Les frais de livraison facturés par Uber Eats continuent d’être débattus devant les tribunaux.

L’affaire ne porte pas sur les sommes facturées quand on meurt d’envie de manger une poutine sans se déplacer. Uniquement sur la façon dont l’information est présentée en ligne.

La grande question que le juge pourrait devoir trancher est donc la suivante : lorsqu’on utilise la plateforme Uber Eats, achète-t-on un repas et un service de livraison, ou un repas livré ?

Voyez la subtilité du débat…

On ne sait pas encore s’il aura lieu, remarquez. La Cour supérieure doit décider si elle autorise ou pas une action collective à la lumière des arguments qui lui ont été exposés mardi dernier.

Le cabinet Lambert Avocats prétend que la Loi sur la protection du consommateur est enfreinte quand des frais de livraison obligatoires sont ajoutés à la toute fin du processus d’achat, puisqu’il est interdit de vendre un bien ou un service à un prix supérieur à celui annoncé.

La plateforme Uber Eats, de son côté, soutient qu’elle vend la nourriture au prix annoncé, et qu’elle vend son service de livraison au prix annoncé. « La loi n’oblige pas le commerçant à annoncer en même temps que le prix du bien le prix des services additionnels choisis par le client », a plaidé Me François Giroux, de McCarthy Tétrault, l’un des avocats qui représentent Uber Eats.

Si vous avez l’impression d’avoir déjà entendu parler de cette histoire, c’est normal. Nous sommes revenus à la case départ à la suite d’un revirement aussi inattendu qu’inhabituel.

Pour la petite histoire, une action collective avait bel et bien été autorisée fin 2021. Mais l’entente de 200 000 $ conclue entre Uber Eats et le cabinet Lambert Avocats, qui devait clore l’affaire, avait été rejetée par la Cour supérieure. Dans la foulée, le juge avait annulé l’autorisation, d’où la reprise de l’argumentaire.

Ce sont des étudiants en droit et des professeurs de droit, notamment, qui s’étaient opposés à ce règlement. Parce qu’il n’incluait aucun paiement aux 1,9 million de clients d’Uber Eats et parce que la somme était dérisoire par rapport à leur nombre.

Sans cette opposition, la somme de 200 000 $ aurait été versée en honoraires aux avocats, au Fonds d’aide aux actions collectives (FAAC) et à des organismes de bienfaisance.

Lambert Avocats avait défendu l’entente en affirmant que les probabilités de succès de l’action collective étaient incertaines vu l’absence de jurisprudence. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Vu cet aveu, le groupe d’étudiants de l’Université de Montréal qui a contesté l’entente s’attendait à la fermeture du dossier. « On est tous tombés des nues en apprenant que Lambert revenait à la charge », m’a confié l’une des membres du groupe, Marie-Ève Maillé. Bien entendu, l’avocat d’Uber Eats n’a pas manqué de rappeler au juge que son adversaire croyait lui-même très peu en ses chances de succès.

Il sera intéressant de voir jusqu’où cette cause se rendra. À qui elle profitera. Ce qu’elle changera pour les Québécois. L’un des objectifs de l’action collective en matière de consommation étant d’assainir les pratiques. Il y a une décennie, Air Canada ajoutait des frais en tous genres à ses billets, de sorte que le prix affiché n’avait rien à voir avec le prix réel. Ce n’est plus le cas. Et on s’en réjouit.

Dans le cas d’Uber Eats, qui a déjà modifié son site web pour que les frais de livraison soient clairs d’entrée de jeu, faut-il préciser, on peut se questionner sur l’intérêt d’utiliser des ressources judiciaires déjà débordées pour tenir un débat « repas + livraison ou repas livré ». L’avocat Jimmy Ernst Jr Laguë-Lambert y voit l’occasion de créer une jurisprudence, m’a-t-il dit. C’est louable, défendable. Le nombre de personnes concernées est par ailleurs très élevé.

Mais au-delà des questions juridiques, cette affaire en soulève d’autres sur le plan pratique. N’est-il pas raisonnable de s’attendre, quand on achète un repas ou un chandail en ligne, à être facturé pour la livraison ? N’est-il pas souhaitable de connaître la somme qu’il faudra payer pour ce service ?

L’une des solutions pour respecter l’esprit de la loi qui interdit les prix « fragmentés » est d’inclure le coût de la livraison, a suggéré Lambert Avocats, en cour. Ça se fait déjà.

St-Hubert et Benny&Co. utilisent cette stratégie. Mais est-ce que c’est idéal ? Pas vraiment. À moins de prendre le temps de comparer les prix en succursale, on ne sait jamais qu’on a payé 3,45 $ pour la livraison de sa poitrine avec frites. La loi est respectée, mais au détriment de la transparence. Pire, de tels frais de livraison s’additionnent quand on choisit plusieurs articles. Au bout du compte, un prix fixe peut s’avérer plus abordable.

Et si l’on forçait l’affichage de prix englobant la livraison, est-ce que les boutiques de vêtements, les quincailleries, les épiceries y seraient assujetties ?

Nul ne peut prédire l’issue de l’action contre Uber Eats, mais il ne faudrait pas que les effets d’un éventuel jugement causent plus de tort que de bien aux consommateurs.