Santé Québec : Michel Clair émet des bémols » 2. Consultez l’article « Santé Québec : Québec augmente la pression sur les médecins spécialistes »