Le chiffre frappe l’imaginaire : 3,5 milliards de dollars en chèques aux contribuables, dont certains gagnent 100 000 $. Quelle décision électoraliste, se disent bien des Québécois, qui auraient préféré voir l’argent investi en santé ou en éducation, par exemple.

Ce que j’en pense ? Oui et non, c’est électoraliste. Et oui et non, ça nuit à la politique de la Banque du Canada, qui veut casser l’inflation en haussant les taux d’intérêt. Et voici pourquoi.

D’abord, ce qui fait l’unanimité, c’est qu’il faut aider les moins nantis à traverser cette période inflationniste difficile. Vous l’avez constaté, le panier d’épicerie a fortement grimpé depuis un an, de 11 % en moyenne. Et pour l’ensemble des dépenses, l’inflation est de 6,9 %.

Mais qu’est-ce qu’un revenu modeste ? Dans son récent énoncé économique, le gouvernement Trudeau, qui critique les chèques de Québec, a implicitement répondu à la question.

Pour aider les contribuables à panser les plaies de l’inflation, l’énoncé économique majorera certaines sommes pour des contribuables dits modestes, dont le revenu, pour un célibataire, est fixé à moins de 50 000 $ (49 166 $).

Ce chiffre correspond au seuil à partir duquel les célibataires ne reçoivent plus d’aide pour compenser la TPS sur leurs achats, ce qu’on appelle le crédit pour la TPS. L’énoncé fédéral a augmenté de 50 % cette somme accordée aux moins de 50 000 $ afin de soulager l’inflation.

Pour un célibataire, c’est l’équivalent d’un chèque additionnel de 234 $, au maximum. La mesure est non récurrente.

Et qu’en est-il de la mesure du gouvernement Legault ? Eh bien voilà, au Québec, le groupe de contribuables gagnant 50 000 $ et moins – les revenus dits modestes – représente 4,6 millions des 6,5 millions de personnes qui bénéficieront des chèques de 400 à 600 $ du gouvernement Legault.

Et même, ce groupe recevra près des trois quarts des 3,5 milliards de dollars que le gouvernement du Québec y attribuera.

Bref, l’essentiel des fonds de la mesure, plus précisément 2,8 milliards, sera attribué aux personnes à revenus faibles ou modestes. La mesure n’est donc ni injustifiée ni électoraliste pour l’essentiel des fonds versés.

Maintenant, il y a les autres contribuables qui recevront des chèques, généralement de 400 $, soit ceux qui gagnent entre 50 000 $ et 104 000 $. Québec leur versera donc un peu plus de 700 millions de dollars, au total.

Électoraliste, cette portion ? Oui, assurément. Le gouvernement Legault a voulu s’attirer les faveurs de la classe moyenne, et il a réussi. D’autant qu’il avait déjà envoyé des chèques – de 500 $ – le printemps dernier.

Peu utiles, les nouveaux chèques ? Probablement pour ceux qui gagnent plus de 70 000 $, à mon avis, surtout les couples avec deux revenus dans ces paramètres. Mais très utiles, en revanche, pour les familles avec un seul revenu de 70 000 $ et quatre bouches à nourrir.

Ce qui semble clair, c’est que les sommes qui seront versées aux contribuables gagnant entre 70 000 $ et 104 000 $ auraient pu servir à d’autres fins, en éducation, en santé ou en remboursement de la dette, par exemple. Le hic, c’est que les chèques pour ce groupe d’environ 750 000 contribuables totaliseront seulement 300 millions… soit moins de 10 % des 3,5 milliards.

Inflationnistes, les chèques ? Effectivement, redonner aux contribuables des fonds qui pourront stimuler la demande avec leurs achats – et donc les prix – est de nature inflationniste et nuit au travail de la Banque du Canada. D’où l’importance de cibler les moins nantis.

Mais attention, pour éviter l’effet inflationniste, il faut que le gouvernement ne dépense pas cet argent excédentaire autrement, par exemple dans l’éducation, la santé ou la construction de routes. Car les dépenses publiques sont pratiquement aussi inflationnistes que les dépenses personnelles des contribuables.

Bref, pour ne pas être inflationniste, l’argent devrait rester dans les coffres de l’État et servir à réduire la dette, essentiellement (ou à éliminer le déficit, ce qui revient au même).

Enfin, pour ceux qui s’inquiètent pour les finances du gouvernement du Québec, sachez que la situation s’est grandement améliorée justement parce que les consommateurs ont versé plus en taxes de vente, notamment en raison de la hausse des prix. Les chèques ne sont donc pas des cadeaux, mais le retour des impôts et taxes que les contribuables ont versés en sus en raison de l’inflation, entre autres.

Les chèques de 400 $ à 600 $ constituent une mesure bien imparfaite, cela dit. Il aurait été préférable que le gouvernement Legault module les chèques en fonction de la situation familiale, par exemple. Et qu’il réduise progressivement les 600 $ versés à partir d’un revenu de 50 000 $, somme qui aurait pu reculer jusqu’à 0 $ pour un revenu de 70 000 $, par exemple.

Autre élément, prospectif : si j’étais le gouvernement Legault, je retarderais les baisses d’impôt promises pour l’année 2023, sachant que ces versements contribuent à l’inflation et nuisent aux efforts de la Banque du Canada (et à l’économie à long terme).

Par exemple, pourquoi ne pas annoncer au budget de mars 2023 que les baisses d’impôt commenceront non pas en janvier 2023, comme prévu, mais à l’automne 2023, à un moment où, vraisemblablement, l’inflation aura reculé significativement ?

Rectificatif

Dans ma chronique « Le Québec bat les prédictions », publiée mercredi, le tableau indique que le Québec est au 7e rang des provinces pour le PIB par habitant (47 778 $), mais le texte parle du 5e rang. Il s’agit bien du 7e rang. Mea culpa.