Vous connaissez la stratégie. Pour nous convaincre de faire un don, certains organismes nous postent des enveloppes remplies de petits cadeaux.

Cartes de souhaits, stylos, sac à emplettes, autocollants, calendrier, chaussettes fleuries, plaques porte-clés. Peut-être avez-vous reçu un tel paquet de la Croix-Rouge canadienne, de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada ou de l’Association des Amputés de guerre dans les derniers jours.

La méthode ne date pas d’hier et les critiques qu’elle provoque non plus.

À une certaine époque, ceux qui n’apprécient guère cette tactique marketing en dénonçaient surtout les coûts. Ils préféraient que leurs dons passés et futurs servent à la cause soutenue et non pas à l’envoi par la poste d’une ribambelle d’objets.

« Quand j’ai fait ma thèse de doctorat sur les collectes de fonds, il y a 20 ans, on me disait que c’était un enjeu depuis 20 ans ! », me raconte Sylvain A. Lefèvre, professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM.

Aujourd’hui, des considérations environnementales s’ajoutent dans l’opinion publique. Car les objets, nombreux, ne sont pas toujours désirés et possiblement fabriqués à l’autre bout du monde.

Un copain a d’ailleurs exprimé son inconfort en publiant sur Facebook une photo des cadeaux trouvés dans sa boîte aux lettres il y a quelques jours. « J’ai un malaise ! Je viens de recevoir cet attirail gracieuseté de la Croix-Rouge canadienne qui me sollicite pour un don en m’envoyant une dizaine de documents, deux stylos (gravés en anglais), deux cartes de souhaits et un sac. » Sa publication a beaucoup fait réagir.

Je hurle devant tant de gaspillage. Neuf feuilles pour me dire comment faire un don ? Un calepin d’une vingtaine de pages où je peux inscrire pour qui ou quoi j’ai de la gratitude chaque jour ? De leur côté en tout cas, ils ne semblent pas avoir beaucoup de gratitude envers notre planète.

Ève

« Cette méthode est une plaie à dénoncer. J’ai trop souvent reçu cette camelote. Je ne donne plus à l’organisation qui m’envoie ça pour soi-disant me remercier », a ajouté Claude.

Cette réaction des donateurs ne surprend guère le professeur Lefèvre. « Ce qui m’étonne, c’est que les organismes utilisent encore ces méthodes ! »

  • Contenu d’une enveloppe de sollicitation de la Fondation pour les maladies du cœur et de l’AVC du Canada

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Contenu d’une enveloppe de sollicitation de la Fondation pour les maladies du cœur et de l’AVC du Canada

  • Contenu d’une enveloppe de sollicitation de la Croix-Rouge

    PHOTO FOURNIE PAR LA CROIX-ROUGE

    Contenu d’une enveloppe de sollicitation de la Croix-Rouge

  • Contenu d’une enveloppe de sollicitation des Amputés de Guerre – Québec

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Contenu d’une enveloppe de sollicitation des Amputés de Guerre – Québec

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À la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada, on n’a pas souhaité aborder ce sujet en entrevue. Officiellement, personne n’était disponible dans la dernière semaine pour me parler. La porte-parole m’a plutôt suggéré de contacter l’Association des professionnels en philanthropie (AFP) et son président, Daniel H. Lanteigne. Celui-ci avait publié, en décembre dernier dans la section Débats de La Presse, un court texte sur le sujet.

Il écrivait : « Au bout du compte, les dépenses de papeterie sont rapidement remboursées par le simple fait que de nouveaux donateurs contribuent cette année et éventuellement dans les prochaines également. Une organisation philanthropique qui ne verrait pas à renouveler son bassin de donateurs en limitant ses coûts, c’est une organisation qui vivrait sur un respirateur artificiel. Soyez donc indulgents envers eux et permettez-leur d’aller chercher plus de financement. »

Je suis totalement en faveur de l’indulgence. Mais au moment où l’avenir de la biodiversité et de l’humanité impose des changements radicaux, ne doit-on pas réduire justement notre indulgence envers ceux qui polluent ?

J’ai appelé Daniel H. Lanteigne pour lui poser la question. Il constate, lui aussi, que le facteur environnemental est plus présent dans les critiques. Et il comprend le malaise de certaines personnes qui reçoivent des cadeaux.

Est-ce que c’est encore la meilleure chose à faire ? Je n’ai pas de réponse, malheureusement, ni de solution de rechange. Mais je peux vous dire que les organisations aussi se posent des questions. Elles se demandent comment évoluer.

Daniel H. Lanteigne, président de l’Association des professionnels en philanthropie

La division québécoise de la Croix-Rouge canadienne fait partie de ceux qui réfléchissent à la question. D’ailleurs, des pailles et des sacs à collation réutilisables commenceront « sous peu » à être insérés dans les enveloppes de sollicitation, m’annonce la porte-parole Carole Du Sault.

Une stratégie efficace

Si les organismes continuent d’utiliser cette stratégie qui n’est pas gratuite, c’est évidemment parce qu’elle fonctionne. « Pas auprès de 100 % des personnes, mais auprès d’un grand nombre de donateurs », affirme Carole Du Sault. Entre 60 % et 68 % des ménages font un don après avoir reçu les « items premium » de la Croix-Rouge. L’envoi de cadeaux sert à financer les opérations courantes, ce qui inclut la formation des bénévoles.

L’expert en philanthropie Daniel H. Lanteigne explique que les enveloppes surprises et leur contenu fonctionnent parce qu’on les manipule, on les regarde, leur contenu traîne sur le comptoir et on en fait le tri, ce qui demande un peu de temps. Ce n’est pas le cas des courriels qui peuvent être ignorés ou placés dans la corbeille en moins d’une seconde.

« Quand on touche à un produit, on est plus enclin à l’acheter. C’est un début de relation avec le produit. Un courriel, ce n’est pas un produit, on s’en désintéresse rapidement. Si on a une enveloppe dans les mains et qu’on a le courage de passer à travers les neuf papiers dedans, on a donné du temps d’attention et les fondations cherchent ce temps d’attention. Mais il faut respecter ceux que ça irrite. »

La Croix-Rouge soutient que ses envois sont encore très appréciés. D’ailleurs, si l’organisme se contentait d’envoyer des courriels, il ne pourrait pas poursuivre ses activités.

Le test du toutou

Ce type de collecte de fonds est tellement essentiel à la survie des OBNL que rien n’est laissé au hasard. Tout est testé, dit le professeur Lefèvre. Les objets, les messages, les polices de caractère, les genres d’images, et même les types de regards d’enfants sur les photos.

« On fait des tests dans certains segments de la population avec divers objets qui ne coûtent pas cher pour voir ce qui marche. Tout est bien suivi et monitoré », confirme Carole Du Sault. L’an dernier, par exemple, un petit ourson en peluche a suscité un bond de 27 % des réponses positives. Pour garantir que les envois sont « correctement ciblés », dit-on, 400 segments de données uniques sont analysés.

En ce qui concerne le coût de telles opérations, la Croix-Rouge jure que « ce n’est pas onéreux ». Le coût moyen de ses envois est de 1,61 $, en incluant la main-d’œuvre. Le travail est effectué par un sous-traitant dont l’identité est confidentielle.

« Il faut que ce soit super clair. Ce n’est pas une dépense ou des dons qu’on dilapide en mettant plein d’affaires dans une enveloppe. C’est un investissement rentable et justifié », résume Daniel H. Lanteigne. Mais, ajoute-t-il, « ce n’est pas parce que ça fonctionne qu’il ne faut pas le challenger ».

Peu importe que ce soit cher ou non, François Forté estime qu’il est grand temps d’utiliser uniquement la technologie pour solliciter des dons. Ce retraité de 67 ans qui fait du bénévolat à temps plein donne aussi de l’argent à une série de causes qui lui tiennent à cœur. Certaines pourraient cesser de bénéficier de sa générosité.

Je ne veux plus qu’on m’écrive. Tous ceux qui vont me solliciter avec du papier, c’est bien de valeur, mais ils vont me perdre. Je fais tous mes dons par internet.

François Forté, bénévole à temps plein

Tout ce qu’il reçoit est déposé illico dans le bac de récupération, sans même être lu, ce qu’il trouve aberrant en 2023.

Pour le bien de la planète, le moment est sans doute venu de passer à autre chose. Mais encore faut-il trouver un autre moyen de financement aussi efficace, car les besoins demeurent immenses et la concurrence entre les OBNL est vive.

En attendant, les donateurs qui ne veulent rien recevoir par la poste devraient faire connaître leurs préférences aux organismes. Ceux-ci n’ont aucun intérêt à irriter leurs contributeurs et respectent normalement leur volonté.

Au fait, comme la saison des impôts approche, n’oubliez pas de rassembler tous les reçus pour dons obtenus en 2022. Des crédits sont offerts par Québec et Ottawa.

Statistiques sur les dons

  • Total des dons faits en 2020 au pays : 10,6 milliards de dollars
  • Nombre de donateurs : 5,1 millions
  • Don médian au Canada : 340 $
  • Don médian au Québec : 130 $
  • Don médian des personnes gagnant 150 000 $ ou plus par année : 820 $
  • Région où le don médian est le plus élevé au pays : Abbotsford–Mission, près de Vancouver, avec 930 $
  • Plus on avance en âge, plus on donne. Ainsi, 32 % des donateurs ont 65 ans et plus.

Source : Statistique Canada (données les plus récentes disponibles)